"Il y a un relent de nationalisme". Nicolas Schmit au sujet de la politique d'immigration du gouvernement

Le Quotidien: Quelle définition donneriez-vous de votre politique d'immigration?

Nicolas Schmit: Je veux d'abord répéter ce que j'ai déjà dit: il faut distinguer l'immigration du droit d'asile. Je ne suis pas dupe. Je sais bien que parmi les demandeurs d'asile certains pensent que l'asile est un moyen d'immigrer. Or, il faut à tout prix séparer les deux si on veut maintenir le droit d'asile tel qu'il est, je dirais comme un droit presque sacré.

En ce qui concerne l'immigration, c'est d'abord une immigration de travail et elle doit prendre en compte les besoins du marché, qui a explosé ces dernières années. Ces besoins sont encore largement couverts par la Grande Région et les ressortissants de l'Union européenne, qui bénéficient de la préférence communautaire.

Le Quotidien: Vous dites "largement"?

Nicolas Schmit: Oui, car il a aussi fallu recourir à des personnes venant de pays tiers. Il s'agit de personnes très qualifiées, mais aussi peu qualifiées pour occuper des travaux qui ne sont plus effectués par d'autres dans la restauration, le bâtiment ou encore la garde d'enfants, de personnes handicapées ou âgées.

Le Quotidien: Pour elles, l'immigration au Luxembourg est donc uniquement fonction de l'emploi?

Nicolas Schmit: Non. Il y a aussi le regroupement familial: certains font venir leur famille, parfois des proches. Il faut gérer cela avec un esprit d'ouverture. Il y a aussi les jeunes qui ont étudié en Europe et qui peuvent acquérir de hautes compétences en travaillant ici quelques années. Là aussi, il faut avoir une approche sensible, en se gardant de favoriser la "fuite des cerveaux" tout en répondant aux attentes de ces jeunes.

Le Quotidien: C'est-à-dire?

Nicolas Schmit: Il ne faut pas qu'ils pensent qu'en retournant dans leur pays, ils se ferment définitivement les portes ici. Nous travaillons dans ce sens avec le Cap-Vert, car nous avons une communauté cap-verdienne importante. Il faut donner la chance à ces jeunes de venir en Europe, de rentrer dans leur pays et éventuellement de revenir. En revanche, je suis ferme sur l'immigration illégale.

Le Quotidien: Pourquoi?

Nicolas Schmit: En premier lieu, parce qu'elle plonge les gens dans une marginalité inacceptable. Ensuite, il ne faut pas se voiler la face, il y a un problème d'acceptabilité de nos sociétés. Nous avons besoin d'immigration pour faire face au vieillissement de la population et pour des besoins économiques, mais il faut garder un niveau d'acceptabilité. Et l'immigration illégale engendre la marginalité sociale, avec tous les dangers que cela comporte, y compris la criminalité.

Le Quotidien: Visez-vous les jeunes Africains de l'Ouest en disant cela?

Nicolas Schmit: Cela n'a strictement rien à voir avec l'origine des gens. Ce que je veux dire, c'est quand un jeune arrive ici sans rien dans les poches, il peut devenir une proie facile pour tout réseau criminel... qui a d'ailleurs parfois contribué à le faire venir. Ces jeunes qui vendent de la drogue viennent par des réseaux de passeurs souvent liés à d'autres milieux criminels.

Le Quotidien: Dans l'expulsion avortée de Mamadou Diallo, le 9 mars dernier, des policiers luxembourgeois sont accusés d'avoir molesté ce jeune Guinéen à Roissy, alors qu'ils attendaient le vol pour Conakry.

Nicolas Schmit: Son cas est particulier. M. Diallo était venu illégalement d'ltalie et c'est l'un de ces jeunes qui s'est lancé dans le trafic de drogue. Il a été arrêté et condamné. Après sa peine, il a été décidé de le renvoyer en Guinée. M. Diallo a été coopératif jusqu'au moment de l'embarquement à Paris. Là, il s'est rebellé, en partie parce qu'on avait oublié de lui remettre ses papiers italiens périmés, auxquels il avait cependant droit. Nous avons eu avec lui un certain nombre de malentendus et je le regrette. M. Diallo s'est donc battu avec les policiers qui ont riposté et l'ont ramené à Luxembourg.

Le Quotidien: D'où il a été expulsé, quatre jours plus tard, à bord d'un avion spécialement affrété...

Nicolas Schmit: Quel choix avions-nous? Risquer un nouvel échec par un vol régulier? Il serait à nouveau revenu au Luxembourg et aurait fini par être libéré.

Le Quotidien: L'ASTI avance un coût de 51.000 euros pour cette expulsion. Vous le confirmez?

Nicolas Schmit: Oui, je le confirme. Bien sûr, c'est une somme choquante. Mais nous avons pris la décision de l'expulser et j'ai décidé d'assumer ce coût.

Le Quotidien: S'agissait-il de faire un exemple?

Nicolas Schmit: Vous savez, la rébellion ne peut pas être à la fin récompensée par une autorisation de séjour. Mais je comprends aussi la réaction de personnes qui, soudain, sont mises devant le fait de devoir retourner chez elles. Quand vous avez tant investi pour quitter votre pays et vivre mieux en Europe, c'est un coup dur.

Le Quotidien: Avez-vous un quota d'expulsions?

Nicolas Schmit: Non, en principe tous ceux qui se trouvent illégalement sur le territoire sont susceptibles d'être expulsés. Maintenant, dire qu'il faut que j'expulse 500 ou 1.000 personnes par an, c'est une approche que je ne peux pas retenir.

Le Quotidien: Les expulsions sont désormais accompagnées par la Croix-Rouge. De qui émanait cette demande?

Nicolas Schmit: Je suis conscient que l'expulsion est un drame et peut provoquer des situations tendues. J'ai donc suivi une recommandation du Conseil de l'Europe sur la présence d'observateurs indépendants lors des retours. La Croix-Rouge nous a proposé ses services. Nous élaborons un "statut de l'observateur" avec elle. Il faut aussi convaincre les policiers, car ce n'est pas une partie de plaisir pour eux. J'espère aussi avoir un code de conduite sur la façon dont ces opérations doivent se dérouler.

Le Quotidien: Le nombre de demandeurs d'asile a baissé de plus de moitié en cinq ans, passant de plus de 1.000 en 2002 à moins de 500 l'an dernier. Comment l'expliquez-vous?

Nicolas Schmit: Au début des années 2000, le gros des réfugiés venaient des Balkans. Même si tout n'y est pas encore parfait, la situation y est toutefois fondamentalement différente de ce qu'elle était.

Pour les Africains de l'Ouest, on a eu jusqu'à 800 demandeurs d'asile en 2003. Beaucoup de Nigérians. Je me l'explique difficilement. Il y a plusieurs facteurs. L'un d'eux est lié aux milieux criminels et nous avons agi contre ces milieux. Mais attention, je ne dis pas que tous les demandeurs d'asile ou tous les Nigérians sont des criminels.

Le Quotidien: Vous semblez penser que les Nigérians ne sont pas de vrais réfugiés politiques?

Nicolas Schmit: Je ne condamne nullement ces personnes qui demandent l'asile. Certains l'ont d'ailleurs obtenu parce que le Nigeria n'est pas le paradis des droits de l'Homme, loin de là. Mais la plupart sont des réfugiés économiques qui veulent venir en Europe. Je comprends très bien cela, mais je ne peux pas l'endosser.

Le Quotidien: La persistance de la pauvreté dans de nombreux pays du Sud, aggravée par la famine, va accélérer les migrations vers l'Europe. Quelle réponse l'Union européenne peut-elle y apporter?

Nicolas Schmit: Je dois d'abord dire qu'il est impossible d'arrêter ces flux, même avec les meilleurs contrôles aux frontières. Bon, je crois que la réponse classique est de dire qu'il faut une action de grande ampleur en matière de coopération. Mais nous sommes tous conscients que c'est plus facile à dire qu'à faire. Le problème est que ce genre d'action ne peut porter ses fruits qu'à long terme alors que le problème se pose à court terme.

Le Quotidien: Le discours sur la coopération est le même depuis quarante ans. Pourtant, dans beaucoup de pays, la situation s'aggrave...

Nicolas Schmit: C'est vrai. Notamment à cause des prix alimentaires. Les raisons de ce désastre sont multiples. Les subventions versées aux agriculteurs du Nord en font partie. Elles tuent les cultures dans les pays pauvres. Mais ce qui arrive est aussi la faute d'une forme de capitalisme basée sur la spéculation à court terme, comme on le voit maintenant avec l'alimentation et le pétrole. Cela montre que le monde a besoin de plus de régulation. Si nos pays ne veulent pas l'accepter, ils doivent se préparer à une immigration massive. Il faut quitter les sentiers battus des décennies passées, car elles n'ont pas été caractérisées par la plus grande réussite de nos politiques de coopération. Souvent, ces politiques devaient d'abord servir nos intérêts. Si l'on n'en prend pas conscience, il faudra le payer.

Le Quotidien: Aux réfugiés économiques s'ajouteront bientôt des millions de réfugiés climatiques. Le statut du réfugié, tel qu'il a été défini en 1948 dans l'Europe de l'après-guerre, est-il adapté à cette situation?

Nicolas Schmit: D'abord je veux dire que je me méfie des scénarios catastrophes qui font peur aux gens. Pour ce qui est de la convention de Genève, elle a été élaborée sous le choc de l'après-guerre et du génocide. Aujourd'hui, nos sociétés sont beaucoup plus... modérées. Les gens savent qu'il y a des guerres, mais ils voient ça sur leurs écrans. Alors, je ne sais pas si c'est une bonne idée de vouloir entièrement renégocier ces instruments internationaux. Je ne suis pas très optimiste car il n'est pas certain qu'il en sortirait quelque chose de plus généreux. Je pense qu'il vaut mieux essayer de faire évoluer les choses.

Le Quotidien: Dans un tout autre domaine, la question de la double nationalité provoque un débat très vif au Luxembourg. Qu'en pensez-vous?

Nicolas Schmit: Il faut maintenant voter cette loi qui est une bonne loi pour le Luxembourg, pour tous les Luxembourgeois, actuels et futurs. Nous devons faire un pas sur le chemin de l'intégration d'un grand nombre de gens qui vivent avec nous depuis longtemps. Il faut qu'ils puissent avoir accès à la nationalité sans être forcés à cette démarche déchirante consistant à répudier leur nationalité d'origine. Nous rejoindrons ainsi la grande famille des nations qui pratiquent la double nationalité... La Suisse, par exemple. Je n'ai jamais entendu dire que la Suisse bradait sa nationalité. Tous ces arguments sont un électoralisme de bas étage...

Le Quotidien: Qu'en est-il de la durée du séjour?

Nicolas Schmit: Savoir s'il faut cinq ou sept ans de séjour au Luxembourg pour obtenir la nationalité? Je ne veux pas entrer dans cette discussion.

Le Quotidien: Et pour la langue?

Nicolas Schmit: C'est plus compliqué car elle fait partie de la spécificité du Luxembourg. Cela dit, je constate que le luxembourgeois ne s'est jamais aussi bien porté, alors que nous vivons dans un pays avec 42% d'étrangers. La langue ne doit pas être un élément de sélection. Il faut donner aux gens envie de l'apprendre, y mettre les moyens, y compris financiers. Il faut, avant tout, une approche positive car il y a un lien affectif qui se crée par la langue. Ne nous érigeons pas en maître, mais en quelqu'un qui veut encourager les autres à intégrer cette part du Luxembourg. Alors, de grâce, arrêtons ces bêtises sur "brader la nationalité". Il y a là un relent de nationalisme dont, vraiment, le Luxembourg ne peut pas se payer le luxe.

Membre du gouvernement

SCHMIT Nicolas

Date de l'événement

12.05.2008

Type(s)

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