"Professionnaliser la fonction de bourgmestre". Jean-Marie Halsdorf au sujet de l'interdiction de cumul des fonctions de bourgmestre et de député

Florence Reinson: Vous qui avez précédemment cumulé les fonctions de député et de maire de Pétange (de janvier 2000 à Juillet 2004), pourquoi estimez-vous aujourd'hui que ces deux fonctions ne peuvent pas être exercées simultanément?

Jean-Marie Halsdorf: Je le pensais déjà à l'époque où j'exerçais simultanément ces deux fonctions. Lorsque j'étais député-maire, je disais déjà qu'il était dans l'intérêt des deux fonctions de ne pas les cumuler, car je voyais le travail qu'il y avait à faire en tant que député et en tant que maire. De plus, cette situation a largement évolué ces dernières années. Voilà pourquoi j'ai dit récemment que je voulais une professionnalisation de la fonction de bourgmestre et non un bourgmestre professionnel comme cela a été dit.

Le député est beaucoup plus sollicité que jadis. A côté de la Chambre des députés, il y a beaucoup d'organisations internationales, telles que l'assemblée parlementaire du conseil de l'Europe, la délégation luxembourgeoise à l'assemblée parlementaire de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, l'assemblée parlementaire de I'OTAN, la délégation luxembourgeoise auprès du conseil interparlementaire consultatif du Bénélux, la délégation luxembourgeoise auprès du conseil parlementaire interrégional, le Comité des Régions.

Toutes ces assemblées doivent jouer leur rôle. Le député doit aussi être davantage présent et assumer les nouvelles responsabilités européennes, parce que l'Europe de demain sera celle des régions et que c'est, justement, dans la région que tout se fait.

Florence Reinson: L'interdiction de cumul que vous souhaitez viserait-elle également le mandat de député européen?

Jean-Marie Halsdorf: Le troisième niveau est occupé par le député européen. Il prend aussi toute sa dimension. Le référendum au Luxembourg me donne raison. Les Luxembourgeois veulent que la politique européenne soit plus présente, qu'elle soit mieux gérée et plus focalisée.

C'est pourquoi le député européen a un grand rôle à jouer aussi. Le Luxembourg compte six députés européens, il s'agit pour eux de marquer une présence et mener une politique européenne adéquate pour positionner le Luxembourg et la Grande Région dans l'Europe. A tous les niveaux – local, national ou européen -, les trois mandats doivent être plus présents et renforcer leur rôle parce qu'il n'y a plus de frontières.

Florence Reinson: N'y a-t-il pas des avantages à cumuler ces deux fonctions?

Jean-Marie Halsdorf: Je vois aussi beaucoup de parallélisme entre les fonctions de bourgmestre et de député. Il y a des avantages et des désavantages à assumer les deux fonctions. L'avantage, c'est que l'on voit mieux les interconnexions entre le réseau national et local. On sait également mieux utiliser certaines pistes et certains moyens qui se présentent pour organiser sa commune.

Le desavantage, c'est que vous avez tellement de choses à faire au Parlement et dans votre commune que, parfois, les jours sont très courts ou très longs. Il y a des moments où, si vous n'avez pas une bonne équipe à qui déléguer, c'est très difficile.

En donnant un vrai salaire avec une vraie option professionnelle au poste de bourgmestre, nous aurions aussi peut-être d'autres personnes qui seraient intéressées à devenir bourgmestres. Aujourd'hui, un bourgmestre a droit à un congé politique, qui est fonction de la taille de la commune, et perçoit une indemnité.

A titre d'exemple, pour une commune comme Pétange, de 15.000 habitants, le congé politique est de 16 à 18 heures, pas plus, par semaine. C'est très difficilement faisable. Le bourgmestre de la Ville de Luxembourg dispose d'une tâche presque complète, 30 heures par semaine, et d'un salaire conséquent.

Florence Reinson: Pourquoi vouloir une professionnalisation de la fonction de bourgmestre?

Jean-Marie Halsdorf: Parce que je suis d'avis qu'il faut réorganiser notre pays. Lorsque nous avons rédigé la loi sur l'aménagement communal, celle sur l'aménagement du territoire, IVL, ou encore le programme directeur de l'aménagement du territoire, il s'agissait d'initiatives politiques visant à organiser notre pays. C'est pourquoi l'IVL tente d'organiser notre pays en tenant compte d'une augmentation de 4% de l'économie annuelle et en prévoyant un dédoublement du modal split, à savoir le nombre de personnes qui se déplacent en transports en commun. Aujourd'hui, 12,5% des navetteurs prennent un bus ou un train, alors que les autres se déplacent en véhicule privé. Nous voudrions doubler ce pourcentage à l'horizon 2020.

Au niveau du développement du pays, nous disposons du programme directeur de l'aménagement du territoire inscrit dans la législation de 1999. Ce grand programme comporte plusieurs instruments que sont les plans régionaux – nous avons six régions au Luxembourg -, détaillant ce qui doit être fait dans quelle région. Les quatre plans sectoriels majeurs – du logement, du transport, des grands ensembles paysagers et des zones d'activité – s'attachent, eux, aux détails.

Si nous organisons notre pays de cette manière, il faut aussi l'organiser du côté des communes. Nous aurons à partir de l'année prochaine 116 communes contre 118 aujourd'hui. J'ai proposé à la commission spéciale de la Chambre des députés un concept pour une réforme territoriale administrative du Luxembourg. Et, justement, dans ce contexte, nous voudrions donc que les communes deviennent plus performantes.

Florence Reinson: Les communes éprouvent-elles des difficultés à répondre aux besoins des citoyens?

Jean-Marie Halsdorf: Les petites communes, et nous en avons beaucoup au Luxembourg, éprouvent des problèmes à prester des services de base. Par service de base, on entend l'accueil dans les écoles, des réseaux de canalisation et une voirie performants, mais aussi des infrastructures sportives et culturelles adéquates. C'est pourquoi il faut rassembler les petites communes, soit par des fusions (ce qui a déjà été le cas pour quatre d'entre elles), soit par des communautés de communes.

Les communes doivent avoir des masses critiques pour bien prester ces services de base. Or, nous avons beaucoup de communes, quelque 60 à 80, qui n'ont pas cette masse critique-là. Pour mieux prester ces services de base, mieux préparer l'avenir, mieux rencontrer les nouveaux développements de notre société, il faut également une professionnalisation du bourgmestre dans les communes qui atteignent une certaine masse critique.

Florence Reinson: Qu'entendez-vous par "bourgmestre professionnel" et à quel niveau se situerait la masse critique des communes pour l'instauration de ce poste professionnalisé?

Jean-Marie Halsdorf: Cela pourrait concerner, mais je ne peux pas le dire maintenant, les communes qui ont plus de 10.000 habitants, alors que les autres auraient un bourgmestre semi-professionnel. Toujours est-il qu'il faut une approche plus cohérente et plus conséquente à ce niveau-là. Aujourd'hui, la fonction de bourgmestre est plutôt honorifique. Lorsque j'étais bourgmestre de Pétange,je touchais quelque 1.400 euros par mois. Avoir une commune comme Pétange, qui réalise un chiffre d'affaires de 37,5 millions d'euros et un bourgmestre qui ne peut pas assumer sa tâche comme il se doit, ce n'est pas normal.

Au Luxembourg, nous n'avons que deux niveaux où nous prenons des décisions, le national et le local. C'est une grande différence par rapport à la Belgique ou la France. Le niveau local prend, au Grand-Duché, une toute autre dimension. Les maires ont un rôle à jouer à la fois au niveau local, mais aussi régional, voire de la Grande Région.

Maintenant, il faut voir à quel seuil on place la barre pour les rusions; 3.000 habitants? Est-ce que l'on impose des fusions? Moi, je suis plutôt contre. Il existe la charte de l'autonomie communale que nous avons signée au Luxembourg et il faut la respecter. Cette charte prévoit que si on veut réaliser des fusions, la population a voix au chapitre et nous devons organiser un référendum.

Il faut dire aux communes qu'elles ont le choix entre la fusion et la communauté de communes. Celle-ci doit, à mon égard, mener, après deux ou trois législatures, à une fusion. Lorsque l'on a pris l'habitude de travailler ensemble, il est plus facile d'avoir une seule administration plutôt que trois.

Je veux, et je crois que tout le monde le veut, un Luxembourg performant et des structures qui soient optimisées. Les mandats de député, de maire ou de député-maire font partie de ce concept. Il s'agit d'un vrai package que nous voulons présenter.

Florence Reinson: A quel stade se trouve ce projet?

Jean-Marie Halsdorf: Tout est en discussion. Je pense que nous allons discuter du calendrier encore en automne. Nous allons aborder les différentes pistes qui ont été évoquées dans ce concept. Nous allons fixer un calendrier avec la commission spéciale. En décembre dernier, la Chambre des députés a proposé une motion et demandé au ministre de présenter un concept pour le printemps, de discuter ensuite de ce concept, avec les propositions des députés, et de le finaliser pour l'été 2006.

Florence Reinson: Ce projet vise-t-il aussi à rendre le poste de bourgmestre plus attractif?

Jean-Marie Halsdorf: Certainement, je pense qu'il sera plus attractif. Il sera aussi certainement plus représentatif qu'actuellement et prendra une tout autre dimension. Je pense que le bourgmestre de demain devra aussi prendre des décisions de la même manière qu'une petite entreprise.

Cela ne sera pas évident parce que personne ne veut bouger. Je suis d'avis que ce sont des discussions à mener maintenant. Si nous les menons maintenant, je suis persuadé que nous aurons une certaine marge de manœuvre. Si nous attendons encore cinq ans, il n'y aura plus de marge de manœuvre et nous serons forcés de le faire quand même. Ce sera alors beaucoup plus douloureux.

Si les communes veulent vraiment tenir la barre et respecter toutes les législations et directives européennes, il faut vraiment avoir une masse critique. En matière d'eaux usées, je pense qu'il faut de grands syndicats régionaux, tout comme pour l'eau potable, ce qui existe déjà au Luxembourg. Il faut plus de hiérarchie dans les différentes prestations.

Florence Reinson: Estimez-vous qu'il existe également d'autres cumuls de mandats qu'il s'agirait de limiter ou d'interdire?

Jean-Marie Halsdorf: Non, mais il y aura un autre problème à résoudre une fois l'interdiction du cumul de ces mandats. Si le bourgmestre est professionnalisé, que fera-t-on avec les échevins? Est-ce qu'un échevin pourra cumuler les fonctions? Ce sera une question qu'il faudra se poser. Parce que sinon, tous les députés deviendront alors échevins.

Je voudrais créer des établissements publics de coordination régionale, justement pour coordonner la politique régionale et mieux gérer les flux financiers du national vers le local. En 1990, l'État a versé aux communes 24,8 millions d'euros. L'année passée, il leur a versé 110 millions d'euros, ce qui représente une augmentation de 425%. Il y aura de plus en plus d'argent qui ira aux communes et il faudra un concept global afin de le dépenser au mieux. Mon approche globale et régionale est basée sur les six régions du pays.

Les recettes des communes augmentent, mais les attentes des citoyens et leurs besoins augmentent beaucoup plus en comparaison. Sur 25 ans, les recettes non affectées que l'État a fournies aux communes ont augmenté de presque 575°/o. En 1990, la dette publique des communes était de l'ordre de 260 millions d'euros, en 2002, elle a doublé. Il faut s'interroger sur la dette des communes. Son augmentation doit être considérée car elle pourrait hypothéquer la marge de manoeuvre des communes performantes.

Je voudrais une communauté politique performante sur 100°/o du territoire, c'est mon souci majeur. Ce qui signifie les mêmes prestations dans toutes les communes, à des coûts et des prix similaires. C'est pourquoi il faudra aussi revoir tout le financement des communes. Il y a des communes qui profitent excessivement de l'impôt commercial. Il faudrait fixer aussi un taux maximal par commune en impôt commercial et mieux redistribuer cet argent aux communes les plus faibles. Il y a là tellement de discussions à mener.

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