"Si la santé n'a pas de prix, elle a un coût". Mars Di Bartolomeo au sujet du domaine de la santé au Grand-Duché

Denis Berche: Si vous deviez dresser un bilan de votre action comme ministre de la Santé, quel serait-il?

Mars Di Bartolomeo: Plutôt que de bilan, je parlerais plutôt de philosophie. Pendant des années, on a surtout vu la santé du point de vue curatif et rien d'autre. La santé n'est pas seulement le bien le plus important dont on puisse disposer, c'est aussi un ensemble complexe qui ne se limite pas seulement à un atelier de réparation.

La promotion de la santé, la prévention, la sauvegarde, tout cela doit avoir un sens. La santé est le plus grand capital de chacun et chacun doit être responsable de ce capital. Prévenir, mais aussi réagir le plus tôt et le plus efficacement possible, ce sont deux piliers de la politique santé que je veux mener. Ce qui ne signifie pas que je me désintéresse du volet soins, bien au contraire.

Denis Berche: L'inflation des soins entraîne une inflation des coûts. Comment la maîtriser?

Mars Di Bartolomeo: Il faut cesser de ne voir la santé qu'en termes de coûts. C'est aussi un secteur dynamique qui influe sur la qualité de vie, un secteur économique qui se développe et qui est en fait une vraie machine à créer des emplois. Il faut oser voir la santé dans toute sa richesse.

Denis Berche: Le domaine des soins vous crée-t-il des soucis?

Mars Di Bartolomeo: Oui, et je travaille actuellement sur la prise en charge des malades. Le Luxembourg a de moins en moins de généralistes et de plus en plus de spécialistes. Or, le médecin de famille est un rouage capital. C'est le médecin de confiance qui connaît le mieux ses patients. Dans de très nombreux cas, cela peut aider et éviter le recours à des moyens plus importants, donc plus coûteux.

Il faut donc veiller à ce que la prise en charge primaire ne ressemble pas à un fromage suisse avec beaucoup de trous répartis sur tout le pays. Je vais entamer une discussion de fond avec les médecins généralistes pour avoir une médecine de proximité et un système de garde de permanence performants. Nous devons développer des nouveaux concepts dans ce domaine. C'est indispensable.

Denis Berche: La santé au Luxembourg tire-t-elle son épingle du jeu?

Mars Di Bartolomeo: Elle peut tout à fait se comparer et tenir tête à n'importe quelle santé des pays limitrophes. Nous avons beaucoup de moyens, nos infrastructures sont bonnes, la formation du personnel est bonne et nous poussons sur la formation continue. Nous n'avons aucun complexe à faire même si certains secteurs manquent parfois de visibilité.

Au lieu de vouloir tout faire partout, sans doute gagnerions-nous à mieux partager le travail et à opter pour davantage de spécialisation. Cela permettrait au public de mieux connaître la valeur de nos hôpitaux alors qu'il connaît parfois mieux la valeur des hôpitaux étrangers.

Denis Berche: La spécialisation était l'un des buts du plan hospitalier...

Mars Di Bartolomeo: Qu'est-ce qui peut être le mieux fait et où? Voilà ce que nous devons définir en commun. Développer l'intégration et les regroupements, c'est une approche qui permet de travailler sur la qualité et la visibilité.

Aujourd'hui, les gros investissements ont été faits. Le centre de réhabilitation sera opérationnel à la fin de cette année, la modernisation du Centre hospitalier de Luxembourg est lancée et la restructuration de l'Hôpital Princesse Marie-Astrid de Niederkorn est en cours avec le Centre hospitalier Émile-Mayrisch d'Esch-sur-Alzette.

Si le système hospitalier continuera à être modernisé, l'essentiel des efforts doit maintenant porter sur le prochain plan hospitalier qui doit servir à préciser les missions des uns et des autres.

Denis Berche: Quelles sont vos priorités pour les mois à venir?

Mars Di Bartolomeo: La première, c'est le domaine cardio-cérébral vasculaire, source de nombreux et graves problèmes. La seconde, c'est le plan antitabagisme en cours d'élaboration. Ces deux priorités sont liées. La troisième priorité, c'est la poursuite de la réforme de la psychiatrie. C'est un domaine où je suis satisfait de ce qui a déjà été réalisé depuis le milieu de l'année dernière. La décentralisation de la psychiatrie aiguë du Centre hospitalier neuropsychiatrique vers les grands hôpitaux est une avancée considérable pour les malades. L'objectif est de donner à ces malades les mêmes soins et les mêmes droits d'accès aux soins qu'aux autres malades. Nous nous débarrassons enfin de la stigmatisation de la maladie psychiatrique. Un malade de ce type, même en crise aiguë, peut aujourd'hui entrer à l'hôpital par la même porte qu'un autre malade victime d'une urgence.

Denis Berche: Au plan législatif, vous n'avez pas chômé...

Mars Di Bartolomeo: En peu de temps, nous avons fait beaucoup de travail. Nous avons notamment finalisé la loi sur les soins palliatifs et le congé d'accompagnement ainsi que la loi sur la recherche biomédicale. Mais il nous en reste encore, notamment la loi antitabac et la protection des non-fumeurs.

Denis Berche: Vous étiez pourtant fumeur avant de devenir ministre de la Santé?

Mars Di Bartolomeo: Oui, et je ne le suis plus depuis le jour où je suis devenu ministre. C'était incompatible. J'essaye de donner l'exemple et de trouver des réponses aux problèmes.

Denis Berche: Pourquoi la lutte antitabac n'est pas simple alors que d'autre pays, l'Irlande et l'ltalie, ont montré l'exemple?

Mars Di Bartolomeo: Je trouve regrettable qu'un gouvernement soit obligé de légiférer pour obliger les fumeurs à respecter les non-fumeurs. Il faut bien comprendre que le siècle du tabac était le dernier. Et il faut dire du tabac ce qu'il est vraiment: c'est un tueur!

9 cancers du poumon sur 10 proviennent du tabagisme.

Tout le monde a le droit de faire ce qu'il veut de sa propre santé, mais il n'a pas le droit de faire ce qu'il veut avec la santé des autres. Nous devons notamment convaincre les plus jeunes de ne pas toucher au tabac. La proposition de loi est un compromis. Les uns trouvent qu'elle va trop loin, les autres pas assez. J'ai voulu une contribution modeste pour lancer la discussion à la Chambre des députés de poursuivre ce débat. Aujourd'hui, le tabac n'est plus synonyme de liberté, d'indépendance.

Il a une image d'élément très nocif, de tueur qui donne une mort parmi les plus atroces.

Denis Berche: Le financement de la santé est un problème permanent. Que faire?

Mars Di Bartolomeo: Quand je suis devenu ministre de la Santé, j'ai trouvé une situation financière exécrable au niveau des Caisses de maladie qu'il a fallu renflouer avec 200 millions d'euros. Nous avons entamé un processus permanent pour suivre l'évolution du financement de la santé. Évitons les gaspillages et les doublons, c'est au fond l'affaire de tous, pas seulement celle du ministre. Si la santé n'a pas de prix, elle a un coût.

Il faut donc veiller à garantir une utilisation aussi rationnelle que possible des moyens engagés pour éviter d'avoir à prendre des mesures draconiennes. Cela nuirait à la qualité des soins.

Je ne veux pas d'une médecine à deux vitesses. Il faut maintenir un équilibre fragile sans toucher aux prestations. Et, parfois, il vaut peut-être mieux demander une participation symbolique aux gens pour y arriver. Chacun doit en avoir bien conscience.

Mais chacun doit, avant tout, prendre en charge sa propre santé. Être acteur de sa propre santé, c'est la meilleure chose qui puisse arriver à chacun de nous.

Denis Berche: Votre message passe-t-il?

Mars Di Bartolomeo: C'est un chantier permanent. Il faut marteler le message pour qu'il soit entendu. Répéter sans cesse qu'il faut un bon usage des médicaments, surtout les génériques, et une gestion rationnelle dans les hôpitaux. Il faut motiver les médecins à une prescription raisonnable. C'est un processus permanent que nous allons compléter avec la mise en place d'un conseil scientifique.

Denis Berche: Le Luxembourg est l'un des seuls pays européens à avoir mis en place une assurance dépendance. Quel en est le bilan?

Mars Di Bartolomeo: L'assurance dépendance, créée en 1998 par une ministre socialiste Mady Delvaux, a favorisé le maintien à domicile par le biais de la solidarité nationale. L'heure d'un premier bilan est venue. Nous devons analyser les coûts, voir si les moyens mis à disposition sont utilisés rationnellement ou s'il peut y avoir d'éventuelles économies potentielles.

L'assurance dépendance a été au cœur des discussions de la tripartite et la cotisation augmentera au 1er janvier 2007. Elle était de 1 % pour chaque salarié. Elle sera de 1,4%. C'est une mise en relation minime avec les prestations considérables qui sont offertes.

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