Interview de fin d'année du Vice-Premier ministre et ministre des Affaires étrangères et de l'Immigration Jean Asselborn

TTV: D’EU-Verfassung ass den Haaptdossier vun der däitscher Présidence. De Jean Asselborn gleeft weiderhinn, datt een eng Léisung fanne kann, déi souwuel de "Jo" vu Lëtzebuerg wéi och den "Nee" vu Frankräich an Holland respektéiert.

Jean Asselborn: Ce serait irrationnel de faire retourner encore une fois les Luxembourgeois devant les urnes pour ce traité de base, ce traité constitutionnel pour l’Union européenne. Moi, je pense que le Luxembourg, dans des conditions très, très difficiles, et avec l’Espagne, a fait son travail. Le peuple a dit "oui" au traité constitutionnel européen, donc il ne faut pas jouer avec ce fait.

Le moteur de l’Europe, c’est le consensus. Vous avez deux autres pays qui ont dit "non", vous avez 18 autres maintenant qui ont dit "oui". Donc il faut que nous cherchions à emmener les deux autres pour sortir de ce trou et pour cela ils doivent changer. En France, le débat était quand même très, très sain politiquement, parce que là, la droite comme la gauche cherchent à trouver une issue et cherchent à être mandatés après les prochaines élections pour revenir donc sur une autre voie, tandis qu’aux Pays-bas la situation est pour l’instant un peu complexe, bloquée et j’espère qu’avec un nouveau gouvernement là, les choses vont aussi s’éclaircir. Maintenant ce qu’il faut faire, c’est aider la présidence allemande pour qu’on puisse établir au mois de juin une roadmap, avec le but d’avoir un nouveau traité constitutionnel en 2009, c'est-à-dire que dans le meilleur des cas au début de la Présidence française, donc début du 2e semestre 2008, on ait un nouveau texte.

TTV: Iwwert d’Tierkei seet de Minister, datt se eng europäesch Vocatioun huet, mä fir d’éischt sinn d’Balkanlänner drun.

Jean Asselborn: Un challenge donc très, très, très important en Europe peut-être plus difficile à accomplir par rapport à l’Euro encore, plus difficile que l’Euro c’est donner, concrétiser la perspective européenne pour les Balkans. Là, il ne faut pas hésiter. Vous savez qu’on va parler un peu sur l’immigration, et surtout les demandeurs d’asile viennent d’une région de l‘Europe qui est située entre la Grèce et la Slovénie. Et il faut que nous marchions là dans une direction avec détermination. Maintenant, l’année 2007 sera très importante pour la Serbie, pour le Kosovo, mais aussi pour les autres pays. Alors il faut que nous avancions sur les Balkans. Je ne dis pas maintenant que dans dix ans tous les pays des Balkans seront membre de l’Union européenne, mais il faut aller en avant dans cette direction. C’est très important et ça n’a rien à faire avec la négociation avec la Turquie. La négociation avec la Turquie, c’est une négociation qui va prendre énormément de temps, mais sur les Balkans, là, il faut qu’on puisse accélérer le mouvement. Sinon, non seulement cette région sera déstabilisée, mais toute l’Europe peut être à nouveau déstabilisée et pour les Balkans, c’est à l’Union européenne de trouver des solutions.

TTV: D’Walen a Südamerika hunn d’lescht Joer d’Komme vun de Sozialisten an der Géigend marquéiert, eng Entwécklung iwwert déi sech de Jean Asselborn natierlech gefreet huet.

Jean Asselborn: Si vous regardez l’Amérique latine, l’Amérique centrale d’il y a 10 ans, 15 ans, 20 ans, vous avez énormément de coups d’État. Et maintenant c’est par les élections que le peuple cherche à trouver, donc à décider ses dirigeants. Donc c’est un chemin énorme que ces pays ont fait. Moi, je pense que les élections par exemple au Pérou, en Bolivie, au Brésil, au Chile maintenant - il y a peut-être l’exception du Venezuela - mais c’est une très, très bonne réaction des populations dans ces pays. Et j’espère là aussi que les Américains ensemble avec nous, parce que l’Union européenne est en train de traiter des accords multilatéraux avec la communauté andine, avec le Mercosur et avec l’Amérique centrale, tandis que les Américains, ils ont toujours tendance à faire des accords bilatéraux et surtout à chercher à mettre en exergue leurs intérêts. Donc là aussi je pense que il faut que nous apprenions à travailler ensemble pour qu’il y ait une intégration d’abord des États de l’Amérique latine et puis, pourquoi pas, une possibilité de libre échange avec l‘Europe.

TTV: Datt ee mat den Amerikaner zu dëser Fro mä och zu anerer eng gemeinsam Positioun fanne kann, dat hofft de Minister, mä hee mengt awer net, datt déi lescht Victoire vun den Demokraten alleng déi amerikanesch Aussepolitik radikal verännere kéint.

Jean Asselborn: Aux États-Unis, il faut qu’on arrive à changer la mentalité de la politique extérieure. Dans un monde globalisé, les États-Unis qui sont le plus grand et le plus fort pays sur la terre, économiquement certainement, ils sont assez petits sur une planète globalisée et donc comme aujourd’hui la France, l’Allemagne, l’Angleterre sont devenus beaucoup plus petits par rapport aux problèmes, - challenges - qui se posent à eux, c’est pour ça qu’on cherche donc à intégrer l’Europe et là aussi aux États-Unis, il faut que les États-Unis aident les Nations unies. Les Nations unies ne sont pas là pour aider les États-Unis d’Amérique, mais le contraire doit être vrai. Et là, j’espère qu’on puisse faire des pas dans la bonne direction.

TTV: Mir hunn de Minister natierlech och gefrot wéi eng Rees a Perséinlechkeet heen 2006 am meeschte beandrockt huet.

Jean Asselborn: Ce qui m’a énormément frappé, c’est justement cette - on a parlé de l’Amérique latine - cette visite au Pérou et au Mexique, à Mexico City. Mexico City c’est énorme, c’est la moitié du territoire luxembourgeois et c’est je crois plus de 20 millions d’habitants. C’est énorme. Et puis à Lima, vous avez un quartier à Lima qui ressemble à nos villes ici, Bruxelles, Paris, Luxembourg. Et si vous sortez deux, trois kilomètres du centre de Lima, vous voyez les gens qui vivent sur des talus de sable, qui ont moins d’un demi-dollar par jour, ce n’est même pas des bidonvilles, c’est pire. Et là, ils ont encore les possibilités à gagner leur vie et donc pour moi c’était frappant. Et après Gaza, j’étais au Nigeria, j’étais en Tanzanie l’année dernière, au Soudan, il y a des gens qui vivent dans des conditions tout à fait différentes des nôtres, tout à fait différentes, certainement pas meilleures, mais là, ça m’a frappé.

Donc les personnalités les plus marquantes, peut-être cette année: j’ai de très, très bonnes relations avec le ministre des Affaires étrangères de la Corée du Sud qui s’appelle Ban Ki-Moon. Donc depuis deux ans maintenant, ou deux ans et demi on se connaît, on se voit régulièrement. Nous avons toujours eu des contacts très, très amicaux, de bonnes relations personnelles. Après son élection, il m’a téléphoné, je lui ai téléphoné, il y a quelques jours encore. Donc c’est pour moi une personnalité qui ne ressemble pas à, disons, un diplomate type, un homme qui montre une certaine force sur le plan diplomatique, mais qui est quelqu’un, je pense, qui sait écouter, qui sait réfléchir et prendre les décisions justes, les décisions qui s’imposent. Donc, je suis certain qu’en début de l‘année prochaine, je vais me déplacer à New York pour le voir aussi et pour être aussi un peu un intermédiaire pour l’Union européenne avec les Nations unies. Je ferai de mon mieux pour travailler très, très étroitement avec lui et de le soutenir également dans cette tâche très, très difficile.

TTV: De Jean Asselborn ass awer och Immigratiounsminister. 2006 ass heen öfters wéinst der Lëtzebuerger Asylpolitik kritiséiert ginn. Zu dëser Fro huet heen eis natierlech och e puer Erklärunge ginn.

Jean Asselborn: C’est évidemment un dossier dans tout gouvernement qui est très, très difficile, parce que vous touchez immédiatement les personnes. Si vous prenez une décision, vous prenez une décision pour des enfants, contre des enfants, pour un homme, pour une femme. Donc c’est très, très difficile à assumer. Mais bon, il n’y a pas de politique d’asile dans aucun pays sur la terre où il n’y a pas de retours, parce que sinon on accepterait tout le monde, tout le monde qui frappe à notre porte pour rester dans le pays, ce serait l’idéal, mais même un pays comme le Luxembourg qui, d’après les statistiques est un des plus riches sur le globe ne pourrait vivre avec. Donc, asile pour ceux qui ont besoin d’asile pour la période où ils ont besoin d’asile. Puis après donc, il faut que ces gens retournent. Vous savez l’extradition, c’est une solution imposée, tandis que le retour est volontaire. On aide même les gens à retourner dans leur pays. Malheureusement, si les gens ne profitent pas de ce retour volontaire, il faut qu’à la fin du compte il y ait des retours qu’on dit forcés ou des retours donc d’autorité.

C’est toujours très, très difficile. Nous avons fait de notre mieux pour examiner tous les cas spéciaux, les cas spécifiques surtout en présence d’enfants, mais ceux qui viennent maintenant et à qui le tribunal, c’est la justice, qui refuse l’asile, ils doivent retourner dans leur pays. Mais écoutez, politiquement on doit tout faire, comme j’ai dit au début, pour stabiliser les Balkans. Si on arrive à donner, à concrétiser cette perspective européenne pour les Balkans, on a résolu le problème au fond, donc l’origine de ce problème en ce qui concerne les Balkans.

Or il y aura toujours ce problème de l’Afrique. Nous en avons discuté à Bruxelles. Vous savez que l’Europe doit chercher à avoir un nouveau sommet avec l’Union africaine. Il faut qu’on aide ces pays de façon très précise, très complète, pour le dire en une phrase, pour que les gens puissent vivre dans leur région, dans leur pays et pas seulement voir à la télévision ou voir dans les journaux qu’il y a qu’une solution pour sortir de la misère en Afrique, c’est d’aller en Europe.

TTV: Mä déi meescht Awanderer déi an de leschte Joren de Wee op Lëtzebuerg fonnt hunn, kommen aus Portugal, eng Realitéit déi de Minister net besuergt.

Jean Asselborn: C’est vrai, il y a 2000 Portugais en moyenne maintenant avec une tendance croissante par mois qui viennent à Luxembourg. Donc, c’est un défi pour l’école luxembourgeoise. La ministre Mady Delvaux sait donc que ce problème-là se rajoute aux énormes problèmes que nous avons déjà avec l‘éducation à Luxembourg, dus notamment aux deux langues et puis aux cultures différentes qui se réunissent dans notre pays. Je pense que le Portugal est un pays européen qui nous a beaucoup beaucoup apporté. J’ai travaillé à l’administration communale de Steinfort à la fin des années 60, début des années 70. Donc je connais énormément de familles qui ont fait leur chemin ici, les enfants sont restés, ils sont même déjà en troisième génération et pourquoi pas à ceux qui viennent, il faut que nous fassions des efforts. Nous avons besoin de gens à Luxembourg qui veulent faire leur vie ici, qui apportent quelque chose à notre économie. Je vois tout à fait positivement ce phénomène-là. J’espère que nous gardons la capacité, pas pour les absorber, ça c’est un terme très européen - capacité d’absorption pour les nouveaux pays membres - mais la capacité pour pouvoir vraiment les accueillir ici et pour qu’ils puissent s’intégrer dans notre société.