"L'économie luxembourgeoise devra devenir plus verte", Jean-Louis Schiltz au sujet de la révolution verte des technologies de l'information et de la communication

PaperJam: Monsieur Schiltz, on parle de plus en plus souvent de Green IT. Considérez-vous cela comme un simple gadget ou quelque chose de plus profond?

Jean-Louis Schiltz: Cela sera un gadget si nous n’arrivons pas à structurer les choses. Si le Green IT se limite à mettre des autocollants verts à toutes les entrées des datacenters sans rien faire d’autre, il est clair que l’on n’aura pas réalisé grand-chose. C’est pour ça que je plaide pour la mise en place d’une véritable feuille de route qui doit, à mon sens, s’établir autour de quelques principes de base qu’il s’agira d’élaborer avec l’ensemble des secteurs concernés. Car nous sommes à la fois dans ce qui est vert, dans l’énergie et dans l’IT.

Mais il est important, également, d’aller au-delà de ce seul concept de Green IT. Bien souvent, pour réaliser l’implémentation d’un modèle vert, il faut s’appuyer sur un financement étatique. Dans bien des cas, l’Etat doit mettre des modèles incitatifs. Ma conviction profonde est que ces modèles venus de l’Etat ne doivent pas se pérenniser. Nous devons ainsi trouver des modèles à la fois durables et autonomes économiquement parlant.

PaperJam: Quels sont les principes de base auxquels vous pensez?

Jean-Louis Schiltz: J’en vois quatre. Le premier concerne l’efficience. Lorsqu’on regarde les chiffres de l’empreinte carbone de tout ce qui est IT, c’est impressionnant. Il y en a même qui disent que l’IT a plus d’effets néfastes sur le réchauffement climatique que l’avion, mais je n’ai pas vérifié ces dires. L’efficience consiste alors à économiser l’énergie, à utiliser des énergies renouvelables et/ou utiliser de nouvelles technologies qui sont moins énergivores. Appliqué aux datacenters, par exemple, cela veut dire virtualisation sur un même support de plusieurs applications.

Le deuxième principe est de veiller à bien réutiliser l’énergie qui est, aujourd’hui, dégagée et perdue dans l’atmosphère. On me dit que pour les datacenters, environ 80% de l’énergie émise est perdue dans l’air. Essayons donc de trouver des modèles pour capturer cette énergie et la réutiliser. L’énergie émise par le site de Luxconnect, par exemple, va être utilisée par les entreprises voisines établies sur la zone industrielle et sur le centre de logistiques voisin. La conséquence directe sera que ces entreprises auront à utiliser, par ailleurs, moins, voire plus du tout, d’énergie fossile et, donc, réduiront aussi leurs émissions…

Troisièmement, je pense qu’il convient d’investir massivement dans la recherche en matière d’énergie. L’effort ne doit évidemment pas se limiter au seul Luxembourg, mais nous devons bien avoir en tête à côté de la recherche fondamentale, deux objectifs précis. Tout d’abord, tout ce que nous faisons en matière de recherche doit avoir pour objectif la mise en place de solutions durables. Ensuite, je considère que la recherche doit être menée en vue de trouver des solutions trouvant une application directe pour l’économie.

En dernier lieu, et c’est le point le plus fondamental: il faut rapprocher les technologies vertes et les technologies de l’information et de la communication et faire en sorte de pouvoir utiliser ces dernières pour faire des économies d’énergie.

PaperJam: N’y a-t-il pas encore, à ce niveau, un problème de perception qui veut que technologies et écologie soient antinomiques?

Jean-Louis Schiltz: Il faut en effet se détacher de ce précepte, qui est tout de même en train de disparaître progressivement, qui veut que tout ce qui est "vert" n’est pas de la technologie de l’information et que tout ce qui est technologie de l’information ne peut pas être "vert". Il faut ramener les deux, ensemble, et je suis convaincu que l’IT peut être un élément moteur essentiel pour tout ce qui est ‘technologie verte’ dans un contexte de réduction des émissions de CO2.

PaperJam: Comment imaginez-vous la suite de ce dossier, désormais?

Jean-Louis Schiltz: Je lance ces quatre idées et je souhaite que les secteurs concernés prennent la balle au bond, en validant, ou en invalidant, ces principes de base. Je note déjà que les entreprises concernées portent de plus en plus attention à cette composante verte et parlent de déploiements de tels concepts dans les technologies de l’information. Il importe, avant tout, de thématiser tout cela afin d’en faire un véritable atout et, pourquoi pas, de positionner le Luxembourg en tant que ‘Green IT hub’.

PaperJam: Cela doit-il faire partie des missions premières de la nouvelle structure Luxembourg for ICT qui vient de se créer?

Jean-Louis Schiltz: Il m’est difficile de répondre à cette question en vertu du principe de base de la démocratie et de la tenue des prochaines élections. Mais si j’avais un conseil à donner au prochain gouvernement, ce serait évidemment de privilégier ce contexte-là, même au-delà du seul Luxembourg for ICT.

PaperJam: Où en est le Luxembourg dans ces réflexions par rapport aux autres pays?

Jean-Louis Schiltz: Je constate que la réflexion est très avancée en Californie, par exemple, mais je ne la vois pas très avancée en Europe. Saisissons cette chance! Il se peut, dans l’une ou l’autre région, qu’il y ait des initiatives similaires, mais je ne vois pas un grand mouvement européen vers cette réunion du ‘Green’ et de l’IT, même si la Commission européenne a publié des recommandations allant dans ce sens. La prise de conscience n’est pas encore là.

Je suis évidemment satisfait que ces initiatives soient mises sur la table. Il faut désormais les remplir de substance. Il serait donc bien, dans cet ordre d’idée là, que nous adoptions dans son intégralité le paquet Télécom, afin de passer à la prochaine étape qui est celle-là…

PaperJam: Faut-il considérer le Green IT comme une composante de diversification de l’économie du pays, au même titre que la logistique ou les biotechnologies?

Jean-Louis Schiltz: Il s’agit en tous les cas d’une des options très sérieuses sur lesquelles il faudra travailler, quelle que soit l’orientation future de notre économie qui devra, de toute façon, devenir plus verte. Maintenant, nous en sommes trop tôt au stade des réflexions et des discussions pour dire si cette option sera porteuse ou bien une simple plus-value dans un contexte plus général

PaperJam: Pensez-vous par exemple qu’il faille envisager de s’appuyer sur l’expertise de spécialistes étrangers, pourquoi pas californiens, comme cela a été fait dans le cadre de l’implémentation de la biobanque?

Jean-Louis Schiltz: Procédons étape par étape. Voyons d’abord comment valider et compléter les principes énoncés précédemment avant de savoir comment il est possible de les développer. Je suis convaincu que le prochain gouvernement devrait mettre la priorité sur ce dossier. On verra alors dans six mois, un an ou deux, si c’est une petite affaire ou une grosse affaire. Mais ce sera une affaire, puisque l’économie luxembourgeoise devra devenir plus verte.»

Membre du gouvernement

SCHILTZ Jean-Louis

Organisation

Ministère d'État

Date de l'événement

21.05.2009

Type(s)

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