Le ministre du Trésor et du Budget Luc Frieden au sujet de la place financière

d'Lëtzebuerger Land: Le gouvernement s'est engagé dans son programme de juin 1999 à soutenir le développement durable et la diversification de la place financière. Vous aviez fait aux banquiers des promesses d'amélioration et d'innovations législatives. Avez vous le sentiment du devoir accompli ?

Luc Frieden: Je crois que oui, car beaucoup de choses ont été réalisées au cours des cinq dernières années. Pour qu'une place financière puisse se développer, il faut tout le temps innover pour conserver sa compétitivité et lui permettre, dans un environnement politique et social stable, de se développer. Dans ce contexte, nous avons adopté bon nombre de projets de loi, notamment en madère d'OPC, de législation sur les fonds de pension. Nous avons aussi amélioré la loi sur les banques d'émission de lettres de gage et modifié la législation sur les transferts de propriété à titre de garantie. Au niveau européen, nous avons négocié une solution compétitive pour la place financière en matière de fiscalité. Un certain nombre de projets de loi sont actuellement en discussion au parlement comme les Sicars en matière de venture capital ou la titrisation. Il ne faut pas oublier non plus la grande réforme fiscale que nous avons entreprise, et qui bénéficie tant aux salariés de la place financière qu'aux banques elles-mêmes. Un travail considérable a été accompli. Evidemment, si nous voulons rester compétitifs, le travail n'est jamais terminé. Il restera des projets pour les années à venir.

Le programme gouvernemental comprend aussi un volet sur la promotion de la place financière. Vous vous êtes engagé à assurer, je cite, "une activité promotionnelle professionnelle et efficace". Dans le projet de budget 2004, quelle est l'enveloppe que le ministère du Trésor et du Budget accorde à la promotion de la place financière ?

Luc Frieden: Je ne crois pas que ce soit principalement une question de budget. Il faut d'abord savoir qui fait quoi et savoir vendre cette place financière. Nous avons eu un problème de communication aussi longtemps que nous n'offrions pas de solution acceptable en matière de fiscalité européenne. Le fait que nous ayons maintenant une solution européenne qui confirme pour la première fois au niveau communautaire le maintien du secret bancaire tout en introduisant une retenue à la source raisonnable pour les capitaux des non résidents déposés au Luxembourg, nous permet dorénavant de mieux pouvoir vendre cette place financière diversifiée en Europe. Cette communication, nous avons déjà commencé à la faire puisque j'ai effectué un certain nombre de voyages de promotion à l'étranger notamment aux États-Unis pour y promouvoir les fonds d'investissement. Je souhaite que nous puissions faire plus à l'avenir. Il faut voir quelle est la meilleure façon de faire cette communication. L'État a un rôle à jouer, mais les acteurs de la place aussi. A nous de promouvoir les atouts législatifs et structurels de la place; aux acteurs de la place les différents produits. Que la meilleure façon pour ce faire soit une structure ou quelque chose de plus flexible, c'est un débat qu'il faudra encore mener. Mais ce débat ne nous empêche pas d'ores et déjà de faire une promotion efficace en Europe et à l'extérieur de l'Europe.

Vous venez de parler d'un voyage de promotion aux États-Unis pour promouvoir l'industrie des fonds d'investissement. Est-ce que vous encouragez de la même manière le secteur de la gestion de fortune ? Est-ce qu 'il n'y a pas un débat pour définir des activités à promouvoir en priorité ?

Luc Frieden: Non, parce que j'ai toujours insisté pour que cette place financière soit une place forte, sérieuse et diversifiée. Nous devons y retrouver beaucoup de métiers et les maintenir et, pour ce faire, il s'agit de promouvoir chacun d'eux en leur créant un cadre de développement. Nous sommes ainsi moins vulnérables. C'est ce que nous avons d'ailleurs réussi à faire au cours des dernières années. Nous devons expliquer chacun des métiers de la place et le faire non seulement en Europe où il existe une perception du Luxembourg qui ne correspond pas toujours à la réalité mais aussi ailleurs aux endroits appropriés.

Précisément, en terme d'image de marque de la place financière à l'étranger, voyez-vous une amélioration depuis ces cinq dernières années ?

Luc Frieden: Il y a une amélioration sensible de la perception de la place au niveau des gouvernements étrangers et de la presse internationale sérieuse. Ceux qui s'intéressent aux faits constatent que l'entraide judiciaire internationale est aujourd'hui meilleure que celle de beaucoup d'autres pays au sein de l'Union européenne, notamment à la suite de la loi d'août 2000 en matière d'entraide judiciaire. Nous avons aussi fait en matière de fiscalité des propositions constructives qui ont en même temps permis de maintenir la compétitivité de la place financière et qui n'entreront en vigueur que si les mêmes systèmes existent partout en Europe, y compris dans les pays tiers et les territoires dépendants. Cela a été compris par nos partenaires. La place est aujourd'hui mieux positionnée qu'elle ne 1'était il y a quelques années.

Sur le plan de la structure que pourrait prendre la promotion de la place financière, vous ne souhaitez pas avancer des propositions ? Si par exemple demain, des banquiers venaient vous voir pour vous demander de participer à une action de promotion de la place, seriez vous partant ?

Luc Frieden: Tout à fait. Je ne suis pas opposé à la création d'une structure particulière, mais je le répète, il faut que les rôles de chacun soient clairement définis. Dès lors que les rôles le seront, si une structure peut s'avérer utile, le gouvernement ne s'y opposera certainement pas, bien au contraire. Mais il faut que les acteurs eux-mêmes jouent un rôle important dans la promotion. Le gouvernement crée un cadre à l'intérieur duquel les acteurs économiques doivent se développer eux-mêmes. Je ne suis pas opposé à une structure de promotion si cela peut être plus efficace que ce que nous faisons maintenant.

Cela veut-il dire que si les banquiers luxembourgeois lancent une initiative de promotion de la place, c'est à eux de la payer et qu'ils ne doivent pas s'attendre à ce que le gouvernement les appuie financièrement ?

Luc Frieden: Il s'agit moins d'une question de coût que d'une question de répartition des rôles. Ceci étant dit, il est évident que chacun devra prendre ses responsabilités y compris ses responsabilités financières comme dans les autres secteurs économiques.

A l'étranger, vos actions de communication pour la place financière ont surtout été défensives, on l'a vu notamment lors de la publication du rapport des députés français Vincent Peillon et Arnaud Montebourg sur le Luxembourg et la lutte contre le blanchiment d'argent. Allez vous désormais vous montrer plus proactif ?

Luc Frieden: Je conteste ce jugement car à de nombreuses reprises ces dernières années, j'ai communiqué sur la place financière de façon positive et en dehors de toute accusation. La situation était différente lors de la publication du rapport Montebourg, dans la mesure où il s'agissait d'un représentant élu de la France et que ce rapport a eu un écho très large dans la presse française. Il m'a semblé alors utile de réagir au même moment pour que la présentation dans la presse française soit un peu plus équilibrée. Pour le reste, je n'ai pas l'intention de réagir à d'autres publications. Je ne l'ai d'ailleurs pas fait au sujet du livre de Madame Joly qui contient beaucoup de faits qui ne correspondent pas à la réalité.

Comment appréciez-vous les démarches de promotions économiques effectuées par d'autres ministères comme celui des Affaires étrangères ?

Luc Frieden: Il s'agit de bonnes démarches car tout ce que fait le gouvernement luxembourgeois s'inscrit dans une ligne de conduite commune: développer l'économie luxembourgeoise que ce soit de la part du ministère des Affaires étrangères ou de ceux de l'Économie et des Finances.

Vous avez mis en place au printemps 2000 le comité de développement de la place financière, le Codeplafi. D'abord, quel bilan tirez-vous de ces travaux et ensuite ne convient-il pas de donner plus de visibilité et de publicité à ses travaux qui restent la plupart du temps confidentiels ?

Luc Frieden: D'abord, le comité de développement de la place financière a accompli un travail très utile. Je voulais avoir un organe consultatif dans lequel soient représentées des personnalités de différents secteurs d'activités de la place financière que je pourrais consulter sur un certain nombre de sujets. Je reçois beaucoup d'échos de ce comité qui m'aide à développer différentes actions politiques. Ensuite, je ne souhaitais pas un organe qui puisse prendre des décisions, lesquelles doivent être prises par les autorités politiques. De plus cet organe travaille mieux quand il peut simplement discuter et faire des suggestions. L'objectif n'est pas d'en faire un organe décisionnel.

Le comité d'observation des marchés financiers, le Cobma, a réalisé il y a quelques mois une étude sur l'avenir du Luxembourg comme centre financier on shore et l'opportunité d'attirer à résidence au Grand-Duché des familles extrêmement riches. Quelle appréciation portez-vous à ce projet ?

Luc Frieden: Il est trop tôt pour se prononcer. Nous sommes en train d'examiner ce que cet organe consultatif a écrit. Ensuite, tout cela devra s'inscrire dans les propositions qui ont été énoncées par le Premier ministre lors de la déclaration sur l'état de la nation et qui verront le jour au plus tôt en 2005, au moment de l'entrée en vigueur de la directive sur la fiscalité de l'épargne. Il s'agit d'un sujet complexe et sensible. La priorité était, dans ces annonces, de veiller à une fiscalité attractive pour les résidents, c'est-à-dire ceux qui sont déjà au Luxembourg. Si cela peut avoir d'autres répercussions sur certaines activités de la place financière, cela peut être positif du point de vue économique.

Les autorités luxembourgeoises se sont bien gardées d'intervenir sur le dossier de l'amnistie fiscale en Belgique. Jean-Claude Juncker a dit au parlement qu'il fait confiance à I'ABBL pour se défendre toute seule. En votre qualité de Monsieur place financière du Gouvernement, appuyez-vous cette démarche qui consiste à demander aux banquiers de se débrouiller ?

Luc Frieden: Un, il n'est pas dans les usages des gouvernements de commenter en public les projets de loi des gouvernements voisins et amis. Deux, au moment où ces projets de loi ont été discutés en public, la version finale du texte n'était pas encore connue. Il est évident que le gouvernement luxembourgeois veillera à ce que la Commission européenne, compétente en la matière, examine les projets de loi quant à leur conformité avec le droit communautaire. Pour le reste, je peux vous informer que nous avons eu des contacts avec le ministre belge des Finances en marge dés réunions de Dubaï du FMI et de la Banque mondiale pour insister pour que ces projets de loi, qui étaient encore à l'époque au stade d'avant-projets, soient conformes à la législation européenne et maintiennent le bon fonctionnement du marché unique.

Il y a un an, les autorités luxembourgeoises sont tout de même vite intervenues en appuyant les démarches de l'Alfi, l'Association luxembourgeoise des fonds d'investissement, pour dénoncer des dispositions discriminatoires de la réforme des fonds d'investissement en Allemagne. Est-ce qu 'il n'y a pas là deux poids et deux mesures ?

Luc Frieden: Pas du tout, car dans les deux cas, nous souhaitons que la Commission européenne examine les textes. Pour l'heure, il appartient à la Commission européenne de faire son travail. Je note d'ailleurs que le texte belge a été modifié à plusieurs reprises. Pour nous, le droit communautaire prime. Il appartient à ceux qui en sont les gardiens de faire leur travail. Nous suivrons cela avec une très grande attention.

Pour en revenir à la défense des intérêts des entreprises financières confrontées à des mesures discriminatoires en général et en particulier aux compagnies d'assurance luxembourgeoises qui ont d'importantes difficultés sur le marché français, est-ce qu'il n'est pas regrettable de ne pas être intervenu plus tôt auprès de la Commission européenne pour faire cesser ces dispositions pénalisantes ? Cet exemple français n'incite-t-il pas précisément à une attitude plus offensive sur le dossier de l'amnistie belge ?

Luc Frieden: On ne peut pas établir une règle générale qui s'applique à tous les cas. Il est un fait que nous discutons de ces différentes matières et sur la meilleure façon d'agir avec les organisations professionnelles. Pour nous, il est très important d'avoir un contact permanent avec ces organisations. C'est d'un commun accord et après concertation qu'en général, soit les organisations professionnelles soit le gouvernement interviennent. Je crois qu il faut voir pour chaque législation quel est l'instrument efficace pour agir vis-à-vis des autorités communautaires.

Quand comptez-vous déposer le projet de loi sur l'introduction d'une retenue à la source libératoire de dix pour cent pour les résidents ?

Luc Frieden: Le gouvernement n'a pas encore décidé s'il va soumettre ce projet de loi au parlement avant les élections. En tout état de cause, ce projet de loi n'entrera en vigueur qu'après 2005.

Et la directive sur la fiscalité de l'épargne pour les non-présidents ?

Luc Frieden: Le gouvernement a l'intention d'adopter ce projet avant la fin de cette année ou au plus tard au début de l'année prochaine pour qu'il puisse être voté au cours de l'année 2004. Mais il est évident que ce projet de loi n'entrera pas en vigueur si, soit les territoires dépendants, soit les pays tiers n'appliquent pas le même système, ce qui sera constaté à l'unanimité par le Conseil Ecofin. Il y aura donc dans le projet de loi une disposition particulière concernant son entrée en vigueur qui sera conditionnelle.

Vous venez, de déposer les projets de loi sur la titrisation et sur les sociétés de capital risque. Ou en êtes-vous avec le projet de loi sur la TVA groupe qui devrait être déterminant pour les entreprises financières à rester au Luxembourg ou à s'y implanter ? Est-ce que la titrisation et les Sicars retiennent davantage la priorité du gouvernement ?

Luc Frieden: Pas du tout. Le règlement sur la TVA groupe est en train d'être finalisé au ministère des Finances. C'est une question de semaines maintenant avant que le texte ne soit discuté en conseil des ministres.

Sur la protection des intérêts des actionnaires minoritaires, vous vous êtes engagés à légiférer si le dossier au niveau européen n'évoluait pas. Avez-vous encore l'espoir que les choses bougent avant la fin de l'année ?

Luc Frieden: Il faut toujours donner la priorité aux travaux européens pour éviter sur le plan national des dispositions contraires. Je confirme que si avant la fin de l'année, le Conseil des ministres européens du marché intérieur ne parvient pas à une solution, le gouvernement déposera un projet de loi au début de l'année prochaine. Les travaux sont bien avancés. Ce projet confirmera les principes généraux en la matière, c'est-à-dire le traitement égalitaire des actionnaires, davantage d'informations pour les minoritaires, une période de réflexion et des règles de transparence. Nous nous inspirerons de la proposition de directive actuellement sur la table.

Le projet de loi sur le blanchiment a déclenché l'hostilité de la communauté bancaire qui craint que la place financière se définisse surtout par la sanction pénale. Allez-vous revenir sur des choix comme celui d'étendre le blanchiment à tout crime alors que les banquiers réclament le maintien d'une liste déterminée des infractions primaires ?

Luc Frieden: Ce n'est pas le gouvernement luxembourgeois qui a eu cette idée. L'obligation résulte des engagements internationaux pris par le Luxembourg, tant au niveau du Conseil de l'Europe que de l'Union européenne.

Mais vous allez, quand même plus loin que la directive européenne d'après ce que disent les banquiers ?

Luc Frieden: Ce n'est pas correct. Le fait que nous ayons été si sévères en matière de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme a fait en sorte qu'aujourd'hui la place financière est respectée à travers le monde et considéré comme étant sérieuse, stable et diversifiée. C'est l'objectif prioritaire du gouvernement. De nombreux points évoqués par la Chambre de commerce dans son avis pourront être clarifiés. Le ton a parfois surpris mais je suis convaincu que, par un débat sur certaines observations faites par l'ABBL via la Chambre de commerce et à la lumière des textes internationaux, nous trouverons un terrain d'entente.

Que répondez, vous à l'ABBL qui réclame l'autonomie de la cellule de renseignements financiers chargée de recueillir les déclarations de soupçons de blanchiment?

Luc Frieden: Nous allons maintenir les compétences actuelles du Parquet qui furent discutées longuement à l'époque avec le secteur financier. J'ai l'impression que cette cellule qui relève du Parquet a fait un bon travail.

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