"Je ne vois pas d'autre concept de mobilité": Claude Wiseler au sujet du trafic transfrontalier et des transports publics

Le Quotidien: Vous avez été nommé à la tête d'un superministère. Quels sont les changements que ce regroupement des transports, de l'environnement, des travaux publics et de l'aménagement du territoire a entraînés?

Claude Wiseler: Cela nous permet surtout de réunir un certain nombre de choses et d'avancer dans des dossiers, même en prenant parfois des décisions négatives sur des projets routiers, eu égard à la protection de l'environnement. Mais, en tout cas, on prend des décisions. Donc, les dossiers avancent et les décisions sont prises, c'est la première chose importante. Ce qui est essentiel aussi, à mes yeux, c'est d'être parvenu à faire mieux travailler ensemble des gens qui n'avaient pas l'habitude de travailler ensemble. Pour l'aménagement du territoire, toutes les compétences de planification sont réunies et on fonctionne d'une manière plus rationnelle. Cela nous permet de tenir compte rapidement de tous les aspects d'un projet et d'éviter les conflits. Enfin, nous avons eu la chance d'avoir ce bâtiment au Kirchberg et, depuis un mois que nous sommes installés, nous observons que le regroupement facilite énormément le travail.

Le Quotidien: Comment gérez-vous les conflits d'intérêts qu'entraînent inévitablement vos multiples casquettes?

Claude Wiseler: Je considère que dans le travail gouvernemental, il y a toujours des conflits de domaines et de choses qui existent réellement. Nous sommes obligés d'en tenir compte et de trancher. Nous évitons de bloquer un dossier parce que deux départements ne sont pas d'accord entre eux. Bien sûr qu'il y a des conflits mais ils sont plus facilement résolus. Il n'est plus possible de ne pas faire avancer un dossier avec l'explication qu'un autre département bloque. Nous sommes, Marco Schank et moi-même, seuls face à nos responsabilités. Nous n'avons plus d'excuse.

Le Quotidien: Pour être encore plus efficace, au niveau du développement durable, ne vous manque-t-il pas le portefeuille de l'Énergie?

Claude Wiseler: Je considère que le département du Développement durable, avec toutes les responsabilités que Marco Schank et moi-même avons déjà aujourd'hui et la charge de travail que cela représente, est déjà un ministère suffisamment grand. La coordintion et le travail avec Jeannot Krecké, en charge de l'énergie, est très bonne. La même question peut se poser pour la gestion de l'eau qui est du ressort du ministre, de l'Intérieur.

Le Quotidien: Le dernier bilan des accidents de la route montre une diminution du nombre des tués. Pour autant, des mesures peuvent être prises pour améliorer la securité sur nos routes. L'installation de radars fixes en fait-elle partie?

Claude Wiseler: Je me méfie toujours des chiffres qui peuvent être très changeants surtout au Luxembourg. Je me réjouis qu'ils s'améliorent de manière constante depuis une dizaine d'années, mais ça ne suffit pas. Il faut poursuivre cette réduction et ce n'est pas évident car nous devrons prendre un certain nombre de mesures importantes. Les radars fixes comme les radars mobiles sont des instruments utiles. Mais je ne conçois pas les radars fixes comme un moyen de faire du chiffre et je considère qu'il ne faut pas les mettre à des endroits où l'on surprend facilement les gens avec un maximum de PV possibles. Il faudra les mettre aux points noirs, là où la route est dangereuse et on les annoncera à l'avance. Je préfère avoir très peu de gens flashés si, en contrepartie, j'ai moins d'accidents. Mais je voudrais surtout ajouter que les radars ne sont qu'un élément. Il est important pour la sécurité routière que l'on mette en place les audits de sécurité sur les routes, pour recenser les améliorations constructives aux points noirs, comme c'est le cas à Consdorf actuellement. On peut améliorer les marquages, construire des tunnels ou des rampes d'accès, mais nous pouvons aussi diminuer les vitesses sur les passages dangereux, améliorer l'éclairage. Nous l'avons fait récemment sur la N 7 particulièrement meurtrière après un audit de sécurité qui nous recommandait de diminuer la vitesse. Bien sûr, il y a eu des protestations, mais si un audit de sécurité nous dicte de diminuer la vitesse pour améliorer les choses, nous n'hésitons pas à le faire. Nous réfléchissons aussi à des aménagements du permis de conduire pour parfaire l'instrument de la sécurité routière.

Le Quotidien: Votre grand dossier reste la mobilité. Comment améliorer la mobilité transfrontalière pour éviter les saturations que l'on connaît? Mettre plus de trains à disposition?

Claude Wiseler: Nous n'avons pas de problème de mobilité sauf aux heures de pointe. Et là, c'est vrai, le problème est énorme surtout sur les grands axes transfrontaliers. Il y a plusieurs points d'attaque. Le premier c'est celui du transport public. Avec nos voisins français, nous disposons du SMOT, le schéma stratégique de mobilité transfrontalière, afin de faciliter la mobilité des frontaliers entre la Lorraine et le Luxembourg. Au niveau du transport public, des sommes importantes y ont été consacrées, mais cela ne suffisait toujours pas à réaliser tout ce que l'on imaginait faire. Il a donc fallu faire un certain nombre de choix qui visent prioritairement à redresser ce problème. Nous allons achever la mise à double voie de la ligne Pétange-Luxembourg, qui est une ligne transfrontalière. Nous avons aussi choisi de réaménager la ligne de Kleinbettingen et la grande priorité reste le passage à deux fois deux voies de la ligne de Bettembourg qui va vers la France. C'est une ligne où nous rencontrons des problèmes de capacité, c'est une ligne internationale, transfrontalière, c'est une ligne de fret et une ligne pour le TGV. Nous devons la doubler. Nous avons acheté du nouveau matériel roulant. Il a été livré cette année et augmentera le nombre de places disponibles dans les trains. D'ailleurs, ces transports publics sont remplis aux heures de pointe. Ce qu'il nous faut donc au niveau du transport transfrontalier, c'est une augmentation de la capacité. Car même si je dis aujourd'hui que les gens devraient utiliser davantage le transport public, c'est difficile à ces heures-là, je le sais.

Le Quotidien: Il y a aussi les bus. Quels sont les projets de lignes en cours pour améliorer le transport public?

Claude Wiseler: Aujourd'hui, le bus est le plus utilisé des transports publics. Pour que le bus soit encore plus attractif, il faut améliorer la qualité du service offert. Il faut faire en sorte que la chaîne de mobilité, qui va du domicile au lieu de travail, soit ininterrompue et de haute qualité. Dans notre schéma de mobilité, nous avons prévu toute une série de P&R aux frontières, au milieu du pays et autour de la Ville pour nous permettre cela. Il nous faut des pistes de bus "prioritisées", car il faut permettre au bus d'aller plus vite que la voiture. C'est cette qualité qui nous permettra d'être attractif, donc il me faut ces pistes de bus. Nous travaillons sur les neuf entrées de la ville de Luxembourg pour faire en sorte que ces bus puissent avancer plus rapidement et notamment là où il y a les embouteillages. Tout le monde applaudit quand je dis cela, mais, à chaque fois, ça pose problème et c'est logique car de la place nous n'en avons pas plus dans le tissu urbain. Soit on la prend sur le trafic individuel, soit on la prend sur les places de parking ou les trottoirs. Mais si je ne fais pas cette "prioritisation" des transports publics, nous n'aurons pas la qualité recherchée. Et il faut trouver des concepts nouveaux. Par exemple, là où nous ne pouvons pas réaliser deux voies pour les bus alors nous devrons fonctionner en alternance, cest-à-dire changer le sens de circulation le soir et le matin. On a finalisé la planification pour la montée de Hesperange vers Howald avec une piste centrale et un système électronique qui alterne le sens pour améliorer le transport public.

Le Quotidien: Quid des voies pour les bus sur les autoroutes?

Claude Wiseler: Et il y a encore le transport public sur les autoroutes, on y vient. Cétait d'ailleurs l'un des objectifs de la rencontre au château de Senningen, le mois dernier, de la commission intergouvernementale franco-luxembourgeoise. Nous avons des discussions pour une deux fois trois voies au niveau de l'A31 avec, de chaque côté, une piste réservée aux transports publics. Il me paraît évident que nous devons avoir une discussion avec nos voisins français pour continuer ce projet au Luxembourg. Nous commencerons dès 2012 à élargir l'A3 entre l'aire de Berchem et Gasperich. II nous faut donc une planification commune et relativement rapidement. Et si on fait un tel projet, encore faut-il savoir où aller avec tous ces bus qui convergent vers la Ville. Il ne sera plus possible de faire la distribution fine en Ville par tous ces bus qui devraient traverser le centre-ville. La distribution fine devra se faire à l'avenir par le tram.

Le Quotidien: Selon vous, le tram est l'élément essentiel pour que tout le système fonctionne...

Claude Wiseler: Il nous faut des voies rapides, des systèmes rapides de bus et de trains pour amener les gens en Ville et il faut une distribution fine de grande capacité pour amener les gens à l'endroit précis où ils doivent aller. Si je fais entrer tous les bus dans la Ville, ça n'avance pas. A mes yeux, le tram est un investissement qu'il nous faut dans la ville de Luxembourg et je plaide toujours pour le tram et le début des travaux en 2014. C'est un énorme travail de préparation et d'explication. Le concept de mobilité est un concept qui doit être global. Cette discussion sur le tram est toujours menée comme si le tram était un solitaire que l'on déposerait en Ville mais ce n'est pas ça du tout! Il fait partie d'un concept global dont font également partie les gares périphériques qui doivent également être des gares pour les bus qui amènent les gens en Ville où une distribution fine, efficace, à haut débit et de grande capacité fait le reste. Mais il ne faut pas que tous les bus traversent la Ville.

Le Quotidien: Est-ce que l'on condamne toujours un peu plus l'usage de la voiture?

Claude Wiseler: Un grand nombre d'automobilistes traversent la Ville bien malgré eux car ils n'ont rien à y faire. Nous avons un trafic de transit important à côté du trafic de destination, qui passe par le boulevard Royal et l'avenue de la Liberté pour se dégager ensuite sur l'autoroute ou se diriger vers Hesperange et ainsi de suite. Ce trafic n'a pas besoin de passer par la Ville. Nous devons construire un certain nombre de voies qui contournent la ville de Luxembourg, comme par exemple le boulevard de Merl et tout ce qui continue du rond-point Helfent vers Cessange. Ce sont des routes prévues dans ce concept de mobilité ainsi que dans l'avant-projet de plan sectoriel Transports et nécessaires. Il faut prendre le temps d'expliquer aux gens en quoi un Park&Ride que l'on construit à Esch-Belval a un rapport avec le boulevard de Merl qui a un rapport avec le tram qui a lui-même un rapport avec la gare périphérique qui a un rapport avec le nouvel arrêt pour trains sous le pont rouge et ainsi de suite. Et de tout ce concept de mobilité, il faut en parler et bien l'expliquer. Oui, il faut éviter qu'un certain nombre de véhicules individuels, qui n'ont rien à faire en Ville et qui d'ailleurs ne veulent même pas y aller, soient obligés de traverser la capitale : pour cela il faut offrir quelque chose d'autre. Et si on rend attractive cette mobilité publique, un certain nombre de gens vont l'adopter. Pour en revenir à votre première question, la création d'un grand ministère me permet de m'occuper de tous les aspects de la mobilité. Il y a les transports, l'aménagement du territoire pour la planification, les travaux publics pour la construction et l'environnement pour évaluer toutes les améliorations en termes de réduction des émissions de CO2. C'est une chance d'avoir tous ces moyens pour mettre en oeuvre ce concept global car, à l'heure actuelle, je n'en vois pas d'autre.

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