"Je voulais tout changer dans le monde". Jean-Claude Juncker interviewé par des élèves de l'école primaire française

Quelles ont été les plus belles années de votre enfance?

Jean-Claude Juncker: J'ai eu une enfance heureuse. Quand j'avais dix ans, mon père était ouvrier à l'Arbed et nous habitions Belvaux. Je garderai toujours des images en relation avec la sidérurgie. Comme ces milliers d'ouvriers à vélo à la sortie de l'usine. Et les repas de midi pris à 14.30h quand mon père avait fini son poste.

J'ai vécu au rythme du travail des autres. Dans la rue, il fallait jouer en silence car dans une maison sur deux, il y avait un ouvrier qui dormait.

J'ai aussi aimé vivre avec les enfants d'autres nationalités. La seule différence entre nous, c'était quand on jouait au foot. Il y avait une équipe luxembourgeoise, une italienne et une "autre".

Y a-t-il une idole ou un modèle qui vous a poussé à choisir ce métier?

Jean-Claude Juncker: Non. À part mes parents que j'admirais pour leur sérieux et parce qu'ils aimaient leurs enfants. Le seul homme politique que je connaissais était De Gaulle, l'homme qui a apporté la liberté, l'histoire faite homme. Même enfants, nous le sentions.

Il y avait aussi Kennedy. Le premier souvenir politique de ma vie est son assassinat en 1963. Mon père a pleuré en entendant la nouvelle à la radio. JFK avait soulevé un énorme espoir. Je connaissais aussi Adenauer... cela ne veut pas dire que je me place dans leur lignée.

Aviez-vous déjà un intérêt pour la politique?

Jean-Claude Juncker: Pas vraiment. Je m'y intéressais à travers ce que disait mon père. Il m'obligeait chaque jour à lire le journal et à commenter l'actualité. La guerre du Vietnam, le Congo belge... Cela m'a beaucoup impressionné. Surtout les assassinats de sœurs et de missionnaires luxembourgeois là-bas.

Quel est le plus beau cadeau que vous ayez reçu pour Saint-Nicolas?

Jean-Claude Juncker: On recevait des cadeaux modestes. Je me souviens de deux petits trains électriques, offerts par chacune de mes grand-mères. L'un était français, l'autre allemand. Pas moyen de les raccorder ensemble! J'ai aussi eu un char, confisqué par mon père qui ne voulait pas que je prenne goût aux machines de guerre.

Il avait connu les vrais chars pendant la Seconde Guerre mondiale.

Avez-vous passé votre enfance au Luxembourg?

Jean-Claude Juncker: Oui, mais avec toujours un pied à l'étranger. La banlieue belge: Arlon, Athus ou Trêves, Metz. Il y avait encore des frontières où on attendait parfois une heure et demie. Quand on critique l'Europe, j'ai envie de rejouer aux frontières pendant six mois!

Le père Fouettard aurait-il des raisons de s'occuper de vous?

Jean-Claude Juncker: Oui!, mais il ne sait pas tout... heureusement.

Croyez-vous à Saint-Nicolas?

Jean-Claude Juncker: Oui. J'ai gardé une part de naïveté. J'ai trouvé normal qu'un jour par an quelqu'un vienne me dire si j'ai bien agi. J'ai toujours aimé cette fête car les enfants sont les princes de la vie. Ils ont droit à la reconnaissance des adultes.

Quelle différence y a-t-il entre les enfants d'hier et d'aujourd’hui?

Jean-Claude Juncker: Je n'ai pas d'enfant. C'est le seul élément de tristesse de ma biographie. Les enfants d'aujourd'hui sont différents parce que leurs parents le sont. Je n'entre jamais en guerre contre les enfants -contrairement à ce qu'on dit en ce moment- je me fâche contre leurs parents.

Que vouliez-vous changer dans le monde quand vous étiez enfant?

Jean-Claude Juncker: Tout! Je trouvais injuste qu'on fasse des différences entre les hommes. Mon père a été ouvrier puis employé privé. C'est moi, à 10 ans, qui lui ai appris le français pour qu'il passe ses examens. Il l'a vécu comme une énorme promotion sociale. Mais les fonctionnaires avaient encore plus de prestige. Les enfants de médecins, de dentistes faisaient des choses auxquelles je n'avais pas accès. J'ai aussi vu les petits Italiens déracinés à dix ans pleurer pendant des mois sur leur banc d'école où ils ne comprenaient rien. J'ai presque souffert physiquement de ces injustices. Je me suis dit: il y a des rapprochements à faire!

Quel métier vouliez-vous faire alors?

Jean-Claude Juncker: En 1964, j'avais dix ans et je rêvais d'être joueur professionnel dans une équipe italienne. Ensuite, j'ai voulu faire disc-jockey, puis journaliste. Mais je le serai un jour.

Avez-vous encore un rêve d'enfant?

Jean-Claude Juncker: 7% de la population mondiale est européenne et nous avons la moitié de la richesse mondiale. Mon rêve, c'est qu'on arrête de se plaindre.

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