"Le maintien dans l'emploi: une philosophie et non pas un instrument miracle". François Biltgen au sujet des mesures de lutte contre le chômage

Jean-Marie Denninger: Les récentes statistiques de l'administration de l'Emploi le montrent, le chômage baisse depuis cinq mois. Sommes-nous à la sortie du tunnel?

François Biltgen: Je ne sais pas encore. Les chiffres comportent des éléments positifs mais aussi des facteurs d'incertitude et d'autres qui incitent au pessimisme.

Jean-Marie Denninger: Pouvez-vous détailler?

François Biltgen: L'aspect positif, c'est que non seulement le nombre de demandeurs d'emploi a baissé au cours du premier semestre mais aussi que nous sommes presque revenus au niveau de 2005. La progression semble donc cassée. Qui plus est, le nombre de chômeurs indemnisés a reculé et les offres d'emploi non satisfaites augmentent singulièrement. Par ailleurs, le plaidoyer du Premier ministre et de moi-même pour appeler les entreprises à proposer des stages d'insertion et de qualification plus efficaces commence à porter ses fruits.

L'incertitude, c'est le mois de septembre qui va la créer, un mois généralement synonyme de recrudescence du chômage. Deuxième élément, on ne connaît pas l'impact final des mesures de maintien dans l'emploi dans les dossiers Villeroy & Boch, TDK et Monopol.

Jean-Marie Denninger: Pourquoi êtes-vous également pessimiste?

François Biltgen: Ce qui me navre, c'est que la reprise économique profite presque exclusivement aux jeunes qualifiés. Et presque pas aux chômeurs de plus de quarante ans ou aux chômeurs de longue durée dont le nombre ne cesse d'augmenter et qui représentent tout de même un tiers des demandeurs inscrits. Le dynamisme actuel de l'économie profite aux demandeurs que l'on dit "employables" et pas à ceux ayant des problèmes d'insertion alors que le marché du travail de la Grande Région, très concurrentiel, les fait terriblement souffrir.

Jean-Marie Denninger: Quelles conclusions tirez-vous de ces constats?

François Biltgen: Tout d'abord il nous faut intensivement poursuivre la politique rapprochant les demandeurs des emplois, inlassablement rappeler aux entreprises leur responsabilité sociale sur le marché du travail alors qu'elles peuvent aussi profiter des aides de l'État pour y faire face. Les demandeurs d'emploi, il s'agira de mieux les encadrer pour qu'ils deviennent "employables" à travers la mise en place d'un parcours personnalisé d'insertion défini en concertation par I'ADEM avec le demandeur concerné mais aussi de les inciter à des efforts personnels dans la démarche de recherche d'emploi. A court terme, il faudra aussi réformer et rendre plus efficaces les initiatives sociales pour l'emploi pour s'occuper des gens qui veulent travailler mais ne peuvent pas trouver de travail, malgré leurs bonnes volontés.

En second lieu, nous devons poursuivre nos efforts d'adaptation de l'école que bien trop de jeunes quittent sans la moindre qualification, même s'il est un fait qu'un tiers des demandeurs non qualifiés ne sortent pas de l'école luxembourgeoise. Mais je suis content que mes réformes de la législation sur le chômage s'accompagnent d'une réforme du CNFPC et du volontariat relevant de mes collègues Mady Delvaux et Marie-Josée Jacobs. Il s'agit de créer un filet pour rattraper les jeunes quittant l'école sans compétence.

En troisième lieu, il s'agit de poursuivre les réformes économiques, investir plus fortement dans la recherche et l'enseignement supérieur. Ces réformes porteront leurs fruits peut-être à un moment ou je ne serai sûrement plus ministre, mais elles sont indispensables. Comme je le dis souvent, le ministre du Travail ne veut pas être seulement le pompier qui éteint les incendies. Le rôle des pouvoirs publics, c'est de les prévenir autant que faire se peut.

Jean-Marie Denninger: Le Conseil de gouvernement a adopté lors de sa dernière séance avant les vacances, fin juillet, toute une série de réformes sur la base des conclusions du comité de coordination tripartite. La pièce centrale en est la création d'un cadre légal pour le maintien dans l'emploi. Pouvez-vous nous préciser ce concept?

François Biltgen: Le volet "maintien dans l'emploi" couvre une nouvelle idée que nous voulons ancrer dans le dispositif législatif. Et comme toute nouvelle idée, elle est difficile à mettre en œuvre. Les syndicats attendent la création d'un instrument de lutte contre le chômage qui soit une panacée, et le patronat a peur de tout outil nouveau car il veut rester libre et craint que toute mesure restrictive freine les investissements. Alors qu'en fait il s'agit d'une philosophie.

Jean-Marie Denninger: Mais quel est le contenu de cette philosophie?

François Biltgen: Il s'agit de remplacer la notion de job security par celle d'employement security, c'est-à-dire d'organiser en douceur, dans une entreprise qui éprouve des difficultés, la transition des salariés sur le marché de l'emploi. Elle suppose que l'on agisse et mette en place des mesures avant d'en arriver au plan social. Nous avons deux exemples: l'affaire de la Brink's en janvier et le dossier de Luxair. Le maintien dans l'emploi, sur un laps de temps de par exemple six mois, permet de placer les salariés sur d'autres orbites professionnelles, sans la menace d'un plan social. Une telle transition en douceur génère moins de stress et donne vraiment le temps d'accompagner le changement, dans l'intérêt des salariés et des entreprises. Mettez-vous à la place d un salarié qui a commencé sa carrière dans une entreprise et doit changer d'environnement au bout de vingt ans de travail. Chez Villeroy & Boch, TDK et Monopol, nous appliquons le même principe mais c'est plus dur car il existait un plan social avant le maintien dans l'emploi.

Jean-Marie Denninger: Concrètement, comment cela va-t-il se passer?

François Biltgen: Il faudra que les entreprises discutent de la gestion prévisionnelle de leur personnel avec les partenaires sociaux bien avant de devoir prendre des mesures face aux difficultés économiques. Le cadre idéal en sera le comité de conjoncture. Il n'y aura pas d'obligation de conclure un plan de maintien dans l'emploi mais il y aura obligation d'en discuter. Et ce plan sera assorti d'aides de l'Etat pour le rendre attractif aux yeux des chefs d'entreprise. Je pense avoir trouvé une voie médiane qui fera la juste part des choses entre encouragement et obligation.

Jean-Marie Denninger: Quels seront les avantages pour les patrons?

François Biltgen: Déjà d'éviter un plan social, toujours négatif pour une entreprise car une telle annonce décourage les clients et rend les fournisseurs méfiants. Il s'agit là d'un aspect psychologique important sans compter qu'un plan de maintien dans l'emploi coûte moins cher qu'un plan social. A l'entreprise et à la collectivité puisque les salariés changent d'emploi sans passer par la case du chômage.

Jean-Marie Denninger: Quelles aides prévoyez-vous?

François Biltgen: Je ne veux pas entrer, pour l'instant, dans le détail. Mais je peux très bien imaginer, par exemple, que la préretraite-ajustement soit prioritairement ou exclusivement accordée lors de la négociation d'un plan de maintien dans l'emploi. Et systématiquement refusée dans les purs plans sociaux. Alors que pour l'instant il s'agit de la première démarche des patrons et représentants du personnel lors de la discussion d'un plan social. Leur réflexion commune, avant toute autre discussion, c'est souvent de calculer le nombre de bénéficiaires potentiels de cette formule. Elle ne doit pas rester la première solution miracle retenue. Pour l'éviter, il faudra anticiper grâce au maintien dans l'emploi. De toute façon, la participation des entreprises à son financement va augmenter et passer de 30 à 75% selon les cas contre 0 à 50% actuellement.

Jean-Marie Denninger: La mesure est déjà mise en pratique, sans base légale, sur votre impulsion. Quel est votre sentiment?

François Biltgen: Nous apprenons tous les jours. Comme à l'occasion de la fermeture de Monopol. L'expérience est positive. Le secteur a joué le jeu, comme dans le gardiennage en début d'année. Aussi bien la Confédération luxembourgeoise du commerce que les syndicats. Je suis content car cela montre que les patrons commencent à regarder ce concept avec un œil plus favorable. Au risque de me répéter, ce ne sera pas un instrument panacée universel mais une philosophie que j'essaie d'ancrer dans la loi. Mais il faut savoir qu'il n'y aura pas un modèle de plan de maintien dans l'emploi. Chaque cas sera différent.

Jean-Marie Denninger: Qu'en est-il de la révision de la législation sur le chômage? Allez-vous baisser les allocations?

François Biltgen: Il n'est pas question de toucher au montant de l'indemnité. Elle reste fixée à 80% du salaire. Mais ce qui va changer c'est la durée de l'indemnisation dans certains cas précis pour éviter des effets pervers. Comme par exemple le fait qu'il suffit d'avoir travaillé six mois au Luxembourg pour toucher l'indemnité pendant douze mois. La durée de l'indemnisation deviendra proportionnelle à celle du travail.

Jean-Marie Denninger: Vous parliez précédemment du chômage des jeunes. Quelles mesures les concerneront?

François Biltgen: La réforme vise à rendre plus efficaces les mesures d'insertion face à l'absence de qualification, principale cause du chômage des jeunes. Nous allons réduire le nombre de contrats d'auxiliaires temporaires auprès de l'État et des communes, ce qui est à présent possible car le secteur privé accepte de faire un effort substantiel. Pourquoi? Parce qu'une étude du CEPS a constaté que les stages en entreprises sont bien plus efficaces que dans le secteur public. Dans ce dernier secteur, les jeunes servent souvent essentiellement à compenser le manque d'effectifs. Les administrations et communes essaient de les garder le plus longtemps possible, les jeunes s'imaginent pouvoir y faire carrière mais la chute est dure au bout de 12 ou 18 mois à la fin du contrat. Ces jeunes se retrouvent au chômage, n'ont pas envie de chercher du travail dans le privé et font l'objet d'un a priori défavorable des chefs d'entreprise, ce qui ne facilite pas leur placement.

Jean-Marie Denninger: À quelle date ces mesures entreront-elles en vigueur?

François Biltgen: Je présenterai cette loi disons tripartite dans le détail à la rentrée en septembre à la commission parlementaire compétente pour l'examen du texte. Les projets de loi suivront alors la voie législative normale.

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