"Faire de l'utile avec le nécessaire", Claude Wiseler au sujet du ministère du Développement durable et des Infrastructures

Frédérique Moser: Monsieur Wiseler, votre 'mega-ministère' en regroupe quatre. Pourquoi une telle concentration de portefeuilles?

Claude Wiseler: La philosophie générale, c'est de mettre ensemble ce qui va ensemble. Nous voulions avoir la possibilité de prendre des décisions cohérentes, efficaces et rapides. Ce ministère nous permet d'avoir un instrument qui part de la planification (avec l'aménagement du territoire) vers l'exécution (travaux publics, transports) jusqu'à l'exploitation ensuite, avec toute la gestion du trafic, notamment au niveau des CFL. C'est un ensemble logique. Cela nous donne également la possibilité de mettre en place une politique de la mobilité cohérente et d'avoir en mains les procédures d'autorisation.

Frédérique Moser: De nombreuses critiques évoquent des intérêts divergents, inconciliables, sur le mode 'On ne peut pas à la fois construire des routes et protéger l'environnement'. N'y-a-t-il effectivement pas là un enjeu de crédibilité?

Claude Wiseler: Il faut être très clair là-dessus: nous n'allons pas utiliser cette concentration des pouvoirs pour faciliter les autorisations, dans le sens où les standards seraient moins élevés ou plus facilement contournables. J'ai une responsabilité environnementale que je prendrai extrêmement au sérieux. Simplement, cela nous permettra, dans le cadre des procédures d'autorisation, de faire en sorte que nous puissions avancer plus rapidement. Par exemple, avant de planifier une route, de vérifier quelles sont les conditions préalables au niveau de l'environnement. Si c'est un projet non 'autorisable', pour diverses raisons, on ne va tout simplement pas le planifier. S'il est autorisable, avec des conditions, autant le savoir tout de suite. C'est un élément extrêmement important, également pour l'économie.

Certes, il y aura toujours des points où nous aurons des tensions, entre l'environnement d'un côté et les projets envisagés de l'autre, où les textes de loi donneront diverses interprétations possibles. Là, je crois que la pleine responsabilité politique sera entre les mains du ministre ou de son ministre délégué. C'est notre métier. Ceux qui croient que l'ancien ministre des Travaux publics va prendre le Caterpillar pour passer sur l'environnement me connaissent mal!

Frédérique Moser: La mobilité n'en constitue pas moins la priorité affichée de ce ministère...

Claude Wiseler: Nous avons besoin d'une politique de la mobilité cohérente. La route, le chemin de fer, les bus, la mobilité douce, avec les pistes cyclables... tout cela est maintenant dans une même main. Justement, la politique de la mobilité nécessite une coordination correcte. Si un moyen de transport ne fonctionne pas, c'est toute la chaîne qui est en panne. La priorité est clairement le développement du rail, mais il est indispensable d'avoir aussi des moyens de 'distribution fine' à travers la ville...

Frédérique Moser: Pour atteindre cette cohérence, vous allez devoir faire travailler ensemble des administrations qui restent très cloisonnées. Ce ne devrait pas être le moindre de vos défis...

Claude Wiseler: Pour y parvenir, nous devons préciser clairement les étapes où il faut travailler ensemble. Nous avons prévu, dans les prochaines semaines, plusieurs réunions entre les différentes administrations (par exemple les Ponts et Chaussées et l'Environnement) pour mettre en place une procédure de décision commune, pour les grands projets, en définissant les étapes où l'intervention des uns et des autres est nécessaire. Il s'agit d'élaborer des procédures où chacun trouve sa place et où l'on a des possibilités de vérification.

Frédérique Moser: Ce ministère dispose d'un budget d'investissement de plus d'un milliard d'euros.Comment allez-vous en contrôler la gestion financière?

Claude Wiseler: Il est évident qu'il nous faut être un peu professionnels, avoir une gestion financière extrêmement efficace et un suivi de chaque dépense. J'ai mis en place une gestion financière horizontale et Tom Weisgerber (de l'lnspection générale des Finances, ndlr.) est chargé de cela. Il s'agit de mon ancien inspecteur des finances, qui me contrôlait pendant la législature précédente. Il connaît parfaitement les mécanismes financiers du ministère et il a accepté cette mission - parmi d'autres - de gestion financière horizontale des quatre départements, pour garantir un suivi financier rigoureux. J'ai essayé pendant cinq années de mettre beaucoup de rigueur dans la gestion financière du ministère des Travaux publics, je veux absolument continuer, même si - et c'est un peu cela mon problème - le volume des travaux ne me permettra plus de suivre tous les dossiers jusqu'au détail. Mais je place ma confiance dans certains collaborateurs. Sans cette rigueur financière, je ne pourrais pas vivre.

Frédérique Moser: Le ministère du Développement durable est axé sur le pilier environnemental. Il vous manque deux autres piliers, l'économie et le social. Vous ne pourrez donc pas aborder le développement durable dans sa globalité...

Claude Wiseler: Le développement durable constitue un pilier horizontal de ce ministère. Toute la section qui s'occupait de ces questions et qui était rattachée à l'Environnement est devenue un département horizontal, devant travailler avec les autres départements, notamment les Travaux publics et les Transports. Or, ces deux domaines sont éminemment économiques. J'ai effectivement peu de dossiers sociaux dans ce ministère, mais des dossiers économiques, j'en ai plein, avec la mobilité, les constructions...

Frédérique Moser: J'ajouterai également à votre triangle la dimension temporelle. Il s'agit de réunir les trois piliers de telle façon que les décisions politiques d'aujourd'hui soient encore valables dans quinze ans. Mais ne manque-t-il pas néanmoins plusieurs dimensions à votre ministère?

Claude Wiseler: Il manque beaucoup de dimensions. Le développement durable ne se limite pas à ce ministère, qui en a le nom. Je veux de toute façon que cette idée traverse tous les départements du gouvernement actuel. On me reproche également de ne pas avoir l'énergie. Tout d'abord, une partie de la politique de l'énergie, tout ce qui concerne les aides individuelles, est géré par l'Environnement. Et ensuite, on ne peut tout de même pas tout faire! Il est aussi question de bonne gouvernance. La mise ensemble de ces quatre départements est le maximum que l'on peut atteindre selon ce principe.

Frédérique Moser: 2010 sera l'année des coupes claires dans le budget. Dans quels départements votre ministère sera-t-il en mesure de faire des économies?

Claude Wiseler: Nous sommes dans une contrainte curieuse, car on me demande pour l'année 2009/2010 d'exécuter le programme conjoncturel, donc de faire beaucoup de dépenses pour veiller à ce qu'il n'y ait pas trop de dégâts pour l'économie, et, à partir de 2011/2012, de freiner tout cela pour rentrer dans un rééquilibrage budgétaire. La politique me paraît logique, évidente, et j'y mettrai le paquet pour y arriver. Mais ce n'est pas chose aisée dans le domaine des Travaux publics et du Transport: quand vous commencez un gros projet, qui dure trois, quatre ans, vous ne l'arrêtez pas comme ça. Le ministère est un grand bateau.

A partir de l'an prochain, il faudra prendre des décisions sur ce qui est prioritaire et ce qui ne l'est pas. Ce sont des discussions à mener dans les prochaines semaines avec mes collègues du gouvernement, parce qu'en matière de bâtiments publics, nous construisons pour les différents départements ministériels.

Il en va autrement dans le secteur de la mobilité, où nous suivrons plusieurs principes. D'abord, le transport en commun aura clairement la priorité. Si nous ne faisons pas d'efforts à ce niveau, nous courons à la catastrophe. Et au sein des transports en commun, la priorité absolue sera donnée au rail, car lui seul nous donne les capacités suffisantes. Mais il faut garder à l'esprit qu'un grand pourcentage des trajets continuera à se faire par le bus et la route. Il va falloir y travailler également: couloirs de circulation, gares multimodales, park & ride, etc. Cela peut sembler simple, mais il faut parfois de très longues discussions pour parvenir à modifier un couloir de bus...

Frédérique Moser: Vous allez devoir faire usage de vos qualités de diplomate...

Claude Wiseler: Je ne sais pas si j'ai des qualités de diplomate. Mais il y a une chose que j'essaie, c'est d'expliquer ce que je fais. Les gens acceptent beaucoup de choses si vous les consultez, leur parlez, et s'ils comprennent ce que vous voulez faire. Si un matin, ils voient qu'un chantier commence sans que personne ne soit au courant, vous ne passerez pas. Vous aurez de perpétuelles oppositions...Plutôt que la diplomatie, c'est l'explication, la motivation qui sont importantes.

Frédérique Moser: Le programme conjoncturel, annoncé début 2009, prévoit de lourds investissements dans le domaine des travaux publics, pour soutenir l'artisanat. Or, les entrepreneurs ne voient toujours rien venir. Où cela coince-t-il?

Claude Wiseler: Si vous regardez les chantiers débloqués et ce qui a été mis sur le marché ces derniers mois, je crois que nous avons fait des efforts substantiels par rapport aux années précédentes, notamment en ce qui concerne les petits chantiers.

Frédérique Moser: Parviendrez-vous à dépenser l'enveloppe qui vous était allouée pour 2009?

Claude Wiseler: A ce jour, je ne le sais pas! L'enveloppe globale concerne en fait tous les départements, le rail, les bâtiments publics... Je ne pourrai pas annoncer, dès à présent, le chiffre définitif des dépenses faites en 2009, mais on peut voir des évolutions favorables. Nous avons fait des efforts pour débloquer des projets, notamment au niveau des routes où se posaient des problèmes d'autorisations. Grâce à la nouvelle législation votée en été, nous pouvons lancer des 'petits' chantiers, pour les peintres, les chauffagistes, etc. Ça avance, et le rythme va être accéléré, avec la mise en route de chantiers de moyenne envergure (entre 500.000 et 3 millions d'euros), dès la fin de l'année.

Nous avons augmenté les seuils des soumissions publiques, ce qui permet d'attribuer les travaux bien plus rapidement, de gré à gré. Avec un désavantage: dans les journaux, vous ne les retrouvez plus. Il y a donc beaucoup moins de visibilité.

Mais le taux d'investissement au Luxembourg est extrêmement élevé. Dans les prochaines années, tout en restant à un niveau assez haut, il faudra ralentir un peu, renoncer à tout ce qui est 'nice to hâve' et se concentrer sur les investissements dont on a un besoin absolu ou qui peuvent être des investissements sur le futur, à valeur économique.

Frédérique Moser: C'est-à-dire?

Claude Wiseler: Par exemple, tout ce qui touche à la mobilité est un investissement à valeur économique, parce que si l'on a un pays qui est accessible et que les déplacements sont aisés, cela ouvre la voie au développement d'un secteur logistique performant. Le tissu routier est donc très important, tout comme les développements urbanistiques tels que Gasperich ou Belval, qui peuvent accueillir de nombreuses entreprises.

Frédérique Moser: Le 1er plan d'action national du développement durable (PNDD) a-t-il abouti à des résultats tangibles? Lesquels?

Claude Wiseler: Il y a des résultats tangibles, puisque 34% des actions prévues dans ce plan national sont déjà devenues réalités. 30 à 40% des autres sont en voie de réalisation ou en phase de préparation.

Beaucoup a été fait et l'une des principales actions est la loi du 25 juin 2004, qui donne une base légale à ce plan d'action. Cela nous permettra justement de faire de nouvelles choses dans le deuxième plan, puisqu'il aura une tout autre valeur légale, avec une procédure précise de consultation publique et des autorités, et donc une implication beaucoup plus grande dans ce qui va être décidé. Le T plan a été préparé par mon prédécesseur (Lucien Lux, ndlr.) qui a fait un très bon travail à ce niveau-là. L'avant-projet va bientôt être discuté par les députés, mais aussi au niveau du public et des associations.

Frédérique Moser: En quoi ce 2e PNDD va-t-il innover?

Claude Wiseler: Nous avons essayé de passer à travers toutes les rubriques politiques en relation avec le développement durable. En commençant par la protection de la nature, en continuant par la construction, la protection du climat, la mobilité, mais aussi le travail, l'intégration des étrangers, la santé, les finances, l'éducation, l'égalité... Autant de sujets qui sont traités, tout en veillant à ne pas se limiter à la théorie, mais en prévoyant des actions concrètes. Ce PNDD va être complété par d'autres plans d'action, élaborés parallèlement. Par exemple, je souhaite absolument qu'après la conférence de Copenhague sur le changement climatique, en fin d'année, nous fassions un plan d'action extrêmement précis sur la base des quotas qui seront alors les nôtres.

Frédérique Moser: Au vu des difficultés à atteindre les engagements pris à Kyoto, quelles sont les mesures à prendre pour parvenir à tenir les engagements?

Claude Wiseler: Les objectifs de réduction d'émissions de CO 2 seront importants et nous allons définir des priorités d'actions nationales, mais nous ne pourrons pas agir sur ce seul levier. Nous devrons également jouer sur les mécanismes de flexibilité prévus avec les autres pays. Au niveau national, il faudra travailler sur tous les domaines: les énergies renouvelables, les incitations aux économies d'énergie (bonus/malus), pour les voitures, les bâtiments, etc. Une foule de mesures qui devront être mesurables et quantifiables. Ce plan d'action devra être discuté également avec les acteurs économiques, qui ont un très grand rôle à jouer. Je suis extrêmement intéressé par les actions lancées dans les entreprises qui ont conscience qu'elles ont une responsabilité importante, vis-à-vis de l'environnement, mais aussi de leur personnel. Je ressens très clairement un intérêt dans tout cela. Les mesures écologiques ne sont pas seulement un facteur de contrainte, elles constituent aussi un facteur de développement économique, notamment parce qu'elles suscitent une importante activité de recherche-développement. Il s'agit de faire avec le nécessaire, de l'utile.

Frédérique Moser: La simplification administrative transcende tous les ministères.Comment le vôtre va-t-il aborder la question? Votre action sera-t-elle coordonnée, validée par le Premier ministre?

Claude Wiseler: La simplification administrative est l'une de mes priorités, pour une raison très simple: si je simplifie tout de suite, j'aurai quatre années pour en profiter! Et toutes les autres entreprises, les personnes privées également, pourront en profiter de même. Comment s'y prend-on? Il est évident que les responsables politiques en charge de cette question doivent travailler avec les départements qui ont une connaissance de cette matière technique. Nous avons décidé d'élaborer le plus rapidement possible, au niveau de mon ministère, une proposition de texte qui sera ensuite ajustée avec les ajouts des autres ministères concernés.

Frédérique Moser: Dans ce cas, pourquoi n'avez-vous pas hérité de ce ressort?

Claude Wiseler: Le Premier ministre est le mieux placé pour faire les arbitrages qui s'avéreront nécessaires par la suite. Il faudra trancher. Et ce sera plus facile ainsi, parce qu'il est le chef. Je suis très satisfait de cette situation. Je crois que ma boîte est déjà bien remplie comme cela. Je n'allais certainement pas me battre pour avoir plus de compétences!

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