Discours de S.A.R. le Grand-Duc lors de la cérémonie officielle à l'occasion de la fête nationale 2015

Seul le discours prononcé fait foi

"Monsieur le Président de la Chambre des Députés,

Monsieur le Premier ministre,

Mesdames et Messieurs les députés,

Mesdames et Messieurs les ministres,

Excellences,

Mes chers concitoyens,

Cela fait exactement 200 ans que notre Etat est né sur le papier, des suites des longues négociations du Congrès de Vienne, qui fonda un nouvel ordre sur le continent européen pour tout un siècle. Depuis cette date jusqu’à aujourd’hui, le Grand-Duché de Luxembourg a suivi un cheminement original, qui a façonné notre manière d’être.

Notre devise nationale "nous voulons rester ce que nous sommes" est connue de tous ou presque, mais les circonstances de sa naissance le sont peut-être moins. Elles sont pourtant essentielles pour bien en saisir la portée.

Nous sommes en 1859: l’arrivée du chemin de fer dans notre pays est un moment d’enthousiasme et de fierté pour un jeune Etat et une population, dont le destin est très loin d’être assuré. C’est même le contraire: les grandes puissances, la France, la Prusse en tête, menacent à chaque instant son intégrité, voire sa survie. C’est dans ce contexte que l’auteur Michel Lentz compose "le Feierwon" qui chante le désir de liberté et d’indépendance des Luxembourgeois, qui ne veulent ni être allemands, ni être français, ni être autre chose que ce qu’ils sont. "Nous voulons rester ce que nous sommes", est un refrain repris en chœur par une population, qui a soif de liberté de vivre ensemble. Ce n’est pas l’expression du repli sur soi, mais la promesse d’une aventure collective.

Un siècle et demi après ce cri du coeur, nous pouvons constater avec fierté que la promesse a bel et bien été tenue, de façon surprenante même. L’Etat puis la nation luxembourgeoise se sont formés dans un processus évolutif qui ne s’est jamais arrêté. De cette évolution, est née une identité luxembourgeoise, qui fait que nous pouvons dire "nous" et que nous sommes différents des autres, même si nous avons tant besoin d’eux.

"Nous sommes restés ce que nous sommes" en acceptant d’évoluer sans cesse et en surmontant dans la solidarité les épreuves infligées par l’histoire.

Les commémorations qui viennent d’avoir lieu pour les 70 ans de la fin de la Seconde guerre mondiale gardent tout leur sens. Elles sont même pour nous plus émouvantes que jamais. Se souvenir des enjeux essentiels, de la paix avant tout, pour l’humanité en général et pour notre nation en particulier. Mesurer le chemin parcouru par notre pays qu’il soit en termes économiques, sociaux ou même culturels. Partager enfin l’émotion de ces générations qui ont été marquées par la guerre, qui ont reconstruit notre pays avec tant de courage et qui nous disent maintenant au revoir. Notre patrie leur doit tant comme aux victimes du conflit. Je songe par exemple à notre recueillement de l’hiver dernier en Pologne pour le souvenir de ces jeunes Luxembourgeois qui périrent par centaines à Slonsk en janvier 1945. Nous ne devrons jamais oublier toutes les victimes de cette guerre atroce.

A l’ère d’un continent apaisé par l’intégration européenne et d’une mondialisation qui tend à uniformiser les comportements et les habitudes, le débat sur l’identité n’est pas devenu illégitime. Bien au contraire. Il se pose également au Luxembourg, avec des enjeux qui nous sont propres.

En effet les différences entre les peuples n’ont pas vocation à disparaître sous le supposé rouleau compresseur de la mondialisation et des connections, elles ont même parfois tendance à grandir. Les nations et les frontières ne sont pas abolies. De la même façon, le projet européen si vital pour notre pays ne fera pas fondre les populations des Etats membres dans un peuple européen unique et uniforme. Le peuple luxembourgeois avec son tempérament, ses qualités, son territoire et son histoire subsistera.

Mais qu’est-ce qu’être luxembourgeois ? C’est avoir des choses en commun ou des réflexes, qui peuvent parfois être complémentaires ou contradictoires. C’est partager une histoire et des institutions, mais aussi un projet pour le présent et le futur. C’est se comprendre à travers une même langue, le Luxembourgeois, comme être capable de maîtriser celle des autres, celles de nos voisins en premier. C’est le plaisir de se sentir chez soi et solidaire sur un territoire réduit et accueillant, comme la faculté de regarder naturellement au-delà des frontières. C’est cultiver nos traditions, nos fêtes et nos coutumes tout en saisissant ce que les non-Luxembourgeois nous ont apporté et continuent de nous apporter. C’est être fier du chemin accompli, comme être conscient de nos limites. Bref, c’est avoir une conception de l’identité qui soit ouverte et peut-être même généreuse.

Il y a deux semaines, les Luxembourgeois ont aussi exprimé une opinion sur la citoyenneté. La franchise du résultat a pu surprendre. Il a le mérite d’être clair et de mettre nos institutions et nos autorités devant leurs responsabilités. Le décalage qui a pu apparaître entre certaines aspirations et certaines réalités ne doit pas être un motif de déception ou de frustration. Il s’agit bien au contraire d’un appel urgent à travailler ensemble pour fortifier notre communauté de destin et définir notre projet pour l’avenir.

Le "vivre-ensemble" des Luxembourgeois  et des non-Luxembourgeois qui ne sont pas loin de s’équilibrer n’est pas une donnée, mais le résultat d’un effort de tous. Chacun y a sa part, au quotidien comme sur le long terme. Rien n’est automatique, tout est le fruit d’une volonté en la matière et de choix qu’il faut assumer en toute conscience.

Divers dangers nous guettent, dont en premier celui d’une société cloisonnée, où les diverses communautés se côtoient sans se fréquenter ni s’enrichir mutuellement. "L’entre-soi" est un doux poison qui s’insinue lentement mais sûrement.

Il est de notre responsabilité de le combattre, chacun en sortant de sa zone de confort pour aller à la rencontre de l’autre.

Pour les non-Luxembourgeois, qu’ils soient immigrés ou expatriés, en faisant l’effort de l’intégration par l’acquisition de notre langue, comme par l’engagement dans notre vie associative.

Pour les Luxembourgeois, en se faisant un point d’honneur d’être des hôtes accueillants et bienveillants. Derrière la réserve naturelle de nos compatriotes se cache beaucoup de timidité et de générosité.

Mesdames et Messieurs,

Grandir, croître sans cesse, se remettre en question cela implique aussi des bouleversements fondamentaux pour notre pays comme pour notre collectivité.

Les défis qui sont devant nous ne sont en rien insurmontables, pourvu que nous restions fidèles à ce que nous sommes, à la conscience de notre particularité, comme à notre obligation d’ouverture.

En ce jour de fête nationale, qui est le jour qui nous unit tous, faisons la promesse de travailler encore et toujours à notre cohésion et à notre unité nationale. Veillons à ce ciment de notre société diverse et ouverte. N’est-ce pas là en effet, notre bien le plus précieux ?

Vive notre pays!"

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