"C'est un budget très fort au plan social". Luc Frieden au sujet du projet de budget pour 2007

Denis Berche: Pouvez-vous définir simplement ce qu'est une chose aussi compliquée que le budget de l'État?

Luc Frieden: C'est la manière dont le gouvernement affecte l'argent du contribuable. L'État collecte l'impôt auprès des personnes physiques et morales. Il répartit ensuite cet argent, ministère par ministère, pour atteindre les objectifs qu'il se fixe.

Tout ce processus est, bien entendu, soumis à l'approbation du Parlement.

Denis Berche: Dans la pratique, quel est votre rôle en tant que ministre du Budget?

Luc Frieden: Le ministre du Budget reçoit les propositions budgétaires de chacun de ses collègues du gouvernement. Le budget fait l'objet de discussions avec le Premier ministre et le ministre des Finances. La décision finale intervient après des discussions entre chaque ministre compétent et le ministre du Budget.

Denis Berche: Par décision finale, vous entendez les arbitrages nécessaires entre les désirs des uns, d'un côté, et la réalité budgétaire de l'autre?

Luc Frieden: Ces arbitrages sont toujours très difficiles et très douloureux. Même si les propositions des ministres sont souvent raisonnables, le ministre du Budget doit tenir compte de la situation économique et financière.

Il doit vérifier si ce qui est proposé est raisonnable. Il doit aussi réduire des dépenses qui semblent certes souhaitables, mais pas réalisables pour l'instant. C'est une tâche ingrate, mais aussi une fonction extrêmement intéressante.

Denis Berche: Vous êtes ministre du Budget depuis février 1998. Le budget 2007 est donc votre neuvième. L'exercice est-il pour autant plus facile avec l'expérience?

Luc Frieden: Même avec de l'expérience, cela reste extrêmement compliqué. Car il y a toujours de nouveaux éléments à prendre en compte et de nouveaux besoins qui doivent se refléter dans le budget de l'État. Recettes et dépenses sont des données fluctuantes. Et au-delà des chiffres, il y aussi dans l'établissement du budget un exercice politique qui reste difficile.

Denis Berche: Au niveau temps, comment se prépare le budget?

Luc Frieden: Un budget se prépare tout au long de l'année. Mais le travail est énorme de la mi-août à la mi-octobre. J'y passe quasiment toutes mes journées et une majeure partie des week-ends d'autant que je dois aussi gérer mes autres ministères et certains dossiers européens.

Denis Berche: Vous avez déposé le projet de budget devant la Chambre mercredi dernier, dans quel état d'esprit étiez-vous ensuite?

Luc Frieden: J'ai ressenti un certain soulagement. Mais, immédiatement, le travail reprend car le ministre du Budget accompagne le travail des parlementaires. Dès jeudi matin, j'ai passé deux heures à répondre aux députés membres de la commission des finances et du budget. Je suis à disposition de la Cofubi et du rapporteur du budget, Lucien Thiel, jusque fin décembre.

Denis Berche: Est-il plus facile pour un ministre du Budget chrétien-social de s'entendre avec un rapporteur issu des rangs du même parti?

Luc Frieden: Quelles que soient les appartenances politiques, le ministre du Budget doit faire preuve d'objectivité. J'ai mes convictions, mais le budget doit refléter d'une manière non partisane les choix du gouvernement et des deux composantes de la coalition. Je n'ai pas à privilégier l'un ou l'autre membre du gouvernement.

Denis Berche: Quel est le fait majeur de budget 2007?

Luc Frieden: Il répond à une double contrainte: réduire le déficit public à moins de 1 % du produit intérieur brut et freiner de façon substantielle la croissance des dépenses. Ce budget prévoit donc un déficit de 0,9 % et des dépenses en hausse de 3,6 % contre des recettes en hausse de 5,4 %.

Il a fallu faire des choix douloureux. Ce que le Premier ministre, ministre des Finances, et moi avons fait. Redonner aux finances publiques une bonne santé a prévalu sur tous les autres choix.

Denis Berche: Avec un déficit établi à 0,9 %, le Luxembourg reste ainsi parmi les meilleurs élèves de I'UE...

Luc Frieden: Nous sommes effectivement parmi les bons élèves, ceux qui respectent le Pacte de stabilité. Nous faisons même mieux dans ce domaine que nos trois voisins (NDLR : Belgique 1,2 %, France et Allemagne 2,5 %). Mais pour être dans les meilleurs élèves, il faudrait un excédent budgétaire que nous n'avons pas. Ce budget 2007 donne néanmoins le cap à suivre pour les budgets 2008 et 2009. Nous devons continuer à observer une politique budgétaire très stricte. Nous devons veiller à ce que nos dépenses n'augmentent pas plus vite que nos recettes. Nous devons encore nous améliorer.

Denis Berche: Que dire encore de ce budget?

Luc Frieden: Malgré des restrictions budgétaires évidentes, c'est un budget qui prévoit des investissements de l'ordre de 1,6 milliard d'euros pour construire de nouvelles écoles, de nouvelles structures sociofamiliales, de nouvelles infrastructures dans le domaine de la mobilité avec un grand bloc route-rail-aéroport. C'est aussi un budget qui prépare l'avenir car il investit dans l'éducation et l'enseignement supérieur, mais aussi dans la recherche et le développement.

Ce domaine va passer de 0,38 % à 0,44 % du PIB.

Denis Berche: On se rapproche des 3 %, objectif affiché de l'Union européenne en terme de R&D public et privé?

Luc Frieden: Si l'on ajoute les 0,44 % du budget de l'État aux 2 % de la recherche privée au Luxembourg, nous ne sommes en effet plus très loin de l'objectif des 3 %.

Denis Berche: Des voix se font pourtant entendre pour juger ce budget trop peu social?

Luc Frieden: Ce budget reste très fort au plan social. 45 % des dépenses de l'État luxembourgeois sont des dépenses sociales. Le volet social augmente de 5 % alors que les dépenses sont limitées à 3,6 %.

À elles seules, les prestations familiales représentent 800 millions d'euros de dépenses. Nous avons certes désindexé les allocations familiales, mais le système reste très performant et permet aux familles de se développer, aux parents de pouvoir préparer l'avenir de leurs enfants.

Denis Berche: Mises à part les réformes décidées en tripartite, aucune autre réforme ne s'avère indispensable dans ce domaine?

Luc Frieden: Non, il n'y a aucune raison de toucher davantage aux prestations familiales.

Denis Berche: Que répondez-vous à ceux, les syndicats notamment, qui font une autre lecture de votre budget?

Luc Frieden: Qu'ils se trompent. Presque la moitié de ce budget est consacrée aux ménages. La politique fiscale permet à beaucoup de ménages aux revenus moins élevés de ne pas payer d'impôts.

Denis Berche: Avec un budget aussi solide, les réformes de la tripartite n'étaient-elles pas une tempête dans un verre d'eau?

Luc Frieden: Sans les mesures adoptées, les dépenses auraient augmenté de 7,6 % et le déficit aurait été plus grand.

Denis Berche: Ne craignez-vous pas de voir revenir à la table des négociations certains acteurs?

Luc Frieden: Le gouvernement n'entend pas revenir sur les propositions et les décisions de la tripartite.

Denis Berche: Fallait-il pour autant serrer autant la ceinture?

Luc Frieden: J'espère que la bonne santé des finances publiques est un objectif que tous ceux qui se sentent responsables de l'avenir de ce pays partagent avec le gouvernement.

Denis Berche: Même si l'arrivée de Mittal chez Arcelor a posé de gros problèmes, c'est finalement une manne inespérée que récupère l'État luxembourgeois...

Luc Frieden: C'est effectivement 400 millions d'euros que nous allons affecter à la SNCI (Société nationale de crédit et d'investissement) qui soutient l'investissement des entreprises, à l'aménagement de terrains industriels, à la promotion de l'économie luxembourgeoise et de la place financière. Nous mettons cet argent au service de futurs emplois.

Denis Berche: C'est une réponse à ceux qui opposent capital et social?

Luc Frieden: Il ne faut pas opposer capital et social, mais faire en sorte que le capital soit au service du social. Le capital doit servir à créer des emplois et ainsi dans une large mesure aider le social.

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