"Je n'ai pas osé proposer plus", Mady Delvaux-Stehres au sujet du projet de réforme de l'enseignement secondaire

Le Quotidien: Dans le cadre de la réforme de l'enseignement secondaire, vous allez présenter cet après-midi un avant-projet de loi. Y a-t-il dans ce document des éléments qui ne sont pas encore connus du grand public?

Mady Delvaux-Stehres: Sur les grandes lignes qui sont actuellement en discussion, il n'y aura, je pense, pas de surprise. Je tiens également à souligner que tout ce qui concerne les critères de promotion d'une classe à une autre ou bien encore la pondération entre par exemple l'allemand et le français, l'écrit et l'oral, tout ça ne sera pas dans la loi. Nous avons reçu le 15 novembre de la part des différents établissements les avis relatifs à ces questions. Nous sommes en train de les analyser. Mais ces points feront de toute façon, ultérieurement, l'objet d'un règlement grand-ducal. Ce qui n'est par contre peut-être pas encore tellement connu, c'est que nous proposons de structurer les lycées de manière sectorielle en y introduisant un département "classes inférieures" et un département "classes supérieures". Il y a déjà bon nombre d'établissements qui fonctionnent sur ce modèle. Ensuite, nous proposons également des mesures relatives au développement de la qualité de vie scolaire. Il s'agit là d'éléments qui sont déjà discutés dans beaucoup de lycées, mais qui seront aussi certainement nouveaux pour certains. Il y a ensuite des mesures concernant les procédures disciplinaires que nous proposons de redéfinir. Et puis, il y a encore des éléments qui concernent, par exemple, le service pédagogique et le collège des directeurs. Mais je ne pense pas que ce sont des points qui intéressent vraiment le grand public.

Le Quotidien: L'opposition aux grandes lignes de votre projet vous a-t-elle surprise?

Mady Delvaux-Stehres: De manière générale, je pars du principe que lorsqu'on présente un projet, il faut s'attendre à ce que cela provoque beaucoup d'agitation. Mais honnêtement, non, je n'avais pas pensé que cela prendrait une telle ampleur. Donc, oui, j'ai été surprise.

Le Quotidien: L'opposition de la part des enseignants n'était-elle pas prévisible tout de même? Vous ne vous y attendiez vraiment pas?

Mady Delvaux-Stehres: Il y a une chose que j'ai constatée au bout de toutes ces années. C'est que lorsqu'on propose des changements, il y a toujours une partie des gens qui y est favorable et une partie qui y est opposée. Et en général, ceux qui sont contre ce que l'on propose s'organisent mieux que ceux qui sont pour. Et puis, il y a aussi une autre partie des gens qui n'est pas encore informée et qui ne s'est pas encore fait d'opinion. Cela me semble un peu normal. Il faut dire aussi qu'il y a énormément d'enseignants et qu'il existe trois syndicats dans ce secteur. Ce qui fait qu'aujourd'hui, avec du recul, je me dis effectivement que ce n'est pas si étonnant que cela.

Le Quotidien: Qu'est-ce qui vous a le plus surprise finalement?

Mady Delvaux-Stehres: Que ce soit arrivé à ce moment-là. Je pensais qu'on allait présenter le texte et qu'on verrait ensuite. Je ne m'attendais pas à ce que ça arrive déjà en novembre.

Le Quotidien: Je crois que vous avez déclaré vous-même que votre communication n'a pas été optimale...

Mady Delvaux-Stehres: Ce n'est jamais optimal, vous savez.

Le Quotidien: Tout de même, aujourd'hui, avec du recul, qu'auriez-vous fait différemment si vous aviez su que cela allait se passer comme cela?

Mady Delvaux-Stehres: J'aurais peut-être tenté de communiquer davantage avec les élèves. L'année dernière, nous avons eu une réunion avec le Conseil national des élèves. Il y a eu aussi deux groupes de travail organisés. Mais à vrai dire, l'intérêt n'était pas vraiment très grand de la part des élèves. Je dois admettre que depuis cet été - il y a eu de nouvelles élections - les choses ont un peu changé. Et il y a eu une réunion depuis, mais le nombre d'élèves présents n'y était pas terriblement élevé. On s'est posé la question de savoir comment on pouvait communiquer avec les élèves. Ce n'est pas simple. Ils sont nombreux et ils sont répartis dans différents établissements. J'espère vraiment que les élèves vont arriver à présent à trouver une plateforme permettant qu'on discute calmement de tous les points, les uns après les autres. Quant à mon offre de venir dans les lycées, elle tient toujours. Tous les comités d'élèves recevront également le document que je présente lundi (NDLR: lire aujourd'hui). J'ai aussi dit aux directeurs qu'ils devaient donner la possibilité aux délégués de classe de le présenter afin que tous les élèves puissent en discuter. Mais il faudra encore - dans un lycée de 1 200 ou 2000 élèves c'est difficile - s'organiser de sorte qu'il puisse en émerger une opinion majoritaire. C'est toujours compliqué.

Le Quotidien: Vous avez organisé deux séances d'information, l'une adressée aux enseignants, l'autre aux élèves. Des séances plutôt mouvementées. Comment les avez-vous vécues?

Mady Delvaux-Stehres: C'était éprouvant. Cela, je ne peux pas le nier. On est fatigué en sortant de là.

Le Quotidien: Revenons-en à la réforme. Pourquoi une réforme de l'enseignement secondaire est-elle finalement nécessaire?

Mady Delvaux-Stehres: Notre société est en train d'évoluer énormément. Notre système scolaire, lui, vient des années 1960-1970 et a été conçu au fond pour une population relativement homogène dans laquelle les enfants avaient pour langue maternelle le luxembourgeois.

Dans la génération qui a aujourd'hui 15 ans, deux tiers ont encore le luxembourgeois comme première langue. Et parmi les enfants qui sont en ce moment dans l'enseignement précoce, ils ne sont plus qu'un tiers. Et pour cela, je pense qu'il est juste qu'on se pose la question de savoir comment réorganiser l'école publique pour que tous les enfants au Luxembourg aient une chance de se qualifier. Ensuite, quand je regarde le monde d'aujourd'hui et que je prends par exemple la stratégie de Lisbonne qui a comme ambition pour l'Europe d'avoir 50 % d'une génération avec un diplôme de l'enseignement supérieur, je me dis que nous devons faire des efforts pour permettre à nos élèves d'avoir un plus grand accès à l'enseignement supérieur.

Et si nous avons des étudiants, ce serait également souhaitable qu'ils soient préparés au mieux pour réussir leurs études.

Selon le Cedies (NDLR: Centre de documentation et d'information sur l'enseignement supérieur), un tiers de nos étudiants dans l'enseignement supérieur terminent leurs études, un tiers changent d'orientation et un tiers arrêtent. Nous avons également questionné les étudiants sur ce à quoi ils estimaient ne pas avoir été suffisamment préparés au lycée. Et ils nous disent qu'ils auraient eu besoin qu'on les prépare davantage à être autonomes, à s'organiser, à prendre des initiatives. Et ils nous disent également que l'anglais est important. Le troisième phénomène que nous constatons, c'est que nous avons beaucoup d'échecs scolaires et un taux élevé - 10% - de décrochage. Un enfant sur dix au Luxembourg sort du système scolaire sans diplôme. Il faut y remédier.

Le Quotidien: Que proposez-vous pour relever tous ces défis?

Mady Delvaux-Stehres: Il y a dans cette réforme deux grands volets.

En ce qui concerne les classes inférieures, il est tout d'abord important de réussir à emmener un élève de 7e jusqu'en 5 ou 9 pour qu'il puisse s'orienter soit vers les classes supérieures soit vers une formation professionnelle afin qu'il puisse décrocher des qualifications. C'est le premier volet: comment encadrer les élèves pour qu'ils aient les compétences nécessaires pour la suite de leur parcours.

En ce qui concerne les classes supérieures, il s'agit d'armer les élèves suffisamment pour qu'ils puissent poursuivre des études supérieures. La question est de savoir quelles compétences, combien de savoirs, combien de spécialisations et quel niveau de culture générale on leur donne pour qu'ils puissent réussir.

Le Quotidien: Quelles sont selon vous les forces et les faiblesses du système actuel?

Mady Delvaux-Stehres: L'une des forces du système actuel réside dans le multilinguisme. Nous sommes un pays qui a une longue tradition à ce niveau. Nous devons définir des exigences en la matière de manière à ce que tout le monde ait la possibilité d'atteindre le niveau le plus élevé. Mais ces exigences doivent également être définies de sorte que lorsque l'on n'atteint pas un certain niveau dans une langue, on ait tout de même la possibilité d'obtenir une qualification. Ensuite, les universités nous disent de plus en plus que les élèves ne doivent pas être trop spécialisés, mais que ce qu'ils savent en sortant du secondaire doit par contre être maîtrisé.

Les universités ne demandent pas de surspécialisation mais un bon équilibre entre formation générale et spécialisation. Et finalement, notre système repose sur le fait que l'enseignement est rythmé par le professeur. C'est lui qui détermine quand quelque chose est à faire: la date des devoirs en classe et ce qu'il y a à apprendre. Or, et c'est les étudiants qui nous le disent, les élèves ont besoin d'apprendre à devenir plus autonomes, à prendre des initiatives individuelles.

Le Quotidien: De nombreuses études tendent à montrer que le redoublement n'est pas forcément la panacée pour un élève en difficulté. Vous proposez dans ce sens de supprimer ce mécanisme entre la classe de 7e et de 6e. Pourquoi n'allez-vous pas plus loin?

Mady Delvaux-Stehres: J'ai beaucoup lu sur le redoublement. Toutes les études disent que redoubler n'est pas une bonne mesure de remédiation. Cela ne signifie pas que les élèves doivent avancer automatiquement même s'ils ne maîtrisent pas une matière. Mais cela signifie qu'il faut mettre en place d'autres mesures de remédiation plus efficaces. Toutes les études disent également que dans tous les pays qui ont une tradition du redoublement, aussi bien les parents que les enseignants et les élèves y sont fortement attachés. Et qu'ils ne peuvent pas s'imaginer que cela puisse fonctionner autrement. Et pour cette raison, on a voulu y aller prudemment. Moi, je peux m'imaginer encore plein d'autres choses que ce qui est écrit dans le texte. Mais j'essaie d'emmener les enseignants, les écoles, les élèves, les parents et l'opinion publique avec moi. Et je pensais que ceci était quelque chose de concevable. Et pour cette raison, je n'ai au fond pas osé proposer plus.

Le Quotidien: Quels sont les autres éléments que vous n'avez pas osé proposer?

Mady Delvaux-Stehres: Ça, je ne vous le dirai pas (rire).

Le Quotidien: Dans le paquet que vous présentez aujourd'hui, qu'est-ce qui est encore négociable?

Mady Delvaux-Stehres: Dans toutes les discussions que j'ai eues jusqu'à présent, j'ai toujours dit que je souhaitais présenter un texte dans lequel figurent les propositions du ministère. Ensuite, je suis disposée à discuter de tout. Mais je ne peux pas retirer mes propositions avant même qu'elles aient été toutes discutées individuellement. Je vais discuter, consulter et seulement au terme de ce processus, je déterminerai ce qu'on doit modifier et ce qu'on garde.

Le Quotidien: La date du dépôt du texte à la Chambre des députés est-elle figée?

Mady Delvaux-Stehres: Je serais contente si on pouvait déposer le texte en mai ou en juin, mais je suis tout à fait disposée à prendre le temps qui sera nécessaire pour mener les consultations à terme dans de bonnes conditions. Et si cela met plus de temps que prévu, je prendrai plus de temps.

Membre du gouvernement

DELVAUX-STEHRES Mady

Date de l'événement

05.12.2011

Type(s)

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