"Il n'y pas de crise de l'euro", Jean-Claude Juncker au sujet de l'euro, de la crise de la dette souveraine et de l'idée de créer des euro-obligations

Le Soir: Alors inquiet pour la santé de l'euro?

Jean-Claude Juncker: Aussi curieux que cela puisse paraître, non absolument pas.

Le Soir: Vous êtes obligé de me répondre cela.

Jean-Claude Juncker: Je mesure les réactions si je disais le contraire. Mais l'euro est une monnaie stable. Il n'y a pas de crise de l'euro, mais une crise de l'endettement dans un petit nombre d'Etats membres. Il n'y a pas de souci à se faire sur la monnaie européenne. Mais les problèmes d'endettement sont eux vitaux, parfois existentiels.

Le Soir: On continue à évoquer la possible sortie de l'euro, de la Grèce par exemple?

Jean-Claude Juncker: C'est un reflexe européen bien connu qui resurgit de temps à autre: la crainte que la construction européenne quand elle perd son souffle, serait arrivée à son terme, se déférait. J'ai pris l'habitude de me méfier des excités en tous genres.

Le Soir: Des mesures ont été annoncées pendant l'été, lors du Conseil du 21 juillet (plan grec) et du sommet Merkel-Sarkozy du 16 août (règle d'or budgétaire, gouvernement économique de la zone euro présidé deux fois par an par Van Rompuy, taxe sur les transactions financières). On ne peut pas dire que ce fut convaincant. Décidées le 21 juillet pour être mises en application en septembre: c'est peu crédible...

Jean-Claude Juncker: Les chefs d'Etat et de gouvernement ont pris des décisions le 21 juillet. La traduction dans les faits demande du temps. Il y a beaucoup de questions techniques, voire même politiques, que le Conseil ne peut résoudre seul et d'un coup. La zone euro comprend 17 gouvernements, parlements, opinions publiques, 60 partis politiques et il y a le parlement européen : la démocratie demande du temps.

Le Soir: Entre une voie autoritaire et un processus de décision interminable, il doit y avoir une alternative?

Jean-Claude Juncker: La zone euro n 'est pas une zone monétaire idéale. Il existe des disparités qui se sont accrues. L'Union européenne, la Commission ne sont pas des Etats centraux, la décision repose sur plusieurs épaules. il faut remplacer cet Etat central, ce gouvernement inexistant, par un pilotage économique qui repose sur des règles, fortes et strictes. Ce corps de règles est constitué par le pacte de croissance et stabilité. Pour exercer une action plus vigoureuse et plus compréhensible, nous devons retourner vers le strict respect du pacte de croissance et de stabilité et le renforcer en accroissant les sanctions pour les pays de la zone euro qui sont en rupture avec l'application des règles. Il faut des sanctions immédiates. On travaille à cela. Je voudrais que ceux qui ne cessent, à raison, de réclamer la transposition immédiate des décisions du 21 juillet fassent preuve d'une réelle volonté de parvenir à ces fins.

Le Soir: Qui sont ces pays? L'Allemagne?

Jean-Claude Juncker: Vous vous rapprochez.

Le Soir: La France?

Jean-Claude Juncker: Oui. La France et d'autres pays membres doivent faire un grand pas en direction du Parlement européen pour le pacte de croissance et de stabilité.

Le Soir: Qui dirige l'Europe aujourd'hui ? Verhofstadt parle de "Merkozy", le tandem Merkel-Sarkozy?

Jean-Claude Juncker: Il faut être serein sur ces matières. On a un président permanent du Conseil de l'Europe, Herman Van Rompuy, qui s'acquitte de sa tâche avec élégance et détermination, je ne vois pas en quoi on pourrait lui reprocher quoi que ce soit. C'est un homme intelligent et ami de trente ans avec leguel je suis en accord sur l'essentiel. Nous avons en Europe le duo franco-allemand. Lorsqu'il ne fonctionne pas, cela pose à 1'Europe d'énormes problèmes. Lorsqu'il fonctionne d'une manière qui laisse croire qu'il est le moteur unique et suffisant de l'Europe, cela produit de mauvais résultats. Il faut que la France et l'Allemagne essayent de faire de bonnes propositions à l'intersection des intérêts de chacun et que la dignité des autres soit aussi respectée que la leur. Mais ils ne méritent pas les critiques acerbes qu'ils récoltent.

Le Soir: Ce tandem fonctionne, mais uniquement sur base de leurs égoïsmes respectifs.

Jean-Claude Juncker: Pour ce récent dialogue Merkel-Sarkozy du 16 août, Merkel m'a consulté à deux reprises auparavant. Ce dialogue était utile, mais ne devrait pas donner l'impression qu'ils auraient lancé des initiatives dont les autres pays n'auraient pas eu connaissance. La lettre Merkel-Sarkozy à Van Rompuy est un bon résumé, avec panache, de décisions prises avant. Vous n'arriverez pas à trouver dans cette lettre d'éléments qui n'étaient pas retenus précédemment.

Le Soir: Verhofstadt n'y va pas de main morte sur l'idée d'un gouvernement économique qui se réunirait deux fois par an : "On nous prend pour des idiots", dit-il.

Jean-Claude Juncker: Je le dis moi-même: on ne peut pas s'autodéclarer gouvernement économique lorsqu'on se réunit deux fois par an. Je parle d'un pilotage auquel participent le Conseil européen, qui donne les impulsions stratégiques sur l'euro, et l'Eurogroupe, qui assure son travail de suivi continu, une fois par mois. Il faudra organiser la concertation entre les deux, éviter de les charger de faire la même chose. Je ne voudrais pas que l'Eurogroupe soit freiné par le Conseil européen dans ses prises de décision.

Le Soir: La Commission dans tout cela, on dirait qu'elle présente un encéphalogramme plat?

Jean-Claude Juncker: L'Europe n'étant pas un Etat mais une construction juridique, elle repose sur une interaction entre différents éléments. La Commission a le droit d'initiative: il faut le sauvegarder. Je ne participerai pas à ce petit jeu qu'on aime dans les gouvernements nationaux et qui consiste à dire du mal de la Commission. Elle ne décide pas, c'est le Conseil et/ou le Parlement. L'Europe n'a rien à gagner à l'affaiblissement de la Commission. Elle devrait ne pas donner l'impression d'être soumise. Car elle a toujours raison lorsqu'elle joue son rôle.

Le Soir: L'idée d'un ministre des Finances européen, un gadget inutile?

Jean-Claude Juncker: J'étais présent lorsque Jean-Claude Trichet, président de la Banque centrale européenne, a eu cette idée.

Le Soir: Pour lui?

Jean-Claude Juncker: Non, je ne crois pas. L 'idée mériterait d'être plus richement articulée. Il faudrait savoir ce que ce ministre devrait faire. Intervenir dans la confection du budget national et être arbitre suprême des budgets. J'imagine mal le Bundestag, l'Assemblée nationale accepter qu'un non-élu puisse intervenir de façon normative dans les budgets nationaux. On a créé le "Semestre européen" où l'on se met d'accord sur les projets de budget. C'est cela le pilotage de l'Europe. Les Parlements nationaux sont insuffisamment attentifs aux recommandations de l'Eurogroupe. La Belgique s'est vu adresser des recommandations qu'elle ne prend pas assez au sérieux. Le grand public ignore que nous faisons ce travail. En Europe, nous avons les instruments de nos ambitions mais pas l'ambition de nos instruments. Nous ferions mieux d'appliquer les décisions prises.

Le Soir: Vous croyez à la création d'euro-obligations?

Jean-Claude Juncker: J'ai lancé cette idée en décembre 2010. Je constate qu'elle fait son chemin. La Commission y travaille et fera connaître son opinion. L'euro-obligation n'est une bonne solution à la crise de la dette en Europe. Pour être mise en place, cela néssiterait d'autres arrangements instutionnels. Je m'inquiète du fait qu'en Allemagne, elle est présentée de façon caricaturale. Notre idée à l'époque n'était évidemment pas de mutualiser tous les risques ensemble, d'avoir les mêmes taux d'intérêt partout. Le résultat de la création des euro-obligations ne sera pas celui-là.

Le Soir: Ça vous agace qu'on récupère aujourd'hui des idées qu'on vous a refusées à une certaine époque, comme le gouvernement économique proposé par Maystadt, Delors et vous en 91, rejeté par l'Allemagne pour protéger sa souveraineté?

Jean-Claude Juncker: Pas vraiment. Quand je vois toutes les mesures que nous avons prises entre 2010 et août 2011 :jamais l'Europe n'a pris autant de décisions dans son histoire. Nous avons décidé avec une célérité dont je ne nous croyais pas capables.

Le Soir: C'est la peur qui nous pousse...

Jean-Claude Juncker: Nous avons des hommes politiques qui ont des idées prefabriquées et s'occupent de tout sauf de nos concitoyens. Je ne travaille pas moi pour mon propre compte.

Le Soir: Est-ce qu'ils comprennent toujours ce qui est enjeu?

Jean-Claude Juncker: Non. Nous avons des idées qui divergent entre ceux qui veulent gérer la crise de façon communautaire (NDLR: au niveau des instances européennes) et ceux qui veulent le faire en intergouvernemental. Je reste vigilant et inquiet qu'il y ait trop d'intergouvememental et pas de communautaire. Si cela continue, il y aura un effritement du principe communautaire. Il faut veiller au grain.

Le Soir: La Grèce va-t-elle suivre les plans fixés avec elle?

Jean-Claude Juncker: Elle donne aujourd'hui l'impression de ne pas atteindre ses objectifs budgétaires. Je n'en sais rien. La troïka est sur place, on attend ses conclusions pour décider du prochain versement d'argent en septembre.

Le Soir: Le plan visant à associer les banques privées au redressement grec est-il réglé?

Jean-Claude Juncker: J'ai négocié à la veille du sommet européen avec les représentants des banquiers privés : sans accord avec eux, il n 'y aurait pas eu d'accord possible au Conseil européen. J'ai bon espoir qu'on réalise l'accord avec ces banques tel que prévu le 21 juillet. En rencontrant le problème de la garantie collatérale posé par la Finlande.

Le Soir: Dernière question de saison : faut-il faire payer les riches?

Jean-Claude Juncker: Que les multimilliardaires arrivent à la conclusion qu'un effort de solidarité doit être plus présent dans leur cas, c'est positif. Mais je suis pour une contribution structurelle des riches. Il ne s'agit pas d'organiser la charité, mais la solidarité..

Membre du gouvernement

JUNCKER Jean-Claude

Organisation

Ministère d'État

Date de l'événement

03.09.2011

Type(s)

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