Interview de Xavier Bettel avec paperjam.lu

"Nous sommes préparés depuis longtemps au Brexit"

Interview: paperjam.lu (Jean-Michel Hennebert et Thierry Raizer)

paperjam.lu: M. le Premier ministre, dans vos discours depuis le 23 juin, vous soulignez la collaboration avec la City et les liens étroits qui existent avec la place financière luxembourgeoise. Mais dans le même temps, une task force sur les conséquences du Brexit a été mise en place et une mission de promotion sera conduite du 25 au 27 juillet à Londres. Doit-on parler de stratégies parallèles?

Xavier Bettel: Non. La task force vise premièrement à agir d'ici vers la Grande-Bretagne et deuxièmement d'anticiper les répercussions que le Brexit va avoir pour la Grande-Bretagne au Luxembourg. Nous avons des centaines de fonctionnaires britanniques qui sont ici et qui se posent des questions, idem pour les parents d'enfants présents à l'École européenne. Et dans le même temps, nous ne voulons pas être le dernier sur la liste une fois qu'il y aura des opportunités. Ce n'est pas un double discours, car je ne vais pas faire le vautour alors que nous sommes sur les radars de Londres depuis des années. Ces opportunités, nous les avons déjà saisies depuis des années, de manière discrète et efficace. 

paperjam.lu: L'annonce du renforcement des classes internationales, notamment anglophones, s'inscrit donc dans la stratégie du Grand -Duché de renforcer ses "soft factors"?

Xavier Bettel: Nous n'avons pas attendu le Brexit pour faire cela. Tout ceci est permanent. Amazon est installé chez nous. Ils ont commencé avec sept personnes, ils sont maintenant plus de 1.000. Les sociétés viennent ici, car elles ont besoin d'infrastructures au sens large et l'école en fait partie. Certains pays se réveillent, alors que pour notre part nous sommes préparés depuis bien longtemps. Ne nous trompons pas, nous sommes complémentaires, mais aussi en concurrence avec Londres, mais une concurrence saine.

paperjam.lu: L'ancien ministre des Finances anglais George Osborne avait promis de tout faire pour maintenir la compétitivité de son pays après le Brexit. Craignez-vous une surenchère fiscale?

Xavier Bettel: Je me rends compte que pour des raisons politiciennes, des dirigeants ont hypothéqué l'avenir de leur pays. M. Osborne s'est lancé dans un discours de dumping fiscal dont on ne sait pas où il pourrait s'arrêter. S'agissant du Luxembourg sur cette question, nous n'envisageons pas cette stratégie, mais plutôt de trouver le juste équilibre. Réussir à attirer des sociétés est le résultat d'un ensemble de facteurs. Les sociétés qui reviennent au Luxembourg après l'avoir quitté pour un seul facteur qui était plus intéressant ailleurs s'en rendent compte.

paperjam.lu: Vous souhaitez que l'accord TTIP soit discuté au niveau du Parlement européen et des parlements nationaux, provoquant des réticences en Europe. Comment les expliquez-vous?

Xavier Bettel: Dans un contexte d'incertitude, nous devons à la fois éviter d'entrer dans des combats et d'afficher une division. Après ce qui s'est passé en Grande-Bretagne, j'ai l'impression que ne pas donner la parole aux parlements nationaux sur ce sujet serait une erreur. Ceux qui s'opposent à cette démarche oublient probablement les avantages que nous apporte l'Europe. Des données comme la paix ou les échanges économiques ne sont pas des acquis. 

paperjam.lu: Dans le même temps, le Brexit pose la question de la pertinence de l'architecture européenne... 

Xavier Bettel: On a trop tendance de dire que quand cela ne va pas, 'c'est Bruxelles'. Mais Bruxelles c'est moi aussi. Il faut avoir une Europe des citoyens pour les citoyens. En 1957, les dirigeants parlaient à leurs élus avec une lunette européenne. Aujourd'hui, cette vision est plus orientée sur le court terme, alors que projet européen se construit sur le long terme. Nous devons retrouver une longueur de vue et l'envie de faire des choses ensemble sans abandonner notre identité. 

Cet entretien a été réalisé avant les événements tragiques de Nice.

paperjam.lu: Sur le plan national, est-ce que le plus dur, c'est de faire comprendre à la population que le pays bouge et a besoin de réformes et d'adaptations? 

Xavier Bettel: Il faut être conscient qu'on fait tous partie de ce pays. Ce n'est pas l'un contre l'autre, pas une politique de fonctionnaires contre les employés privés, de jeunes contre vieux, de Luxembourgeois contre étrangers. C'est une politique pour ce pays. Contrairement à des pays comme l'Allemagne, la France ou l'ltalie, nous ne possédons pas d'usines qui emploient des milliers de personnes, mais un secteur tertiaire tellement développé qui peut rapidement évoluer et voir des sociétés partir du jour au lendemain. Nous devons donc être compétitifs sur un grand nombre de points où nous sommes en concurrence avec d'autres, et dans des domaines où peut exister une certaine volatilité.

Il y en a plein. Par exemple, tout ce qui concerne le secteur IT, le commerce électronique ou le fait de placer le Luxembourg comme carrefour incontournable des télécommunications. Il y a une transition entre ce qu'on a su faire, ce que l'on sait faire, ce que l'on saura faire. Et le développement des fintech est l'un des grands chantiers de mon gouvernement, car nous avons la confiance du secteur, la connaissance et l'infrastructure nécessaires.

Le logement reste bien sûr une priorité et vous savez que la main publique doit être là pour construire moins cher. Je suis fier d'avoir changé un concept de l'État, car avant, il vendait au plus offrant. Or les promoteurs ne sont pas des philanthropes. En limitant le prix de vente, les gens paient 40 à 50% de moins. C'est ça que nous devons faire. Le deal réalisé avec ArcelorMittal, c'est la même chose, car ce sont des projets d'avenir. Là où hier il y avait une vie industrielle, aujourd'hui il n'y a rien, demain il y aura de la vie.

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