Marie-Josée Jacobs, Discours à l'occasion de la réunion plénière de l'assemblée générale des Nations unies sur les objectifs du Millénaire pour le développement, New York

Seul le discours prononcé fait foi

Monsieur le Président,
Monsieur le Secrétaire général,
Excellences,
Mesdames et Messieurs,

Le Luxembourg s’associe pleinement et entièrement à la déclaration que le Président de la Commission européenne, M. José Manuel Barroso, a faite au nom de l’Union européenne.

La lutte contre la pauvreté est une entreprise de longue haleine, et le chemin du développement durable est tortueux et semé d’obstacles. Nos chefs d’Etat et de gouvernement étaient bien inspirés en septembre 2000 de prévoir et de programmer la réalisation des objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) sur quinze ans. Car – ne nous leurrons pas – il n’y a ni raccourci, ni solution miracle :

  • pour nourrir celles et ceux qui ont faim,
  • pour garantir aux femmes la place dans nos sociétés qui leur revient de droit,
  • pour garantir à chaque enfant une éducation qui en mérite le nom,
  • pour sauver la mère et son enfant quand elle est forcée d’accoucher dans des conditions précaires,
  • quand la santé est menacée par des pandémies ou simplement parce qu’il n’y a pas accès à l’eau potable,
  • et quand la dégradation de l’environnement naturel menace la survie.

En septembre 2000, les Etats membres avaient reconnu que l’immensité de ces tâches exigeait un partenariat global pour pouvoir espérer vaincre l’adversité qui interdit à une trop large part de l’humanité de mener une vie décente et de développer tout son potentiel. Cette semaine nous sommes revenus à New York pour dire notre conviction que la voie tracée il y a dix ans était la bonne, pour faire un bilan intermédiaire des progrès sans complaisance et pour réaffirmer notre volonté politique et notre engagement à mener à bien la mission que nous nous sommes donnée, tout en tenant compte de nouveaux défis mondiaux qui compliquent la mise en œuvre des OMD qu’un monde en permanente évolution nous impose.

Pour ce faire, nous pouvons nous baser sur les importants rapports et analyses du Secrétaire général et des agences de l’ONU sur la réalisation des OMD, et sur le travail infatigable des facilitateurs dans la négociation du document final de cette réunion. Qu’ils soient chaleureusement remerciés pour leurs efforts.

Monsieur le Président,

Les OMD gardent toute leur pertinence. Permettez-moi d’insister ici sur ce qui peut paraître comme une évidence. Je suis persuadée que c’est utile et nécessaire parce que nous vivons une époque qui est caractérisée par des accélérations sans précédent au niveau global. Malheureusement, nous ne prenons que trop rarement le temps de nous demander si ces accélérations sont bénéfiques ou même seulement souhaitables. Non pas que ces emballements soient forcément négatifs, mais trop souvent nous les subissons au lieu de les contrôler et de les canaliser. De surcroît, ils nous poussent à l’impatience, un défaut qui s’accommode mal de l’engagement à long terme et de l’effort soutenu pourtant indispensables pour réussir le développement durable. L’impatience de celles et de ceux qui sont tentés de remettre en cause les OMD faute de gratifications immédiates, est mal venue. Prenez mon propre pays, le Luxembourg. On peut dire qu’il a connu un développement fulgurant ; pourtant nous avons mis un siècle pour passer de la pauvre société agraire du 19e siècle à l’économie de service moderne de la fin du 20e. – Ou encore mon continent, l’Europe, qui a été pendant des siècles le terrain de batailles féroces entre peuples frères et qui a vu germer les ingrédients de deux conflagrations mondiales. Ce n’est que depuis cinquante ans que nous travaillons systématiquement au mieux-être collectif des populations de ce continent. – Alors ne soyons pas impatients, mais soyons plutôt persévérants, avec de la suite dans les idées ! – Quinze ans pour réduire de moitié la pauvreté la plus abjecte et pour atteindre les autres OMD me semble raisonnablement ambitieux, prenant en compte le savoir, l’expérience et les moyens qui sont à notre disposition.

Ceci dit, je suis la dernière à vouloir me cacher la vérité : le bilan de notre action collective de mise en œuvre des OMD depuis 2000 est mitigé. Les progrès faits et les résultats obtenus sont très variés selon les secteurs, les continents, les régions et jusqu’à l’intérieur des pays qui peuvent parfois se targuer de succès sur un front, mais qui ne sortent pas pour autant du lot sur d’autres. C’est pourquoi le Luxembourg rejoint celles et ceux qui plaident pour des efforts accrus dans les secteurs et dans les régions qui accusent les retards les plus importants. En clair, un constat s’impose : nous – c’est-à-dire la communauté internationale, dans les pays industrialisés, les pays émergents et les pays en développement – n’avons pas fait ce qu’il fallait pour être aussi efficaces pour combattre la mortalité infantile et maternelle que pour augmenter les taux d’inscription dans l’enseignement primaire. Est-ce par choix, par incompétence ou faute de moyens ? Ce n’est pas aujourd’hui que nous répondrons à ces questions qui méritent pourtant une analyse sérieuse. Mais c’est un constat amer et objectif qui nous oblige d’autant plus à redoubler nos efforts que nous savons pertinemment que l’égalité des femmes, leur santé et celle de leurs enfants sont des objectifs qui ont un potentiel incomparable à entraîner des progrès sur les autres objectifs qui nous sont chers. Je le dis avec d’autant plus de conviction qu’au cours de ma carrière politique, j’ai eu entre autres la charge des dossiers de l’égalité des femmes, de la famille et de la jeunesse. Et c’est pourquoi je salue l’initiative de notre Secrétaire général de lancer une stratégie mondiale pour la santé des femmes et des enfants. C’est également pourquoi je me réjouis de la création d’ "ONU Femmes" qui promet une action collective mieux structurée, plus coordonnée et donc plus efficace sur ces questions centrales. Dans ce contexte, je tiens à féliciter Mme Bachelet pour la nomination à la tête de cette nouvelle agence de l’ONU. Le Luxembourg restera parmi les plus fidèles partenaires et contributeurs dans ce combat pour la réalisation des OMD 3, 4 et 5, ainsi que des objectifs en matière de santé en général, y compris à travers une attention accrue pour les maladies non-transmissibles.

Monsieur le Président,

Notre mission à l’horizon 2015 s’est considérablement compliquée du fait de nouvelles réalités inconnues, voire inimaginables en 2000. Je veux parler des nouveaux défis mondiaux que nous posent l’insécurité croissante, les effets pervers de la crise économique mondiale surtout dans les pays en développement, le changement climatique et les flux migratoires.

Quand les statistiques ne laissent pas de doute que ce sont les pays en situation de fragilité, affectés par un conflit, de la violence, de l’insécurité et de catastrophes naturelles, qui accusent les plus importants retards dans la mise en œuvre des OMD, quand les investissements étrangers directs se tarissent et que même le flux de l’aide publique au développement ralentit, quand la crue des océans menace de faire disparaître des archipels entiers et quand, poussés par l’absence de perspectives, des centaines de milliers d’hommes et de femmes se mettent en mouvement en quête d’un futur incertain loin de leurs pays d’origine, l’énormité de la tâche qui est devant nous peut paraître par moments insurmontable, et la réalisation des OMD semble alors relever plus du mirage que d’un avenir tangible. A cela il n’y a qu’une réponse possible : personne n’a jamais prétendu que ce sera facile. Pour le Luxembourg cela n’est pas une raison pour déclarer forfait !

Le monde change, parfois du fait de nos propres actions irresponsables. Ce n’est pas pour autant que de nouveaux défis nous dédouanent de nos promesses et de nos engagements d’hier, d’autant moins que les nouveaux défis nous concernent tous au même titre, car ils ignorent les frontières administratives et naturelles. Cette prise de conscience à elle seule est précieuse, car inédite. Il s’agit à présent de réagir de manière adéquate. Le temps de la réflexion et de l’action "en silos" - chacun pour soi, dans son petit domaine de compétence et de responsabilité - est révolu, si l’on veut réagir de manière efficace. C’est pourquoi le gouvernement luxembourgeois plaide sur le plan national, mais aussi dans l’Union européenne, à l’ONU et dans ses relations au quotidien avec ses partenaires des pays en développement pour des réponses qui misent sur les plus-values d’une approche régionale et transsectorielle. Car, au Sahel, le développement local souffre des effets combinés de l’insécurité alimentaire due au réchauffement climatique et des attaques criminelles et terroristes ; dans le Pacifique ou dans les Caraïbes, l’espoir d’un investissement étranger s’effrite avec la montée des eaux et la recrudescence des ouragans. Les flux migratoires atteignent des envergures sans précédent et, loin d’améliorer le quotidien de celles et de ceux qui partent, drainent, d’un côté, les pays d’origine d’une partie de leur force de travail et, mettent, de l’autre côté, les autorités des pays de destination devant des dilemmes administratifs et humains.

La véhémence avec laquelle ces réalités s’imposent à nous n’a cessé de croître depuis qu’en 2005 l’ancien Secrétaire général Kofi Annan nous avait rendu attentifs dans son rapport "Dans une liberté plus grande » à l’interdépendance entre développement, sécurité et droits de l’homme. Force est de constater qu’au cours des cinq dernières années nous y avons répondu de façon trop frileuse, probablement faute d’avoir eu le temps d’y réfléchir en profondeur et de réajuster nos procédures et nos manières de faire souvent trop lourdes pour pouvoir réagir avec la flexibilité nécessaire. Pourtant les premières esquisses de ripostes possibles à cette palette de nouveaux défis commencent à émerger, par exemple autour de sujets comme celui des "biens publics globaux". Loin de moi l’idée de plaider que « le tout est dans le tout » et qu’un problème ne peut être résolu qu’à condition que tous les problèmes soient résolus. Nos réponses aux défis complexes et enchevêtrés n’ont pas besoin d’être parfaitement intégrées, mais elles gagnent en efficacité à être coordonnées entre et au-delà des domaines de compétences dont elles relèvent. A cet égard, il n’est pas seulement permis de faire preuve d’imagination ; en fait, c’est devenu un véritable impératif !

Le chemin à couvrir et le travail à faire exigent de nous de faire feu de tout bois, en commençant de tenir, au Nord comme au Sud, nos promesses aux plus démunis, mais aussi – dans l’intérêt propre de chacun et de chacune – en réfléchissant à de nouveaux partenariats, notamment avec la société civile et le secteur privé, à de nouvelles sources de financement alternatives et durables du développement et à des canaux mutuellement bénéfiques pour organiser les transferts de fonds, de biens et de services dans le cadre d’une mondialisation au bénéfice de toutes et de tous. C’est à quoi le Luxembourg s’engage depuis des années, comme partenaire et donateur fiable, avec une aide publique au développement de 1 pour cent du RNB. C’est ce que nous plaidions à la présidence du Conseil économique et social et à la Commission de consolidation de la paix, mais aussi dans l’Union européenne et à l’OCDE, notamment en vue du 4e Forum à haut niveau sur l’efficacité de l’aide en novembre 2011 en République de Corée. C’est à quoi nous nous tiendrons à Cancun plus tard dans l’année et au Conseil de sécurité de l’ONU, s’il nous est donné d’y siéger de 2013 à 2014.

Monsieur le Président,

Le Luxembourg ne fait pas ces promesses dans le vide. Pour avoir, dans le passé, bénéficié à notre tour de la solidarité internationale, des bienfaits de l’intégration régionale et de la participation pleine et entière dans l’économie mondiale, nous ne sommes que trop conscients qu’un développement durable n’est jamais définitivement acquis, que le temps nous est compté d’ici 2015 et qu’il convient d’en faire le meilleur usage. Enfin, je joins ma voix à celles et à ceux qui ont rappelé que 2015 n’est qu’une étape, à mi-chemin vers l’éradication de la pauvreté. En effet, sans perdre de vue l’objectif intermédiaire des OMD, il est indispensable de réfléchir dès aujourd’hui au-delà de 2015.

Je vous remercie de votre attention.

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