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"Il va falloir apprendre à travailler ensemble". Mady Delvaux-Stehres au sujet de la rentrée scolaire
Le Jeudi: Vous êtes le premier ministre de l'Éducation à pouvoir poursuivre ses réformes au cours d'un second mandat depuis... Fernand Boden de 1979 à 1989. Soulagée?
Mady Delvaux-Stehres: Oui, et j'ai bien l'intention de finir mon mandat. Je voulais rester. La réforme de l'enseignement fondamental fut un long dossier parlementaire, je suis contente de pouvoir accompagner sa mise en oeuvre, qui ne sera pas évidente.
Le Jeudi: Justement était-il indispensable de hâter ainsi la transposition?
Mady Delvaux-Stehres: L'école a un calendrier fixe... et la transposition est progressive. À quoi bon reporter? La nomination et l'affectation étatique de 4.000 instituteurs et la désignation des écoles n'auraient pas été plus faciles une année plus tard! Et puis la réforme n'arrive pas du jour au lendemain, il y a eu beaucoup de consultations, d'informations préalables.
Les choses avancent bien: les 152 écoles ont toutes un président sauf une, qui a un responsable nommé par la commune. Les équipes et les comités d'école sont constitués. Maintenant, il va falloir apprendre à travailler ensemble. L'enjeu est là.
Le Jeudi: Y a-t-il d'autres nouveautés pour la rentrée?
Mady Delvaux-Stehres: Le plus visible sera la disparition des "bulletins bleus" chiffrés, remplacés pour les premier et deuxième cycles par un bilan de compétences. Il y aura un nouveau plan d'études, et bien sûr le principe même de socles de compétences à atteindre. J'attends aussi l'élection des délégations de parents d'élèves en octobre. C'est important car elles seront représentées dans les commissions scolaires communales, là où se discutent toutes les décisions locales.
Le Jeudi: Pendant la campagne électorale, a été évoqué le rapprochement de l'Éducation nationale et de l'accueil extrascolaire, confié au ministère de la Famille...
Mady Delvaux-Stehres: Nous l'avons évoqué pendant les négociations de coalition. Le plus important n'est pas le ministère, mais la collaboration entre les équipes sur le terrain. C'est un grand chantier.
Nous avons deux écoles en journée continue (Eis Schoul à Luxembourg et Jean-Jaurès à Esch-sur-Alzette) qui dépendent entièrement de l'Éducation nationale, et on remarque que le travail entre les enseignants et les éducateurs est toujours compliqué. Ce sont deux métiers, deux conceptions. Les évaluations en cours montrent que c'est un des points faibles.
Le plus important est d'avoir une conception commune de ce qu'on veut transmettre aux enfants, que l'équipe qui les encadre en dehors de l'école ait une mission claire, savoir qui fait quoi et assurer le relais entre les intervenants. Ce qui est indispensable, c'est l'esprit d'équipe, et ça, c'est nouveau.
Le Jeudi: L'école de demain est-elle forcément en journée continue?
Mady Delvaux-Stehres: Je ne crois pas que ce soit la solution absolue pour tous les enfants. Il doit y avoir une offre pour les parents qui le souhaitent, mais il faut arriver à organiser une école pour tous et un encadrement à mission éducative pour ceux qui en ont besoin. Il faut aussi voir les implications, notamment au niveau de la vie associative. Que deviendront les clubs de sport, les conservatoires, par exemple, si les enfants sont l'école l'après-midi?
Le Jeudi: Vous poursuivrez la réforme entreprise dans le secondaire. À quel accueil vous attendez-vous?
Mady Delvaux-Stehres: J'ai tiré les leçons des cinq dernières années. Dans le fondamental, nous avons tout de suite lancé le texte de loi. Là, je veux d'abord définir avec les partenaires - enseignants et lycéens - les buts que doit atteindre l'enseignement postprimaire, à inscrire dans un document d'orientation. Il faut préparer les jeunes au mieux aux cursus universitaires ou à la vie professionnelle.
Nous voulons que plus de jeunes entament des études supérieures. L'objectif est d'atteindre 50% d'une cohorte d'âge. Actuellement, nous n'avons pas de chiffres précis, en dehors des demandes de bourses.
Le Jeudi: Une fois de plus, cette réforme reposera largement sur les épaules des enseignants. Quelle est votre marge de manœuvre pour les motiver?
Mady Delvaux-Stehres: La clé d'une bonne école est toujours chez les enseignants! Face à la situation actuelle, je ne peux pas m'imaginer qu'on augmente les salaires...
Le Jeudi: Dans l'accord de coalition, il est écrit: "L'école s'ouvrira". Est-ce à dire qu'elle est fermée?
Mady Delvaux-Stehres: Je veux que chaque élève, à la fin de sa carrière scolaire, ait eu affaire au monde du travail, ait visité un musée, soit allé au théâtre, au concert, ait une certaine formation politique. Et je veux que cela ne dépende plus seulement d'initiatives personnelles d'enseignants, mais qu'on fixe des principes, un standard.
Le Jeudi: Pour le cycle supérieur du secondaire, l'accord envisage un tronc commun des compétences et des branches optionnelles. Faut-il s'attendre à un grand bouleversement, jusqu'à la fin des sections?
Mady Delvaux-Stehres: Actuellement, nous spécialisons trop. Ce que demandent les universités, c'est une solide culture générale. Je pense à un modèle proche de celui du bac international où chaque élève doit avoir vu un peu de tout; les langues, bien sûr, les maths, les sciences, des matières créatives, la citoyenneté, la conscience de la société dans laquelle on vit.
Le but est d'avoir un socle de culture générale et une "préspécialisation" dans les matières dans lesquelles l'élève veut exceller. L'enjeu est d'encourager l'excellence. Le système de compétences nous permettra justement de déceler les domaines dans lequel chacun est bon et de les exploiter. Contrairement à ce micmac de moyennes où plus personne ne sait ce que cela signifie. On pourra alors abolir le système de compensation. Mais d'ici là, je ne toucherai pas aux critères de promotion.
Le Jeudi: Vous voulez créer des classes d'enseignement techniques dans tous les lycées dits classiques. Est-ce le premier pas vers un tronc commun?
Mady Delvaux-Stehres: Les deux ordres existent déjà dans bon nombre de lycées. Il s'agit de généraliser cela. Je ne sais pas si cette mesure va dans le sens d'un tronc commun, qui suppose des méthodes d'enseignement bien spécifiques pour accompagner tous les élèves. Ce n'est pas évident. J'avoue que je reste traumatisée par les discussions sur le tronc commun dans les années 70. On ne jurait que par ça et le projet a échoué lamentablement. Le tronc commun n'est pas une fin en soi. Le but est de qualifier chaque élève le mieux possible. Je ne me fixe pas une voie unique pour y arriver.
Le Jeudi: Comprenez-vous les craintes liées à la redéfinition des compétences requises en langue?
Mady Delvaux-Stehres: Je ne suis pas surprise mais je pense qu'il s'agit plutôt d'un malentendu. Nous tenons à notre multilinguisme, il ne s'agit aucunement d'un nivellement par le bas mais de préciser les qualifications. Chacun doit avoir trois langues mais au moins une dans laquelle il excelle. C'est tout à fait dans la continuité de la politique des dernières années.