Fernand Boden au sujet du marché du logement: "Il y a des limites de prix à ne pas dépasser".

Monsieur le ministre, pourriez-vous nous dresser le "portrait" du logement au Luxembourg?

Fernand Boden: Vous savez que les Luxembourgeois aiment posséder leur propre maison, unifamiliale si possible, donc il y a une forte demande pour devenir propriétaire. Or, la demande est actuellement supérieure à l'offre, donc les prix montent surtout pour les terrains à bâtir. Les prix de la construction ont augmenté comme le coût de la vie mais pas de façon exceptionnelle. Le but de l'action du gouvernement est d'améliorer l'équilibre entre l'offre et la demande et de faire notre possible pour notamment augmenter l'offre. C'est pourquoi le plan d'action logement comporte un grand nombre de mesures allant dans cette direction. Je crois que certaines mesures ont déjà rencontré un certain succès, notamment les mesures fiscales qui vont dans le sens d'une diminution très sensible de l'imposition sur les plus-values lors de la vente d'un terrain ou d'un immeuble. Nous avons eu des échos de la part des promoteurs selon lesquels il existe de nombreuses personnes prêtes à vendre leur terrain pour y construire des habitations. Certes, il faut encore un plan d'aménagement particulier, donc il se passe un certain temps avant le lancement des constructions. Donc, le nombre de terrains qui viennent sur le marché va augmenter. D'un autre côté, par la loi du 8 novembre 2002, le gouvernement a introduit un grand nombre de mesures en faveur des aides au logement et notamment la promotion de la construction par les promoteurs publics. Le programme pluriannuel prévoit la construction de neuf mille logements et nous avons fait une campagne de propagande auprès des communes pour qu'elles participent davantage à la construction de logements et à la mise à disposition de terrains à bâtir. Les aides aux communes ont d'ailleurs été largement améliorées. Donc, tant les promoteurs publics que privés devraient avoir des terrains à leur disposition dans les prochaines années. Ces deux mesures devraient améliorer l'offre et, nous l'espérons, réguler les prix et notamment ceux des terrains à bâtir. C'est vraiment le problème crucial et le Premier ministre a dit que si ces mesures n'apportent pas l'effet escompté d'ici la fin de l'année, on introduira un impôt foncier prohibitif pour ceux qui, à des fins spéculatives, laissent les terrains à bâtir en friche. Au cours des dix dernières années, nous avons construit annuellement 2.700 logements, nous espérons l'augmenter encore sensiblement et rattraper le retard accumulé.

Peut-on dire que les prix des logements, tant à l'achat qu'à la location, sont prohibitifs?

Fernand Boden: Le Luxembourg est un pays qui n'est pas bon marché, il faut le dire. Les terrains à bâtir sont plutôt chers mais, au niveau de la construction, il existe une très forte concurrence car il y a beaucoup d'acteurs étrangers présents sur le marché. Je crois donc que la construction en elle-même n'est pas beaucoup plus chère qu'à l'étranger, c'est donc le prix du terrain qui fait la différence. Il faut signaler également que les Luxembourgeois veulent une bonne qualité pour leur logement, qu'ils construisent plus grand - les statistiques montrent qu'ils prévoient plus de mètres carrés par personne que dans les autres pays - et plus solide. Cela a donc un impact sur le coût de la construction. Les mesures prises par le gouvernement visant l'augmentation de l'offre devraient avoir pour effet au moins une stabilisation des prix et certainement une répercussion sur ceux des terrains à bâtir. Nous avons également introduit des mesures d'aides substantielles pour les personnes qui veulent acquérir leur logement et qui ne disposent pas de revenus très élevés. Nous avons, je crois, le système d'aides au logement qui est le plus généreux des Etats membres de l'Union européenne. Nous donnons ainsi une certaine compensation pour les prix plus élevés qui sont pratiqués au Luxembourg.

Vous ne qualifieriez donc pas les prix actuels de prohibitifs mais correspondant au standing de vie des Luxembourgeois.

Fernand Boden: Je dirai que les prix ont dépassé ou commencent à dépasser une certaine limite. On ne peut pas en effet investir tout son revenu dans son logement, il y a une règle qui veut qu'on y consacre un tiers de ses moyens financiers et il ne faut pas trop dépasser cette limite. Mais il y aura une forme de stabilisation des prix, les promoteurs essaient déjà de construire de façon plus rationnelle, d'économiser les terrains à bâtir, il y a plus de densité dans la construction avec un pourcentage plus élevé d'appartements. Voilà un revirement des promoteurs qui va dans le sens d'une diminution des coûts de la construction, tout le monde étant conscient qu'il y a des limites de prix à ne pas dépasser, que ces limites sont en train d'être atteintes et qu'il ne faut pas renchérir davantage. On remarque également que de plus en plus de gens sont disposés à investir dans l'immobilier de logement l'argent dont ils disposent. Cela aura certainement une répercussion sur le logement locatif puisqu'avec un rendement de cinq pour cent du capital, l'investissement immobilier est tout à fait rentable. On remarque que les grands promoteurs et les grands investisseurs s'intéressent maintenant au placement dans l'immobilier de logement alors que dans le passé ils investissaient dans l'immobilier de bureau qui a chuté depuis. Donc, cette augmentation de l'offre aura une répercussion sur les prix qui ont atteint une limite à ne pas dépasser.

Néanmoins, les investisseurs recherchent un return pour leur placement: cela ne risque-t-il pas au contraire de soutenir les prix?

Fernand Boden: Oui, mais lorsque l'offre est grande, les prix n'augmentent pas. S'il y a une pénurie de logements comme dans le passé, cela pèse sur les prix notamment ceux des terrains à bâtir. Je crois que comme les grands promoteurs font des constructions plus grandes, cela aura un impact favorable sur les prix. De même, si davantage de gens investissent dans l'immobilier de logement, cela ira dans le sens des buts que nous nous sommes fixés. Compte tenu de la superficie limitée dont nous disposons au Luxembourg, les aides à la rénovation et à la réhabilitation des bâtiments existants constituent également une voie que nous suivons. Il y a là encore beaucoup à faire: de nombreux immeubles qui ne sont pas habités, qui ont été transformés en bureaux et qu'il faudrait retransformer en logements. C'est également un programme substantiel. Nous sommes en train de finaliser l'introduction d'un cahier de l'habitat, une sorte de "carte grise" pour le logement: des experts, avec un logiciel très élaboré, mettront en évidence les déficiences du bâtiment, quels sont ses points faibles à éliminer au niveau de l'énergie, de l'isolation ou des sanitaires pour qu'il soit réhabilité dans les meilleures conditions. Ce programme est subsidié par le ministère du Logement et nous espérons que cette initiative augmentera les investissements dans les bâtiments existants. Avec les mesures fiscales introduites pour augmenter l'amortissement des immeubles construits pour le logement locatif, nous espérons ainsi promouvoir ce type d'investissement.

Vous avez élaboré un projet de réforme de la loi sur le bail; la Chambre des employés privés consultée a rendu un avis défavorable sur le texte. Que pensez-vous de cet avis?

Fernand Boden: Il y a eu depuis d'autres avis qui sont beaucoup plus positifs. Je crois que la Chambre des employés privés a tout à fait tort: si on ne fait rien pour les immeubles datant d'avant 1944, il n'y aura pas d'investissements substantiels ni d'augmentation des logements dans cette catégorie de bâtiment. Or, il est important de proposer des logements de qualité dans ces immeubles, donc il faut que les loyers soient adaptés pour procurer un revenu équitable aux investisseurs qui consentent un effort financier. D'autre part, nous encourageons fortement les promoteurs publics, les communes à investir dans les logements locatifs - largement subventionnés: ils obtiennent des aides de 70 à 75% pour construire ces immeubles - destinés aux faibles revenus.

Pour revenir à votre question, les réactions des autres Chambres ont été nettement plus favorables et nous attendons l'avis du Conseil d'Etat pour pouvoir finaliser le projet de loi. Mais, hormis quelques petites adaptations, la direction générale du projet est approuvée par la très grande majorité de la population. C'est un pas supplémentaire pour encourager 1'investissement dans le logement.

Ne pensez-vous pas que les prix pratiqués pour l'immobilier de logement posent un problème social en privant les citoyens à faible revenus de l'accès à la propriété?

Fernand Boden: Près de 70% des ménages luxembourgeois disposent de leur propre habitation, c'est un taux très élevé en Europe. Devenir propriétaire n'a donc pas été plus impossible au Luxembourg qu'ailleurs. Bien au contraire, je crois que les aides généreuses que nous accordons permettent aux citoyens à revenus moyens d'acquérir leur logement. Lorsqu'on termine ses études, on n'a pas encore de revenu, on ne peut pas dès lors demander à devenir immédiatement propriétaire. Pendant un certain temps, il faut épargner et ensuite, on peut penser à acheter un bien immobilier. Et dans de nombreux cas, le remboursement hypothécaire n'est pas beaucoup plus élevé que le loyer payé pour une maison ou un appartement convenable. Lorsqu'on dispose de 10 à 15% de fonds propres pour investir dans son logement, il faut bien entendu faire un prêt et les aides que nous accordons allègent considérablement la charge du remboursement. Je crois donc qu'un ménage qui dispose d'un revenu de 3.000 à 4.000 euros par mois peut rembourser sans problème son prêt. Le problème crucial consiste à obtenir le prêt auprès de la banque ou de la caisse d'épargne, et nous les y avons encouragés en accordant, dans certaines circonstances, la garantie de l'Etat aux citoyens à faibles revenus et sans possibilité de fournir un garant. Mais, c'est vrai que sans notre système d'aides, beaucoup de ménages ne pourraient pas acquérir leur logement.

Monsieur le ministre, une conclusion?

Fernand Boden: Autant les promoteurs publics que les privés sont en train d'augmenter l'offre en logements, je crois que les prix devront ainsi cesser d'augmenter de façon anormale. Notre système d'aides permet aux citoyens d'accéder à la propriété certes, pas d'un jour à l'autre dès la fin des études, mais en faisant preuve d'un peu de patience et en n'oubliant pas d'épargner.

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