Le Premier ministre Jean-Claude Juncker au sujet des principaux dossiers de l'actualité internationale en 2003

Sur le plan international, l'année finissante aura été marquée par la capture de Saddam Hussein. Or les images de cette arrestation semblent avoir indisposé bien des lecteurs et téléspectateurs de ce côté-ci de l'Atlantique. Avez-vous, de même, éprouvé un certain malaise face à cette exhibition?

Jean-Claude Juncker: Oui! Absolument. Certes, Saddam Hussein fut un dictateur de la pire espèce, un despote sanguinaire qui a fait tuer et torturer, et que dès lors je ne plaindrai pas. Cependant, je ne souhaiterais pas à mon pire ennemi l'humiliation qui a été infligée à cet homme, et je répète: oui, les images de cette arrestation m'ont indisposé. Au demeurant, la maturité d'un Etat de droit s'évalue à l'aune du traitement qu'il réserve à ceux qui ont fauté. Je ne puis qu'espérer désormais que Saddam Hussein ait un rendez-vous conséquent avec ses juges.

Des juges irakiens?

Jean-Claude Juncker: Un pays qui n'aurait pas la capacité de juger les crimes qui lui ont été infligés aura en tout état de cause bien du mal à préparer son avenir dans la sérénité. Il serait donc sage que les Irakiens puissent du moins participer au jugement de leur ancien président; s'ils pouvaient le faire seuls, j'en serais ravi.

Des voix se sont élevées pour réclamer la peine capitale. Cette perspective vous semble-t-elle tolérable?

Jean-Claude Juncker: Je suis adversaire de la peine de mort depuis que je suis en âge de penser.

Et vous les resterez...

Jean-Claude Juncker: Je le resterai.

En cette année 2003 encore, l'échiquier international aura été ébranlé par le conflit israélo-palestinien. Dernier épisode en date: l'engagement d'Ariel Sharon à procéder au démantèlement d'implantations juives en territoires palestiniens - Cisjordanie et bande de Gaza. Y croyez-vous?

Jean-Claude Juncker: Je le souhaite.

Sceptique?

Jean-Claude Juncker: L'Orient est à ce point compliqué que les réponses aux questions qu'il soulève ne sauraient être simples.

Faut-il miser encore sur Yasser Arafat, au rebours de Washington et, surtout, du Premier ministre israélien?

Jean-Claude Juncker: On en saurait l'exclure. Un processus de paix au Proche-Orient qui ne ménagerait pas une place privilégiée au président de l'Autorité palestinienne serait voué à l'échec. J'ajoute que cette affirmation ne repose pas sur une sympathie personnelle pour Yasser Arafat, mais sur une lecture de la réalité telle qu'elle est.

Le Proche-Orient est une région durement éprouvée, alors même qu'elle constitue le berceau de trois religions mondiales. Nous sommes tous concernés dès lors par ses destinées, fût-ce pour des raisons d'ordre sentimental. Ceci étant, je suis impressionné par le fait qu'en dépit de cet intérêt universel et massif pour le Proche-Orient, tous les efforts consentis à ce jour en vue d'un évacuation du conflit israélo-palestinien sont restés vains.

L'Europe. L'échec, en particulier, du sommet de Bruxelles. Faut-il en imputer, comme on l'a fait ici et là, la responsabilité à l'Espagne et à la Pologne?

Jean-Claude Juncker: L'Espagne et la Pologne portent une part de la responsabilité de cet échec. Elles n'en portent pas pour autant toute la responsabilité. Leur imputer l'entièreté de cette dernière ne tiendrait pas compte de la réalité des problèmes.

Quels problèmes?

Jean-Claude Juncker: Il convient de ne pas donner l'impression que c'est l'élargissement en tant que tel qui est source de toutes les difficultés. L'on compte tout autant de différends et de questions en suspens au sein des quinze Etats membres actuels de l'Union qu'on recense de problèmes et de différends entre les membres actuels et les membres à venir...

Pourtant, dans la mesure où l'on peine à s'entendre sur les procédures institutionnelles de I'UE élargie, c'est bien l'élargissement qui fait problème...

Jean-Claude Juncker: Les problèmes qui lui sont liés ne doivent pas occulter les difficultés qui lui préexistaient. Ainsi, abstraction faite de l'élargissement à de nouveaux Etats membres, il faut rappeler que les quinze pays constitutifs de l'Union dans sa configuration actuelle ne sont pas parvenus à s'entendre sur tout les volets de la politique extérieure et de sécurité commune, qu'ils ne sont pas d'accord sur l'extension du vote à la majorité qualifiée et que bien des questions demeurent en suspens, de même, en matière de justice, d'affaires intérieures, de fiscalité... Or ces problématiques ne sont pas spécifiquement liées au processus d'élargissement.

La présidence italienne, Silvio Berlusconi en l'occurrence, très critiqué au lendemain de l'échec de Bruxelles, est-elle effectivement en cause?

Jean-Claude Juncker: Toutes les présidences de Conseil que j'ai connues, y compris la mienne, auraient pû mieux faire.

Quand la conférence intergouvernementale va-telle s'achever? Quand disposera-t-on d'une constitution européenne?

Jean-Claude Juncker: Il convient maintenant d'intercaler une période de réflexion durant laquelle l'Union européenne - chacun pour soi d'abord, puis ensemble - puisse faire le point de la situation et affiner les solutions aux problèmes posés. Je pense qu'on parviendra alors à se mettre d'accord sur le texte d'une constitution.

Sous présidence néerlandaise?

Jean-Claude Juncker: Sous présidence néerlandaise.

L'Union a abordé la préparation de son budget pour l'exercice débutant en 2007. Or, on chuchotte que c'est par le biais de ce budget que l'Union s'apprête à exercer des pressions sur l'Espagne et la Pologne...

Jean-Claude Juncker: Vous savez que certains Etats membres ont fait parvenir à Romano Prodi, président de la Commission, une lettre postulant un plafonnement du budget. Or, je n'ai pas signé cette lettre, restant convaincu que le budget doit demeurer l'instrument de la solidarité communautaire, et que cette solidarité doit s'exercer à l'endroit de l'Espagne et de la Pologne comme de tous les autres Etats membres de l'Union.

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