Discours de Jean Asselborn au débat public du Conseil de sécurité consacré à la situation au Moyen-Orient à New York

"La priorité absolue est de faire cesser sur le champ les souffrances des populations civiles palestiniennes"

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    Jean Asselborn avec le ministre des Affaires étrangères de l'Australie, Julie Bishop
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    Jean Asselborn lors de son intervention
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    Jean Asselborn avec le Représentant permanent de l'Autorité palestinienne, Riyad Mansour

Monsieur le Président,

Je remercie le Secrétaire général pour sa présentation en direct du Moyen-Orient, ainsi que l’Observateur permanent de l’Etat de Palestine et le Représentant permanent adjoint d’Israël de leurs interventions.

Le Luxembourg s’associe pleinement à la déclaration qui sera faite par l’Union européenne.

Monsieur le Président,

Le Moyen-Orient semble aujourd’hui plus étranger que jamais à la paix. Au point que parler du Moyen-Orient, c’est parler des conflits au Moyen-Orient, comme si l’identité de la région était devenue indissociable des guerres qui la secouent. En son coeur, il y a le conflit israélo-palestinien qui, depuis sept décennies, est le miroir de l’impuissance de la communauté internationale. Depuis quinze jours, ce conflit est, une nouvelle fois, de manière dramatique, venu nous rappeler à nos responsabilités.

Au moment où nous nous réunissons, l’offensive israélienne contre Gaza a déjà fait plus de 600 morts et plus de 3.500 blessés, pour la plus grande partie d’entre eux des civils. Gaza, qui était déjà une prison à ciel ouvert, se transforme, littéralement, en cimetière pour ses habitants. Y a-t-il un seul début d’argument pour justifier pareille effusion de sang, pareil usage disproportionné de la force armée contre des civils ? Non, il n’y en a pas. Certes, le droit d’Israël de se défendre et de protéger sa population n’est pas contesté. Et nous condamnons de la manière la plus ferme les tirs de roquettes qui s’abattent sur les villes israéliennes. Mais ce droit d’Israël ne justifie pas la terrible somme de souffrances qui est infligée aux populations civiles de Gaza.

Ce sont désormais plus de 100.000 Palestiniens qui vivent en déplacés, plongeant la bande de Gaza dans une crise humanitaire et sanitaire sans précédent, aux conséquences plus tragiques encore que lors de l’opération « Plomb durci » en 2009. Entre tous, le tribut payé par les enfants est peut-être le plus affolant. Selon UNRWA, 30% des personnes tuées sont des enfants. S’il est vrai, comme l’affirment les organisations de terrain, que plus d’enfants ont péri sous le feu israélien que de combattants palestiniens, alors vraiment nous avons encore plus de raisons de nous indigner.

Au terme du droit international humanitaire, toutes les parties sont dans l’obligation absolue de préserver la vie des civils pris au piège des combats. Cette obligation vaut bien entendu aussi pour le Hamas et les autres groupes armés qui cherchent à frapper de manière indiscriminée les populations civiles israéliennes.

La priorité absolue, aujourd’hui, est de faire cesser sur le champ les souffrances des populations civiles palestiniennes. Ceci implique la conclusion immédiate d’une trêve humanitaire afin de secourir les blessés, les déplacés et les victimes prisonnières des décombres. Nous espérons beaucoup des efforts de médiation menés par l’Egypte, par le Secrétaire général et aussi par le Secrétaire d’Etat John Kerry. Ces efforts peuvent compter sur notre plein soutien. Nous réitérons aussi notre appui à UNRWA et à son action cruciale en vue d’alléger la souffrance de la population palestinienne.

Une fois la trêve humanitaire agréée, une cessation complète et durable des hostilités devra être négociée. Il n’existe pas d’autre issue : la violence doit cesser. Les actions qui alimentent la haine et la discorde doivent cesser. Les souffrances et les humiliations doivent cesser. La population palestinienne mérite de vivre en dignité. Le blocus qui étrangle Gaza depuis des années doit impérativement être levé. Aucun peuple ne saurait vivre dans les conditions imposées aux habitants de Gaza. Depuis sept ans, ce peuple vit assiégé entre trois murs et la mer et ne survit que grâce à UNRWA et l’aide internationale. Ce n’est qu’ainsi qu’Israël peut se permettre de faire vivre 1,7 million de Palestiniens dans ces conditions atroces.

Enfin, à terme, il faut s’attaquer aux causes profondes du conflit israélo-palestinien. Le plus fort des deux, Israël, doit faire un choix : accepter la seule voie possible pour vivre en paix, c’est-à-dire accepter la solution à deux Etats, tout en arrêtant la provocation de l’extension des colonies, illégales en soi, ou bien se perdre de plus en plus dans des actions militaires répétées qui ne feront qu’aggraver la situation.

Goethe avait raison, Monsieur l'Ambassadeur. Il faut bien voir la vérité, il faut voir la réalité, il faut voir l'avenir.

Dans l’immédiat, nous espérons que le Conseil de sécurité saura jouer son rôle pour appuyer les efforts visant à mettre un terme à l’escalade de la violence.

Monsieur le Président,

Après le carnage de Gaza, j’en viens maintenant à la tragédie syrienne. Le conflit en Syrie, qui a causé au moins 160.000 morts et poussé près de 3 millions de Syriens à quitter leur pays, renvoie la communauté internationale à la triste image de ses limites et de ses divisions. Dans les faits, le régime de Bachar al Assad est laissé libre de bombarder les écoles et les hôpitaux, d’attaquer les convois humanitaires, de s’en prendre au personnel de santé et d’utiliser la famine comme arme de guerre contre les populations assiégées.

La situation demeure des plus alarmantes pour 10,8 millions de Syriens, dont plus de la moitié d’enfants, qui ont besoin d’une aide humanitaire d’urgence. Plus de 4,5 millions de Syriens sont pris au piège des combats dans des zones d’accès difficile pour les acteurs humanitaires. La résolution 2139 adoptée par le Conseil de sécurité en février dernier n’y a rien fait. Sur le terrain, l’accès humanitaire a continué de se dégrader, en raison de l’obstruction systématique des autorités syriennes.

Il faut espérer que la résolution 2165 adoptée à l’unanimité par le Conseil de sécurité la semaine passée, à l’initiative de nouveau de l’Australie, de la Jordanie et du Luxembourg, constituera un tournant décisif. En vertu de cette résolution, les agences humanitaires de l’ONU sont autorisées à acheminer l’aide humanitaire à travers les frontières et par les routes les plus directes aux populations qui en ont besoin, partout en Syrie. Le consentement des autorités syriennes n’est plus nécessaire. L’aide doit être distribuée sur base de l’évaluation des besoins effectuée par l’ONU, non par Damas. En cas de non-respect des résolutions 2139 et 2165, le Conseil de sécurité prendra des mesures supplémentaires. C’est là un élément essentiel.

Nous formons le voeu que cette résolution novatrice permette une véritable percée sur le terrain. Sa mise en oeuvre devrait permettre d’aider entre 1,4 et 2 millions de personnes en Syrie qui étaient hors d’atteinte pour les acteurs humanitaires jusqu’à présent.

Cela étant, l’application des résolutions du Conseil de sécurité ne suffira pas à elle seule à résoudre la crise humanitaire. La seule solution durable est la résolution du conflit syrien. Et celle-ci passe par un processus politique, porté par l’ensemble des Syriens, dans la ligne du Communiqué de Genève de juin 2012.

A cet égard, le Luxembourg salue la nomination de Monsieur Staffan de Mistura en tant qu’Envoyé spécial du Secrétaire général pour la Syrie, qui est de nature à donner un nouvel élan à la recherche d’une solution politique au conflit syrien.

Monsieur le Président,

Pour conclure, je voudrais dire quelques mots des effets de la crise syrienne sur les pays de la région, notamment le Liban et l’Irak.

Au cours des mois écoulés, les attentats meurtriers se sont multipliés sur le sol libanais. Il s’agit d’un signe très préoccupant de l’impact croissant du conflit syrien sur le Liban. Les effets de la présence et de l’afflux de réfugiés syriens sur la stabilité politique, économique et sociale du pays est également considérable. Comment pourrait-il en être autrement, alors que depuis avril dernier, le nombre de réfugiés de Syrie officiellement enregistrés au Liban a dépassé le seuil d’un million de personnes, ce qui représente un quart de la population libanaise.

Pour faire face à ces défis, il est crucial que la classe politique libanaise élise dans les meilleurs délais un Président pour succéder à Michel Sleiman. Cette élection permettra de renforcer les institutions libanaises et de contribuer à la stabilisation du pays. Elle facilitera, par ailleurs, la mise en oeuvre de la politique de dissociation, conformément à la déclaration de Baabda.

S’agissant de l’Irak, nous voudrions condamner de la manière la plus ferme qui soit la persécution systématique des minorités ethniques et religieuses par l'Etat islamique en Irak et au Levant et les groupes armés qui lui sont liés. En particulier, nous sommes très préoccupés par les informations qui nous parviennent concernant le traitement réservé à la population chrétienne de Mossoul. Les menaces dont cette dernière fait l’objet sont intolérables. Aussi, soutenons-nous pleinement la déclaration à la presse sur la persécution des minorités à Mossoul adoptée hier soir par le Conseil de sécurité.

Face à la menace pour l’unité du pays et la stabilité de la région que représente l’avancée de l’État islamique en Irak et au Levant, la formation rapide d’un nouveau gouvernement apparaît d’une importance cruciale. Nous ne doutons pas que les dirigeants politiques irakiens sauront s’élever au-dessus de leurs intérêts partisans pour relever les défis auxquels est confronté leur pays. Et que, dans un esprit d’unité, ils parviendront sous peu à former un gouvernement qui reflète la volonté du peuple irakien.

Monsieur le Président,

Il n’existe pas de solution miracle pour résoudre les nombreux conflits qui affectent le Moyen-Orient. Mais à chaque fois que nous le pourrons, nous devrons tout faire pour remettre la diplomatie au centre du jeu. Surtout, nous devrons montrer de quel côté bat le coeur de la communauté internationale : du côté des plus faibles, c’est-à-dire celui des victimes, qu’elles se trouvent à Alep, Mossoul ou Gaza.

Je vous remercie.

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