Interview de fin d'année avec le Premier ministre Jean-Claude Juncker: Si telle est la volonté des électeurs, je resterai Premier ministre

Le gouvernement arrivera an terme de la législature en juin prochain. Quels sont vos projets prioritaires pour les derniers mois?

Jean-Claude Juncker: Je voudrais voir mener à bon port certaines réformes sociétales, par exemple la loi sur le partenariat, la nouvelle législation sur la presse mais aussi sur l'initiative populaire et le référendum. Tout comme il convient de conclure le débat gravitant autour d'un certain nombre de projets de loi conduisant à une meilleure structuration de notre place financière. Je pense en particulier au projet de loi sur la titrisation.

Croyez-vous à la possibilité d'une reprise en 2004?

Jean-Claude Juncker: Tous les instituts scientifiques et les organisations internationales partent de l'idée qu'elle ne tardera pas à produire des effets bénéfiques. Les premiers éléments venant des Etats-Unis et les signes perceptibles en Europe me font croire à cette reprise au cours du deuxième semestre 2004 mais le véritable envol n'aura lieu qu'en 2005.

Le chômage ne cesse d'augmenter, et le ministre du Travail, François Biltgen, pense que le mouvement va encore se poursuivre. Quel est votre sentiment?

Jean-Claude Juncker: Il est vrai que le nombre de chômeurs a sensiblement augmenté. Nous avons passé le cap des 4%, ce qui n'enlève rien au fait que nous sommes toujours le pays au taux de chômage le moins élevé de l'Union européenne. Il est aussi vrai que la situation devient préoccupante, car la croissance ne sera pas suffisante et suffisamment conséquente pour nous permettre d'enrayer le phénomène à court terme. Je pars de l'idée que le nombre de chômeurs va s'accroître durant les premiers mois de 2004.

Je crois qu'il faut à l'égard de cette évolution adopter une attitude rigoureuse dans le chef des employeurs. Elle doit consister à ne pas corriger vers le bas leurs effectifs lorsque des problèmes économiques envahissent les entreprises. Mieux vaut parfois remettre à plus tard le dégraissage des effectifs, comme on dit un peu vulgairement, et attendre l'évolution.

Les salariés ne sont pas les ennemis de l'emploi. Il ne faudrait pas qu'ils soient les premiers à payer une dégradation de la situation.

Pour le reste il faudra que la politique de l'emploi devienne encore plus active, que le traitement individuel des chômeurs soit amélioré et que l'on imagine d'autres modes de gestion des ressources humaines en faisant valoir tous les instruments que tout notre arsenal met à la disposition des acteurs sociaux et économiques.

Qu'en est-il de votre proposition aux partenaires sociaux d'encadrer une réduction du temps de travail dans les entreprises en difficulté pour éviter que les plans sociaux ne touchent trop de monde?

Jean-Claude Juncker: La législation telle qu'elle est permet aujourd'hui de procéder à une réduction du temps de travail à condition que trouvent un emploi ceux qui sont sans emploi. Et qui sont enregistrés à l'ADEM. Aucune convention collective qui aurait prévu ce mécanisme n'est entrée en vigueur au cours des deux années écoulées.

Le ministre du Travail pense à raison qu'il faudrait davantage muscler ce mécanisme en prévoyant notamment que des réductions du temps de travail puissent intervenir pour sauver les emplois et que l'Etat accompagnerait ces réductions si elles permettent de maintenir le niveau de l'emploi.

Mieux vaut intervenir financièrement dans la gestion des ressources humaines des entreprises si elle fait des efforts pour garder les emplois plutôt que d'allouer cette somme au financement du chômage. Les partenaires sociaux sont en train de discuter de l'ensemble de ces problèmes avec le ministre du Travail.

Ne craignez-vous pas des effets négatifs de l'adhésion de nouveaux pays à l'Union européenne sur le marché du travail? En particulier pour les étrangers vivant au Luxembourg, sans grande qualification et déjà en difficulté?

Jean-Claude Juncker: Je ne vois pas de risque particulier découler de l'arrivée des nouveaux pays membres pour ceux qui vivent et travaillent au Luxembourg. Ceux qui en Pologne du Nord ou Slovaquie du Sud ont un emploi ou non ne vont pas le ler mai 2004 au matin se mettre en marche pour envahir le marché du travail au Luxembourg. Nous l'avions beaucoup craint en 1986 lors de l'adhésion du Portugal. Cette vague que certains avaient prédite n'est jamais arrivée.

La hausse importante du chômage coûte de plus en plus cher. La charge ne vous imposera-t-elle pas une réduction des indemnités?

Jean-Claude Juncker: Tous nos pays voisins ont procédé à une correction vers le bas. Je ne compte pas suivre ce mauvais exemple.

L'opposition vous reproche de ne pas avoir pris de mesures suffisamment drastiques pour ne pas effaroucher les électeurs. Des mesures plus énergiques n'auraient-elles pas permis de redresser la barre un peu plus tôt?

Jean-Claude Juncker: S'il avait fallu prendre des mesures draconiennes pour mieux préparer le pays aux aléas de l'an 2004, nous l'aurions sans doute fait. Mais comme nous arrivons, non sans peine tout de même, à financer le budget 2004 en ayant recours aux réserves importantes que nous avons accumulées, et comme tous les espoirs sont permis de voir la reprise poindre au courant du deuxième semestre 2004, j'attribue cette revendication de représentants de l'opposition à leur souhait intime de voir le gouvernement corriger vers le bas le niveau de la protection sociale.

Ceux qui réclament des réformes structurelles en faisant usage d'un vocabulaire politique de pays qui nous avoisinent ne peuvent en effet pas avoir en tête autre chose que ce que je viens de vous dire! Or il n'y a aucune urgence, aucune nécessité d'entamer le revenu disponible de ceux qui travaillent et vivent au Luxembourg. Si nous n'avions pas cette accumulation de réserves qui fut contestée par les mêmes politiques, il est évident que nous aurions plus de difficultés à financer le budget 2004.

Les étrangers non communautaires pourront voter aux élections communales de 2005. Quelles mesures comptez-vous adopter pour encourager leur participation?

Jean-Claude Juncker: Vous avez noté comme moi, alors que la plupart non, que le Luxembourg est un des seuls pays en Europe à avoir introduit pour les élections communales de 2005 le vote pour les résidents étrangers, qu'ils soient communautaires ou non.

A voir le drame et les gesticulations auxquels donnent lieu des projets du même type en France, en Allemagne ou en Belgique, il est tout à fait étonnant et même admiratif de voir le Luxembourg compléter sans drame sa législation électorale par l'adjonction de cet élément indispensable de démocratie. Le gouvernement luxembourgeois plaidera activement auprès des non-Luxembourgeois et des noncommunautaires pour qu'ils participent aux élections municipales.

Pour quand et comment l'introduction de la double nationalité?

Jean-Claude Juncker: Le ministre de la Justice recevra un rapport de deux experts belges sur un projet au courant du mois de janvier. Les partis politiques devront se positionner lors de la rédaction de leur programme électoral.

Pour le parti chrétien-social, nous avons décidé de nous prononcer en faveur de l'introduction de la double nationalité. Je l'ai déjà dit à de multiples reprises: ceux qui vivent chez nous, venant d'ailleurs et qui ont épousé la réalité luxembourgeoise avec toutes ses facettes doivent pouvoir adopter la nationalité luxembourgeoise sans devoir mettre en pièces la partie de leur biographie qui les relie au premier segment de leur vie. La double nationalité permettra aux non-Luxembourgeois de devenir Luxembourgeois sans cesser d'être ce qu'ils sont.

Le ralentissement économique semble éloigner le spectre des 700.000 habitants, considéré comme un chiffon rouge par certains politiques. Comment vous positionnez-vous maintenant dans ce débat?

Jean-Claude Juncker: Là où j'étais et là où je vais rester. On n'aime pas évoquer le sujet des 700.000 habitants car on n'aime pas aborder les problèmes à moyen et long terme du financement de notre système vieillesse.

Toujours est-il qu'en 2002 et 2003 le rythme démographique du Luxembourg ne s'est pas considérablement ralenti. Sur la seule année 2002 nous avons connu une évolution qui rappelle celle des années précédentes. Il y a 4.250 habitants de plus qu'en 2001. On ne parie plus des problèmes de l'évolution démographique, ce qui ne l'empêche pas d'avoir lieu.

Dans l'ardeur de la campagne électorale sans doute, un commentateur de l'opposition a trouvé des analogies entre Jean-Claude Juncker et Berlusconi. Quelles réactions cela vous inspire-t-il?

Jean-Claude Juncker: Aucune, sauf le mépris.

L'opposition ne cesse de vous reprocher de ne participer aux élections de 2004 que pour mieux rebondir vers une carrière européenne ou internationale. Si le CSV reste au gouvernement, postulerez-vous toujours au poste de Premier ministre et pour combien de temps?

Jean-Claude Juncker: Je dis et redis et je le redirai au moins une centaine de fois avant les élections. Si le parti chrétien-social remporte les élections et si les électeurs devaient s'exprimer de façon à me convaincre de leur volonté de voir le Premier ministre actuel continuer à assumer ses fonctions, je continuerai à assumer ces fonctions.

J'ai été très clair à ce sujet mais je ne peux empêcher ni la presse internationale ni un certain nombre d'hommes politiques européens de suggérer ma présence à la tête de l'exécutif européen. Mais je resterai Premier ministre au Luxembourg si telle devait être la volonté des électeurs.

Il y a des rumeurs selon lesquelles la Commission serait prête à reculer la date de désignation de son président pour vous permettre d'achever votre cycle électoral.

Jean-Claude Juncker: De toute façon, si le parti chrétien-social gagne les élections, je resterai Premier ministre en juin et le serai toujours en septembre.

Et vous n'irez pas à Bruxelles?

Jean-Claude Juncker: J'ai toujours exclu, en cas de victoire électorale de mon parti, de m'exiler sous des cieux moins exigeants.

Si les électeurs envoient le CSV dans l'opposition, Jean-Claude Juncker en sera-t-il le leader pour le ramener au pouvoir?

Jean-Claude Juncker: Je ferai tout pour que le CSV ne devienne pas un parti d'opposition.

Il se murmure que le ministre de l'lntérieur, Michel Wolter, aurait bien été tenté par une carrière à la tête de la Fédération luxembourgeoise de football mais qu'il a été rappelé à l'ordre par son chef de gouvernement. Est-ce exact?

Jean-Claude Juncker: Ce n'est pas exact. Il ne m'en a pas parlé et je n'ai pas davantage évoqué la question avec lui.

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