Luc Frieden: Il faut éviter la délocalisation des capitaux

Quel est l'avenir du secret bancaire après le 11 septembre?

Luc Frieden: Le secret bancaire tel que nous le comprenons au Luxembourg ne subira aucune modification parce qu'il est démontré que ce n'est pas un instrument qui a favorisé l'avènement du terrorisme. En revanche, on a trouvé beaucoup de comptes appartenant à des terroristes dans des pays qui ne respectent pas le secret bancaire. Nous disons seulement que le secret bancaire doit être levé devant le juge: il protège la vie privée, il ne protège pas les criminels. Le secret bancaire absolu n'existe pas chez nous.

Iriez-vous jusqu'à dire, comme certaine personnalité britannique, qu'il fait partie des droits de l'homne ?

Luc Frieden: Si c'est le cas, ce n'est pas l'un des premiers. C'est surtout une mesure de protection de la vie privée. Ici, nous n'avons pas l'habitude d'indiquer à tout le monde le montant de notre salaire, de l'héritage qu'on a touché, la valeur de notre maison, etc. Nous ne faisons pas comme aux Etats-Unis.

Est-ce que la mobilisation actuelle pour traquer le terrorisme et l'argent sale annonce un changement dans le rôle de l'Etat ?

Luc Frieden: J'ai toujours plaidé pour un rôle plus actif de l'Etat dans la lutte contre le terrorisme. Les différentes autorités chargées de la lutte contre la criminalité en Europe doivent échanger leurs informations. Je l'ai dit au dernier Conseil des ministres de la Justice et des Affaires intérieures des Quinze. Nous avons tous des cellules chargées des enquêtes financières, mais elles ne coopèrent pas entre elles. C'est l'un des problèmes qui s'est posé dans le contexte du 11 septembre: chacun avait des informations qu'il n'a pas forcément transmises aux autres. Or nous ne voulons pas que d'autres événements négatifs portent atteinte à l'image de la place de Luxembourg.

Le Luxembourg dispose-t-il d'un fichier central des comptes bancaires, comme la France ?

Luc Frieden: Non, les banques ne veulent pas que leurs concurrents sachent qui dispose d'un compte chez qui. Mais il n'y a que 200 banques au Luxembourg, il est donc facile de les interroger. Tout est plus simple dans un petit pays, l'autorité de surveillance connaît les banques et leurs dirigeants.

Les commissions rogatoires étrangères sont-elles exécutées rapidement quand il s'agit d'un délit financier ?

Luc Frieden: Ici, les commissions rogatoires ne passent pas par le ministère de la Justice, elles sont transmises directement aux autorités judiciaires depuis près de deux ans et à mon initiative. Et, depuis trois ans, je n'ai jamais bloqué une commission rogatoire. Quant aux délais, ils sont variables. Il y a au Luxembourg des possibilités de recours en cascade, mais je les ai limitées dans le temps.

La fraude fiscale est-elle un délit pénal au Luxembourg ?

Luc Frieden: Nous distinguons l'escroquerie fiscale qui est chez nous un délit pénal et la fraude fiscale qui relève de simples sanctions administratives.

Quelle est la différence ?

Luc Frieden: C'est une question de montants et de procédés.

L'harmonisation de la fiscalité de l'épargne en Europe semble bloquée. Pourquoi le Luxembourg s'est-il abrité derrière la Suisse au sommet de Feira en liant l'aboutissement des conclusions à l'implication de certains pays tiers ?

Luc Frieden: Le sommet de Feira a seulement dit que l'échange d'informations était l'objectif ultime. Ce qu'il faut éviter, c'est la délocalisation des capitaux hors de l'Union européenne qui serait néfaste pour nos économies. Donc nous souhaitons que la Suisse et les centres off-shore appliquent aussi l'échange d'informations. Si tous les pays européens mais aussi les territoires qui dépendent d'eux le font, le Luxembourg le fera. La Grande-Bretagne, qui est devenue un fervent défenseur de l'échange d'informations, devrait être capable d'obtenir que les territoires qui dépendent d'elle agissent de même... En attendant, nous préférons la retenue à la source. Nous avons toujours plaidé pour une harmonisation de la retenue à la source en Europe, cependant on n'a pas voulu discuter notre proposition. Si c'était le cas, nous aurions une véritable taxation européenne de l'épargne. Mais beaucoup de pays voulaient rester maîtres de leur taux d'imposition.

En quoi l'échange d'informations vous dérange-t-il plus que la retenue à la source ?

Luc Frieden: Le secret bancaire s'oppose à l'échange d'informations.

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