Françoise Hetto-Gaasch au sujet de l'introduction de quotas de femmes dans les conseils d'administration

Le Jeudi: La Commission européenne, Viviane Reding en tête, brandit les quotas pour les conseils d'administration des entreprises cotées en Bourse si la représentation des femmes n'y progresse pas d'ici le 8 mars 2012. L 'ultimatum aux entreprises n'est-il pas un ultimatum aux gouvernements pour agir?

Françoise Hetto-Gaasch: Nous voulons préparer le terrain. J'ai entamé les discussions avec les entreprises -Fedil, ABBL, Fédération des artisans, syndicats... - pour entendre leur point de vue. Nous avons une situation particulière au Luxembourg. Ici, les conseils d'administration ne sont pas renouvelés régulièrement. Si on veut suivre la voie - dans un premier temps - des quotas volontaires, il faut donner aux entreprises la possibilité et le temps de s'adapter. Je vois là le plus grand problème. Ensuite, quelle date nous choisirons comme épée de Damoclès si rien ne bouge... il faudra voir.

Le Jeudi: Êtes-vous pour ou contre les quotas légaux?

Françoise Hetto-Gaasch: Honnêtement, jusqu'ici, j'étais d'avis qu'il faut sensibiliser les gens, faire du travail de terrain, convaincre. Mon année et demie d'expérience m'a enseigné que les progrès ne sont pas assez rapides et qu'il faut peut-être, comme arme ultime, utiliser les quotas.

Le Jeudi: L'épée de Damoclès tomberait quand, comment?

Françoise Hetto-Gaasch: Je veux donner encore une chance aux entreprises. Sans fixer de date à ce jour. Si on voit que rien ne se passe, disons au bout de trois ans, il faut pouvoir dire: "Ça suffit, voilà la loi." Mais elle devrait être limitée dans le temps. Elle servirait à démarrer le processus, à remettre hommes et femmes sur la même ligne de départ. Quel pourcentage choisir? En dessous de 30%, cela ne sert à rien. Mais il faut sans doute commencer petit puis progresser.
Je souhaiterais que nous trouvions un consensus. Que tout le monde soit d'accord sur le fait que la mixité est enrichissante, bénéfique pour le chiffre d'affaires et qu'on avance ensemble dans cette direction. Sans en arriver à l'obligation légale.

Le Jeudi: Quelles entreprises seraient concernées?

Françoise Hetto-Gaasch: Si on s'en tient à celles cotées en Bourse, en voyant large, on en est à 25. Si on prend modèle sur la France, avec des structures de plus de 500 salariés, on en serait à 60. Il faut voir jusqu'où on veut aller. Ces réflexions sont à mener. Nous n'en sommes qu'au début. Donnez-moi le temps de bien préparer les choses.

Le Jeudi: Au final, qui décidera: les entreprises, la ministre de l'Égalité des chances ou la ministre des Classes moyennes (NDLR: la ministre revêt les deux casquettes)?

Françoise Hetto-Gaasch: Ce sera la ministre de l'Égalité des chances!

Le Jeudi: Le gouvernement soutient-il votre point de vue?

Françoise Hetto-Gaasch: J'ai reçu le mandat de mener les entrevues et d'informer sur leur progression. Mes collègues comprennent où je veux aller. Il faut jouer cartes sur table.

Le Jeudi: Pourquoi le débat sur les quotas est-il lancé aujourd'hui?

Françoise Hetto-Gaasch: Je ne sais pas exactement, mais c'est une bonne chose. Je n'en aurais pas fait ma priorité, mais c'est à la une et je ne contournerai pas le problème.

Le Jeudi: Quelle est la situation actuelle des femmes en entreprise au Luxembourg?

Françoise Hetto-Gaasch: Dans les conseils d'administration: 2%. Pas de quoi être fier, n'est-ce pas? Par ailleurs, 59% des diplômés universitaires sont des femmes. Il y a plus de 34.000 femmes universitaires sur le marché du travail. Qu'on ne vienne pas me dire qu'on ne trouvera pas de femme compétente pour entrer dans un conseil d'administration!
Mais il faut les préparer. Nous organisons un séminaire avec l'université de Saint-Gall, en Suisse. Pour, justement, qu'elles ne soient pas que des femmes-quotas. Tout cela doit se faire en parallèle.

Le Jeudi: Personne ne veut n'être qu'une femme-quota...

Françoise Hetto-Gaasch: Les femmes sont le plus souvent elles-mêmes contre les quotas. Surtout celles qui ont dû batailler pour accéder à des responsabilités. Or, une femme-quota non seulement peut, mais doit être compétente. Siéger dans un conseil est une grosse responsabilité, qu'on soit un homme ou une femme.

Le Jeudi: Les quotas ne sont-ils pas un constat d'échec de la politique d'égalité des chances? Les "actions positives" menées par votre ministère depuis dix ans n'ont-elles pas porté leurs fruits?

Françoise Hetto-Gaasch: Elles fonctionnent très bien. Les 40 entreprises qui y ont participé sont nos meilleurs ambassadeurs. Nous voulons élargir les branches concernées, par exemple vers le commerce. Tout cela est encourageant, mais ce n'est qu'une partie de la solution et cela avance trop lentement.

Le Jeudi: Y a-t-il des alternatives aux quotas?

Françoise Hetto-Gaasch: Je n'en connais pas. Les autres pays sans doute non plus, sinon ils n'auraient pas eu recours aux quotas.

Le Jeudi: Le débat porte sur les entreprises privées. Qu'en est-il du secteur public?

Françoise Hetto-Gaasch: Nous sommes en train de vérifier la répartition des postes entre hommes et femmes. La moitié des départements a déjà répondu et le résultat est très bon. L'État assume ses responsabilités.

Le Jeudi: Vous aviez prévu une action positive pour l'ensemble de la fonction publique... qui a été annulée.

Françoise Hetto-Gaasch: Nous voulions cerner tout l'appareil de l'État. Mais les administrations sont trop différentes les unes des autres. Nous avons lancé un appel à des participations volontaires pour entamer les actions avec deux ou trois départements. Le Premier ministre avait annoncé que son ministère d'État était prêt à le faire. Je ne l'oublie pas.

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