Discours de Jean Asselborn au Conseil de sécurité des Nations unies à New York

"La crise humanitaire a atteint des proportions catastrophiques. Plus de 9 millions de Syriens, soit la moitié de la population du pays, ont désespérément besoin d’une aide d’urgence, en particulier ceux qui se trouvent piégés dans les zones assiégées et difficiles d’accès."
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Jean Asselborn lors de son discours

Monsieur le Président, cher collègue,


Permettez-moi de féliciter votre pays, la Jordanie, pour son élection au Conseil de sécurité et pour son accession à la présidence du Conseil en ce mois de janvier 2014, à un moment particulièrement important pour le Moyen-Orient. Votre présence, Monsieur le Ministre, donne un relief particulier à ce débat public, au début d’une semaine critique pour les efforts visant à mettre un terme au conflit en Syrie, dont les retombées font peser un très lourd fardeau sur votre pays et sur les autres pays voisins de la Syrie, le Liban au premier chef.

Je remercie le Secrétaire général pour son exposé. Je remercie de même l’Observateur permanent de l’Etat de Palestine et le Représentant permanent d’Israël pour leurs interventions. Le Luxembourg s’associe pleinement à la déclaration qui sera faite par l’Union européenne.


Monsieur le Président,


J’aborderai, en premier lieu, le processus de paix au Moyen-Orient. Il existe aujourd’hui une opportunité historique pour construire la paix entre Israéliens et Palestiniens. L’annonce, il y a six mois, de la reprise des négociations a constitué un premier jalon important. Il est désormais de notre responsabilité à tous de soutenir les efforts des Etats-Unis et l’engagement infatigable du Secrétaire d’Etat John Kerry, afin d’aider les parties à prendre les décisions difficiles et pourtant indispensables pour réaliser la vision des intérêts à long terme des peuples israélien et palestinien.

Pour réussir, le processus de négociations exige un environnement politique favorable, des mesures qui renforcent la confiance mutuelle. Il faut donc cesser les actes unilatéraux qui alimentent la logique de défiance. L’année 2013 s’est terminée sur une note positive avec la libération par Israël d’un troisième contingent de 26 prisonniers palestiniens. Nous restons toutefois très profondément préoccupés par la poursuite de l`incompréhensible politique de colonisation israélienne, une politique illégale au regard du droit international, une politique qui constitue une réelle menace à la paix et qui va à l’encontre du principe de négociation de bonne foi. Nul ne croira à l’aboutissement des efforts de paix si les activités de colonisation perdurent, si le blocus de Gaza se poursuit, si le mur de séparation continue d’arracher des terres aux Palestiniens, si la destruction des infrastructures palestiniennes s’intensifie. Nous sommes de même très préoccupés par les tirs de roquettes qui continuent d’être lancés par certaines factions palestiniennes depuis la bande de Gaza sur le territoire israélien. Rien ne justifie ce recours aveugle et inacceptable à la violence, qui ne sert certainement pas la cause palestinienne. Il faut en finir avec toutes sortes de provocations et respecter les terres palestiniennes et la sécurité des populations israéliennes. Les deux sont intimement liés.


L’initiative américaine représente sans doute la dernière chance pour mettre fin à l’occupation, pour mettre en oeuvre la solution des deux Etats sur base des frontières de 1967, et pour créer un Etat palestinien souverain, indépendant, démocratique, d’un seul tenant et viable, vivant dans la paix et la sécurité aux côtés d’Israël, avec Jérusalem comme capitale des deux Etats.


Il faut saisir cette chance. Le Luxembourg continuera à s’engager avec ses partenaires de l’Union européenne pour contribuer aux efforts en cours, en étroite coopération avec les acteurs clefs, le Quatuor et les pays de la région.


Monsieur le Président,


J’en viens maintenant à la Syrie. Le Secrétaire général vient de rappeler l’objectif de la Conférence de Genève sur la Syrie qui s’ouvre après-demain à Montreux : la fin des hostilités, la fin de toute violence, et le début d’un règlement politique sur la base d’une mise en oeuvre pleine et entière du communiqué de Genève du 30 juin 2012. Cela doit conduire à la mise en place d’un organe de gouvernement transitoire doté des pleins pouvoirs exécutifs et formé sur la base du consentement mutuel. Nous saluons la décision prise le 18 janvier par la Coalition de l’opposition syrienne de participer à Genève II. Je ne peux qu’encourager la CNS à maintenir cette position courageuse qu’elle a prise. J’appelle de même l’Iran à jouer un rôle constructif pour mettre fin au conflit syrien, en adhérant explicitement à la mise en oeuvre du communiqué de Genève du 30 juin 2012, à la mise en place d’un exécutif de transition doté de pleins pouvoirs, telle que formulée dans la lettre d’invitation du Secrétaire général. Maintenant, il importe que les autorités à Damas permettent au peuple syrien de prendre en main son destin, et qu’elles cessent de rejeter les principes d’une transition politique agréés dans le communiqué de Genève.


Les besoins et les droits de tous les Syriens devront être pris en compte. Je pense en particulier aux femmes syriennes qui, ensemble avec les enfants, ont payé le plus lourd tribut depuis le début de la répression. Avec d’autres, le Luxembourg oeuvre en vue d’une pleine association des femmes au processus de transition politique en Syrie, conformément aux résolutions 1325 et 2122 du Conseil de sécurité. Pour que le processus de négociation conduise à une paix durable, il importe en effet que les femmes puissent, dès le départ, faire entendre leurs voix, exprimer leur point de vue, leur expérience, leurs doléances et leurs besoins spécifiques.

Les défis d’ordre humanitaire et sécuritaire ne pourront se résoudre autrement que par une issue politique négociée à la crise. Cela dit, devant la spirale de la violence qui menace la région, nous ne pouvons attendre la fin d’un éventuel processus politique, et nous ne pouvons faire abstraction de la longue liste des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité qui mènent, chaque jour un peu plus, à la destruction de la Syrie. Les bombardements d’hôpitaux, d’écoles, les attaques délibérées et indiscriminées contre les civils, contre le personnel médical et de la santé, le ciblage des pharmacies, la famine utilisée en tant qu’arme de guerre pour faire pression sur les populations de la Ghouta, les sièges et les massacres, l’emploi des armes chimiques, des missiles SCUD, des barils d’explosifs – l’on ne s’interdit visiblement plus rien en Syrie, dans un climat d’impunité totale. Face à ces horreurs, je tiens à répéter ici ce que nous disons depuis un an : la situation en Syrie doit être déférée, par ce Conseil, à la Cour pénale internationale.


Monsieur le Président,


La crise humanitaire a atteint des proportions catastrophiques. Plus de 9 millions de Syriens, soit la moitié de la population du pays, ont désespérément besoin d’une aide d’urgence, en particulier ceux qui se trouvent piégés dans les zones assiégées et difficiles d’accès. Face à cette crise, le monde se mobilise : plus de 2,4 milliards de dollars d’aide ont été promis lors de la deuxième conférence de Koweït City le 15 janvier. J’ai tenu à assister personnellement à cette conférence pour annoncer une nouvelle contribution du Luxembourg, en hausse de plus de 60 % par rapport à 2013. Hélas, l’aide promise n’atteindra pas son but s’il n’y a pas de progrès en termes d’accès humanitaire sur le terrain. Sans un accès immédiat, libre et sans entrave, la survie de la moitié de la population syrienne est en jeu. Il en est de même des Palestiniens pris au piège à Yarmouk. Le peuple syrien ne saurait se contenter de quelques cessez-le-feu localisés et précaires, ou de la libération de quelques prisonniers politiques. Il ne saurait se contenter des concessions faites par les autorités à Damas ici ou là, lorsqu’elles y voient un intérêt stratégique ou politique. Elles doivent respecter leurs obligations, elles doivent donner suite aux demandes de ce Conseil. A défaut de progrès significatifs en termes d’accès, le Conseil devra à notre avis assumer ses responsabilités et adopter une résolution humanitaire.


Monsieur le Président,


Je conclurai mon intervention en évoquant la situation au Liban. Ces derniers mois, les attentats meurtriers se sont multipliés. Je ne citerai que celui qui a coûté la vie le 27 décembre dernier à Beyrouth à l’ancien Ministre et homme de dialogue Mohammad Chatah. C’est là un signe très inquiétant de l’impact croissant du conflit syrien sur la sécurité et la stabilité du Liban. Le message très clair envoyé par ce Conseil, dans sa déclaration présidentielle du 10 juillet 2013 et les nombreuses déclarations à la presse qui ont suivi, reste plus que jamais d’actualité. Ce message s’adresse à tous ceux qui ont jeté aux oubliettes la déclaration de Baabda, afin qu’ils cessent les activités qui mettent en péril le modèle d’unité dans la diversité que représente le Liban. Je réitère ici notre soutien au Liban, à ses institutions et à sa politique de dissociation. Je salue enfin l’ouverture, le 16 janvier, devant le Tribunal spécial pour le Liban, du procès par contumace de quatre membres du Hezbollah accusés de l’assassinat en 2005 de l’ancien Premier Ministre Rafic Hariri. Ce procès marquera, je l’espère, le début de la fin de l’impunité pour les crimes commis au Liban.

Je vous remercie de votre attention.

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