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Luc Frieden: De l'imagination pour préserver les recettes
Le Quotidien: Le budget de l'État pour 2004 accuse un important recul des recettes courantes alors que les dépenses du même ordre continuent de progresser. Cette disparité entre les deux courbes n'annonce-t-elle pas des lendemains difficiles?
Luc Frieden: Je crois que nous avons veillé à maîtriser la croissance des dépenses. Les dépenses augmentent moins vite que ce que permettraient les taux de la croissance du PIB et l'inflation prévue pour 2004. La croissance des dépenses est inférieure à la moyenne de la croissance enregistrée au cours des deux dernières décennies. C'est dans cet état d'esprit que nous avons établi ce budget, pour maintenir la bonne santé des finances publiques et mieux ficeler les prochains budgets de l'État, y compris en ce qui concerne le budget de fonctionnement et celui des investissements.
Avec le recul, ne doit-on pas souscrire à la critique émise surtout par le parti des Verts qui estime que la dernière réforme fiscale a été trop importante et insuffisamment sélective? Les impôts ont-ils trop baissé?
Je crois que la réduction des impôts au bénéfice des sociétés était nécessaire. Si on ne l'avait pas faite, certaines entreprises seraient parties du Luxembourg, d'autres n'auraient pas maintenu ou développé certaines activités au Grand-Duché. Grâce à notre réforme fiscale importante pour les personnes morales, un certain nombre d'activités du secteur financier ont été transférées à Luxembourg. Quant à la baisse des impôts dont ont pu bénéficier les personnes physiques, elle a un effet positif sur le pouvoir d'achat et donc sur les rentrées d'impôts indirects liés à la consommation. Avec le recul, je maintiens que la réduction fiscale est positive pour la croissance.
Le gouvernement annonce pour 2004 une seule hausse des prélèvements. La contribution sociale sera relevée à hauteur de 7 cents par litre d'essence débité dans les pompes. Cette mesure s'avère-t-elle suffisante, ne fautil pas s'attendre à de mauvaises surprises après les élections de juin 2004?
Je tiens d'abord à faire remarquer que la contribution sociale sur l'essence est un financement auquel nous avons déjà eu recours dans le passé pour combler le déficit du Fonds pour l'emploi. C'est un impôt qui s'inscrit dans une logique de solidarité entre ceux qui travaillent et ceux qui sont actuellement au chômage. Cet impôt nous permet, en outre, de réduire quelque peu les pressions qui sont exercées sur le Luxembourg par les gouvernements des pays voisins, cela parce que chez nous le prix de l'essence est bien inférieur à celui pratiqué au-delà de nos frontières. Il faut remarquer que, même après l'augmentation des 7 cents d'euro par litre, le prix du litre d'essence au Luxembourg restera nettement inférieur à celui pratiqué dans les pays voisins. Enfin, n'oublions pas qu'une partie de cette essence est achetée par ceux qui ne font que traverser notre pays. Le gouvernement a estimé que, par rapport à d'autres options, c'est un financement intelligent du Fonds de l'emploi. Le gouvernement n'a pas prévu d'autres augmentations, tant pour la fiscalité directe qu'indirecte.
Pourtant, certains de vos arguments pourraient également s'appliquer aux cigarettes. Les pays voisins augmentent leurs taxes sur le tabac, le Luxembourg ne doit-il pas suivre?
Une augmentation de ces taxes n'est pas prévue pour l'instant.
La marge de financement, l'excédent entre les recettes et les dépenses courantes, se réduit. Il devient donc plus difficile de financer directement les investissements. Jusqu'à quand le plan de financement pluriannuel des investissements est-il assuré?
Le financement pluriannuel des infrastructures est assuré pour les cinq années à venir puisque nous avions prévu une situation dans laquelle les recettes fiscales seraient moins importantes. C'est la raison pour laquelle le gouvernement a constitué de fortes réserves, surtout dans les années 1999 et 2000 lorsque le secteur financier a dégagé de très importantes recettes fiscales. Ces réserves servent aujourd'hui à financer les projets votés par le Parlement. Aujourd'hui, nous pouvons également recourir à de nouvelles dettes puisque nous n'avons pas fait d'emprunts au cours des dernières années et que nous sommes en train de rembourser la dette qui a été contractée il y a une dizaine d'années. Avec un nouvel emprunt de 200 millions d'euros, et vu le remboursement de la dette ancienne qui sera fait cette année, le taux d'endettement à la fin de 2004 ne sera pas plus élevé qu'au début de 2003. Cet emprunt permettra de mieux financer les investissements pour les routes et le rail.
À la veille de la présentation des chiffres clés du budget 2004, d'aucuns ont craint que l'État ne cède certaines de ses participations dans des sociétés industrielles et commerciales. A-t-on à tort utilisé le terme de privatisation, de vente des bijoux de famille?
Tout d'abord, et contrairement à ce qui se passe dans d'autres pays européens, le gouvernement n'envisage pas une privatisation et donc une vente de participations détenues par l'État dans des sociétés commerciales. Ensuite, depuis un certain temps déjà, nous avons estimé qu'il serait préférable de transférer un certain nombre de participations de l'État à la Société nationale de crédit et d'investissement (SNCI). Au niveau du budget de l'État, cela se repercuterait par certaines recettes certainement pas supérieures au montant de quelque 30 millions d'euros. Il s'agit de participations moins importantes de l'État, ce transfert ne concerne ni la Banque et Caisse de l'État (BCEE) ni l'Entreprise des postes.
L'une des caractéristiques de ce budget réside dans un quasi-arrêt de l'embauche à la Fonction publique, exception faite pour la police et l'enseignement. Le gouvernement affirme aussi ne vouloir remplacer qu'un minimum de départs en pension. Comment cela va-t-il se dérouler dans la pratique?
Nous souhaitons freiner au maximum les dépenses de fonctionnement de l'Etat, au vu aussi de la situation des recettes plus incertaines pour les années à venir. En outre, l'État a embauché un très grand nombre de fonctionnaires lors des trois dernières années. Face à ces deux éléments, le moment est opportun pour faire le point avec le nombre de fonctionnaires actuellement en service. Comme toute entreprise normale, il faudra examiner chaque départ à la retraite et voir si ce poste doit effectivement être remplacé ou si, suite à une réorganisation de certains services, ce poste peut être affecté à un autre service. C'est un exercice normal dans toute entreprise, il doit donc également être fait au niveau de l'État. Je suis également convaincu que les fonctionnaires, et leur représentation syndicale, comprendront cette décision et la considéreront comme une opération de maîtrise des dépenses qui est vitale. C'est une opération qui s'inscrit dans une logique qui est adoptée par d'autres gouvernements en Europe.
En dehors du vague espoir d'une reprise rapide de l'économie internationale, que peut faire le Luxembourg pour revitaliser les recettes fiscales?
Il faut continuer à consolider et à diversifier l'économie en général, la place financière en particulier. C'est ce que nous avons fait et ce que nous continuons à faire en adaptant notamment le cadre législatif, en présentant des projets de loi qui permettent de nouveaux développements dans l'économie. Je pense aux projets de loi comme celui sur la titrisation ou celui sur les sociétés d'investissement à capital risque. Je pense aussi à la création de nouvelles zones industrielles et aux projets en matière de commerce électronique.
L'économie continue et, si elle se développe à un rythme moins élevé, c'est à nous de redoubler d'imagination pour maintenir les recettes fiscales à un niveau qui permet de repondre aux nombreuses obligations d'un État moderne. Nous avons réussi à le faire jusqu'à présent. La situation est difficile, mais tant au niveau des finances publiques que de l'économie en général, bon nombre d'accents ont été mis pour que la situation reste meilleure que dans les autres pays de l'Union européenne.