Lydie Polfer: Je ne veux pas la guerre, mais nous respecterons nos engagements d'allié de l'OTAN

"Tageblatt": Madame le Ministre, Le Quotidien a fait état hier d'un rapport officieux de l'ambassadeur Berns. Cet ancien secrétaire général de votre ministère a-t-il été mandaté par vous?

Lydie Polfer: Non, c'est ni un rapport interne, ni un rapport officiel. Ce sont des réflexions de M. Berns.

"T": Et comment ces réflexions ont-elles été adressées à la presse?

L. P.: Ah, ça je ne saurais vous le dire.

"T": Le rapport vous a été soumis?

L. P.: Une copie m'a été transmise.

"T": Mais le texte est bien une initiative de l'ambassadeur.

L. P.: Ah oui.

"T": Dans ce rapport votre ancien secrétaire général vous critique ouvertement ainsi que les options prises par votre ministère. Qu'en pensez vous? Y a-t-il du désordre dans ce ministère, n'y a-t-il plus de ligne politique conséquente?

L. P.: En fait M. Berns relate certaines discussions qui sont le propre de chaque administration et la plupart des questions de fond soulevées ont été l'objet d'une discussion soutenue, aussi bien au niveau de la Chambre des Députés que de notre maison.

Faut-il souligner que la politique des Affaires étrangères est déterminée par le ministre, qu'il est certes conseillé par son directeur, son secrétaire général, mais que c'est lui, seul, qui détermine les priorités de la politique et qui les soumet chaque année lors de sa déclaration publique au Parlement?

Bien sûr, les différentes options en priorité sont débattues et il y a dans cette maison un travail énorme à accomplir. J'ai d'ailleurs eu l'occasion de rappeler à maintes reprises le travail presté par les fonctionnaires de cette maison et qui est vraiment exceptionnel et exemplaire. Cela dit, il n'y a pas toujours unanimité. Il faut faire des choix tous les jours et cela tient parfois du miracle si le Luxembourg est aussi bien représenté au niveau international et européen.

"T": Monsieur Berns vous rapproche notamment d'ouvrir des ambassades à tort et à travers et de négliger les contacts avec nos partenaires de l'Union européenne. Qu'en pensez vous?

L. P.: Il dit qu'il est plus facile d'ouvrir une ambassade que d'en fermer une. Moi je n'en ai ouverte qu'une, c'est celle en République tchèque, et cela sur proposition de Monsieur le secrétaire général. Nous avons discuté il y a deux ans et nous avons estimé que, vu l'élargissement à venir, il serait important d'avoir une présence dans ces nouveaux pays. Nous avons retenu trois pays, à savoir la Pologne, la Hongrie et la République tchèque. Ce fut Prague parce que le gouvernement précédent l'avait promis.

"T": M. Berns critique vertement la politique de la coopération et notamment l'ouverture envers Cuba ce qui est un choix, me semble-t-il, avant tout politique et non pas un choix technocratique ...

L. P.: Justement. Je vous propose d'ailleurs de contacter M. Goerens à ce sujet. Mais sur le fond, vous avez exprimé exactement ce que je veux exprimer, à savoir que c'est un choix politique.

Il se trouve que je rentre de Cuba et les projets que j'ai pu visiter et qui ont donc été choisis par des ONG luxembourgeoises, notamment un hôpital pour enfants et nouveaux-nés sont vraiment des projets extraordinaires. Je dois dire que l'argent y investi l'a été à bon escient. Une maison comme la nôtre vit de la discussion politique, mais il revient au responsable politique de trancher et là, M. Goerens et moi même sommes complètement d'accord. Ensuite, c'est au directeur ou à la direction de la coopération de préparer les dossiers pour le ministre qui décide. Avec ou sans l'accord de M. Berns.

"T": M. Berns a laissé croire dans les médias qu'il aurait démissionné, alors qu'une rotation plus générale est intervenue au sein du corps diplomatique l'été dernier. Pourquoi laisse-t- il entendre qu'il aurait démissionné?

L. P.: Je ne sais pas si c'est lui qui a dit ça, ou si c'est la presse qui l'a repris comme ça. En tout cas le fait est que j'entendais donner un nouveau poste à M. Berns et je l'en ai informé le 30 janvier 2002, ainsi que d'autres directeurs et diplomates concernés. Le changement était prévu pour début août.

Ce qui est exact, c'est que tout d'un coup M. Berns a demandé à être déchargé de ses fonctions en attendant de partir pour Genève. Mais il n'était jamais question de démission.

"T": Beaucoup de ses collègues ambassadeurs font état de très mauvaises relations, justement avec l'ancien secrétaire général. Est-ce que cela a anticipé votre décision?

L. P.: Non, c'est un point sur lequel je ne veux pas entrer en détail.

Je crois que nous sommes une maison qui compte de fortes personnalités et donc il faut savoir gérer cette ressource, cette richesse extraordinaire au niveau des compétences. C'est un don particulier.

Non, je ne veux pas la guerre.

"T": Parlons un peu de la ligne transparente du Luxembourg par rapport aux dossiers internationaux. Pourquoi avons-nous à l'instar de la France, de l'Allemagne et de la Belgique défendu un certain point de vue à l'OTAN, alors qu'endéans huit jours, tout d'un coup, nous ne sommes plus sur la même ligne que ces trois pays alliés européens?

L. P.: Non, la présentation qui a été faite dans la presse, qui a été alimentée à dessein par les uns et les autres, n'est pas toute à fait correcte.

Le fait est que vers la mi-janvier, dans un tour de table tout à fait inofficiel qui ne fut pas suivi d'une décision, on a demandé quelle serait la position des différents pays si éventuellement la Turquie demandait à bénéficier de l'article 4 de l'OTAN, c.-à-d. demandait une aide au cas où elle serait en danger. Il était, dans ce contexte, également question de certaines aides bilatérales que les Américains ont demandées dans le cadre atlantique.

Dans ce premier tour de table, notre approche fut de dire que nous n'étions pas opposés à ces demandes, mais que nous estimions que c'était prématuré. Nous voulions attendre les premières conclusions du rapport des MM. Blix et ElBaradei, prévu pour le 27 janvier au conseil de sécurité à l'ONU.

Ce fut pour nous une question de timing.

Ce premier tour de table a fait dire à Monsieur Rumsfeld que l'OTAN était en train de préparer l'action militaire, ce qui a amené ceux qui avaient eu une position soit plus négative soit plus nuancée, mais dans ce cas surtout ceux qui avaient eu une position plus négative et donc les partenaires français, que nous n'étions pas dans des préparatifs et que d'ailleurs ils n'étaient pas seuls à se poser des questions, qu'il y avait l'Allemagne, la Belgique et le Luxembourg aussi. Tout ça sans communiqué précis et pour créer une certaine atmosphère.

Arrive le 27 janvier. Il ressort très clairement du rapport de M. Blix que l'Irak ne coopère pas activement et qu'il faudrait une plus grande pression. Nous en avons tenu compte dans nos considérations.

 

"T": Oui, mais la Turquie n'est pas pour autant en danger pour l'instant, même si elle a demandé formellement de bénéficier de l'article 4 ce lundi.

L. P.: La Turquie est un pays voisin, membre de l'OTAN. Nous sommes en discussion depuis ce matin parce qu'elle a demandé officiellement à bénéficier de l'article 4 et il est évident qu'en tant que partenaire allié, nous donnions notre accord.

Ce n'est donc pas un revirement, c'est la conséquence logique de notre position du début avec les nuances que j'y ai mises. M. Blix demande une plus grande pression sur l'Irak et il fallait y souscrire.

"T": A l'instar des opinions publiques européennes, l'opinion publique luxembourgeoise est majoritairement hostile à une guerre en Irak ou contre l'Irak. Vous avez donc une opinion publique contre la guerre, vous avez à Luxembourg un évêché qui a, à deux reprises pris officiellement positon contre la guerre et à sa suite l'organe de presse de l'évêché, l'ensemble des médias sont plutôt sur la même ligne. Qu'est-ce qui fait que le gouvernement seul semble avoir une position contraire?

L. P.: Non, personne n'est pour la guerre.

Je n'ai pas rencontré un seul qui me dise: Super, une guerre, on attendait ça! Il faut éviter une guerre, mais nous sommes dans une situation où il y a une menace. Nous sommes engagés dans une négociation internationale. Je ne peux que répéter ce que j'ai dit déjà mille fois. Il faut rester dans le cadre d'un suivi international de ce dossier. Il existe une procédure, il y a les inspecteurs et le premier rapport a été de l'avis de tout le monde beaucoup plus critique que ce que nous avons cru. Ils y sont retournés, ils reviennent vendredi. Attendons ce qu'ils vont dire. Kofi Annan disait: la préparation à la guerre peut être beaucoup plus efficace que la guerre elle-même. Car il faut bien voir que nous n'avons pas à faire à des enfants de chœur.

"T": Vous parlez des Américains ou des Irakiens?

L. P.: Je parle des Irakiens. Il ne faut pas se tromper, le régime de Bagdad n'a pas hésité à sacrifier son propre peuple. La preuve n'est pas à faire, elle est là. La communauté internationale unanime a été d'accord pour suivre un processus. Alors suivons-le. Unanime, je l'ai dit à la Chambre des Députés, Syrie comprise.

On parle toujours du pétrole; je ne crois pas qu'il y ait une guerre seulement pour le pétrole. Je ne pense pas que la Syrie ait donné son accord à la résolution 14-41 sans raisons.

"T": Que vous a demandé, en prévision d'une éventuelle guerre, le gouvernement américain?

L. P.: La demande était de savoir si, en cas d'intervention en Irak, le Luxembourg était prêt pour accorder une aide humanitaire. Nous avons évidemment dit oui.

"T": Mais on a pas encore parlé de stratégie militaire?

L. P.: Non. Au cas où, nous devrions simplement respecter nos engagements en tant que membre de l'Alliance atlantique.

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