"On avance en ciblant les priorités", Claude Wiseler au sujet des grandes lignes de la politique en matière de mobilité

paperJam: Claude Wiseler, vous êtes à la fois ministre de la Mobilité, du Développement durable, des Infrastructures, des Travaux publics, de l'Aménagement du territoire... Pouvez-vous nous rappeler les grandes lignes de la politique en matière de mobilité et les objectifs pour un horizon généralement fixé à 2020?

Claude Wiseler: Il faut former un tout cohérent. Et ce grand ministère dans lequel on a rassemblé une série de fonctions complètement liées n'est qu'une illustration de la façon de travailler. Les objectifs se retrouvent dans une mise en commun de toutes les forces, afin de mettre en oeuvre la chaîne de mobilité, une chaîne qui ne doit pas avoir de maillon faible ou oublié. Il faut prendre en compte tous les éléments qui permettent à chacun de relier deux points avec un maximum d'efficacité et un minimum d'impact.

Personnellement, je ne suis pas vissé à l'horizon 2020, pas plus qu'à une autre date. Les choses évoluent, il faut s'adapter. On avance en ciblant les priorités. L'important est de garder en tête le partage 25/75 entre le transport public et les moyens de transport privés. On ne peut que le répéter: tout est lié et une action sans cadre coordonné n'aurait pas beaucoup de sens.

paperJam: Vous parlez de cibler les priorités. Cela implique de pouvoir changer la donne en cours de réflexion?

Claude Wiseler: Cela peut s'imposer en effet. Les grands axes sont connus, mais on doit tenir compte à tout moment de contraintes ou d'opportunités dans les choix stratégiques. Par exemple, la liaison ferroviaire directe entre Luxembourg et Esch, estimée à 1,6 milliard d'euros, peut attendre. On va plutôt donner la priorité stratégique et budgétaire au doublement de la ligne de Bettembourg. Car c'est une liaison importante, à la fois pour le trafic local, national et international, pour le fret comme pour les passagers. Elle concerne aussi bien le TGV que l'autoroute ferroviaire et la plate-forme logistique. C'est une façon d'orienter le choix qui nous paraît cohérente. Le même type de réflexion nous a conduits à donner la priorité au projet de gare Pont Rouge par rapport à la liaison Kirchberg-Luxexpo par le rail. Cette dernière représentait 1,2 milliard. Pour quelque 100 millions, on créera plus rapidement un pôle de mobilité complètement innovant, qui évite une boucle au Kirchberg, met en liaison des quartiers hauts et bas de la ville, prolonge la logique de connexion ferroviaire entre le centre et la périphérie... On doit pouvoir faire des choix raisonnés, moduler certains concepts et ne pas s'entêter sur d'autres, tout en tenant bon sur les objectifs.

paperJam: Quels seraient les axes incontournables?

Claude Wiseler: Nous faisons beaucoup de choses à la fois, avec les communes, les opérateurs... Mais, par exemple, il me paraît indispensable d'irriguer tous les pôles de développement. Et en disant cela, on est au-delà d'une logique de pure mobilité, puisque cela implique le développement de zones économiques, de zones résidentielles, de services, d'infrastructures, etc. Une stratégie de mobilité, nationale et durable, sera présentée au printemps prochain.

En ce qui concerne Luxembourg-ville et sa périphérie, on voit qu'il faut drainer les flux entrants avant de les diffuser finement vers les différentes destinations intra-muros et les quartiers. La stratégie vise à assurer la complémentarité entre le réseau ferré, le tram, le bus et la mobilité douce, tout en prévoyant des transbordements faciles et agréables entre les différents modes de transport. Nous avons besoin de noeuds d'échange à la périphérie et dans le péricentre. C'est la logique des gares qui prolongent la gare centrale, avec Howald, pour desservir notamment le futur ban de Gasperich, Cents que l'on va redynamiser, Pont Rouge pour orienter les flux vers le Kirchberg ou le Pfaffenthal. On mise aussi sur une plate-forme d'échange multimodal au départ de la gare de Hollerich, à la place de ce qui était envisagé pour Cessange mais dans le même esprit, en combinant la revitalisation de Hollerich et un allègement de charge pour le quartier de la gare centrale.

paperJam: Le rail risque-t-il de tout phagocyter?

Claude Wiseler: Le rail est un élément clé, mais il n'est qu'un maillon de la chaîne. Comme la route. La stratégie intègre de nouveaux P&R, à la nouvelle Luxexpo ou au Findel, par exemple. Ou encore le calibrage de neuf entrées de ville avec des couloirs de bus. On pense au doublement de l'A3-A6, mais pourquoi ne pas généraliser une troisième voie, réservée aux autobus ainsi qu'au covoiturage, pour des véhicules ne comptant pas moins de trois occupants?

On en discute avec nos voisins français, allemands et belges, dans le prolongement de logiques qui non seulement ne s'arrêtent pas aux frontières, mais ont une cause commune à défendre. Les projets routiers existent bel et bien. Si on veut davantage de transports publics, il faut leur donner de la place, quitte à créer de nouvelles voies de circulation. Revenons à l'entrée de Luxembourg: le boulevard de Merl, c'est une logique de périphérique, pour faire le lien depuis la route d'Arlon jusqu'à Gasperich. C'est une alternative, un moyen de ne pas envoyer un trafic de transit vers le centre. Et c'est une artère qui pourra irriguer les zones qui se développeront le long de l'axe...

paperJam: Misez-vous aussi sur les avancées technologiques?

Claude Wiseler: Le chantier télématique est important. Nous avons lancé l'application Mobilitéit.lu et elle fait un réel score en téléchargement sur les smartphones. C'est très bien, mais on reste dans du statique. Je regarde d'un oeil un peu envieux, je l'avoue, le système mis en place par la Ville de Luxembourg pour son parc de bus. Un suivi centralisé du trafic, en live, à l'échelle du réseau ferroviaire et routier national, serait un outil pertinent, pour l'usager, pour la gestion en temps réel, pour les agents de terrain. Là, nous avons encore du chemin à parcourir, mais le challenge est intéressant.

paperJam: On vous sent assez enthousiaste, en effet...

Claude Wiseler: Oui, tout cela me passionne. On est au coeur de l'aménagement du territoire et des grands enjeux de programmation. C'est fascinant. C'est effectivement une grande chance d'avoir tous les aspects rassemblés en un ministère commun. Sans ça, ce serait très difficile...

paperJam: Précisément, comment s'organise tout cela?

Claude Wiseler: Nous avons mis en place une cellule de coordination, sous l'égide de l'aménagement du territoire. On y retrouve les transports, la planification, les CFL, les ponts et chaussées... Nous pourrons encore clarifier la planification dès que l'on disposera des nouvelles lois sur l'aménagement du territoire. Le développement des quatre plans sectoriels, pour le logement, les transports, les aménagements paysagers et les zones de développement, nous fournira un arsenal contraignant, devenu indispensable pour avancer. Et ces outils seront également très utiles pour les communes dans l'élaboration de leur PAG (plan d'aménagement généra 4 ndlr.) par exemple. Nous aurons de quoi penser mieux et plus loin, de quoi faire percevoir mieux nos idées aussi. Car il s'agit d'être cohérent. Le schéma de mobilité que l'on prépare conditionne beaucoup de choses, y compris bien sûr sur le plan économique. C'est un des défis. Le pays doit rester compétitif dans un environnement où rien ne dort. Il faut des infrastructures, des pôles de diversification. Tout cela ne servirait pas à grand-chose sans les moyens d'accéder à ces pôles ou de circuler entre eux. Idem pour le défi européen: Luxembourg veut renforcer son statut de capitale, on va avoir de nouveaux bâtiments pour abriter des services, une seconde école européenne... Là encore, tout est lié. Si on se retrouve à 40.000 postes de travail au Kirchberg, peu importe si c'est demain ou dans 20 ans, on aura besoin de tous les moyens pour ne pas engorger le plateau. Une logique de mobilité, c'est aussi faciliter la décentralisation. Construire là où on fait de nouvelles routes. Et tout s'enchaîne. En fait, la logique, c'est arrêter de subir pour aller de l'avant. A l'échelle du pays, il y avait un certain retard à rattraper. Nous nous y employons, tout en nous projetant vers le futur.

paperJam: Il faut aussi se donner les moyens budgétaires. Les infrastructures et les grands projets coûtent cher. Tout cela est-il assuré?

Claude Wiseler: Cela nous ramène partiellement à la notion de choix, d'opportunités, de planification et d'objectifs que l'on se donne. Si je prends ce qui est projeté entre ici et une petite dizaine d'années, on peut prévoir une enveloppe d'environ 7 milliards d'euros, avec priorité à la mobilité et au rail en particulier. Personne ne rêve éveillé, tout est chiffré. Dans le budget 2012 par exemple, les dépenses annuelles pour le fonds des routes et les frais d'infrastructures se chiffrent à quelque 184 millions. Pour le fonds du rail, investissements et entretien, on en est à 321 millions. Rien que pour ces deux postes, on dépasse le demi-milliard. Cela donne une idée de la politique que l'on veut mener et des moyens que l'on y consacre.

Dernière mise à jour