Interview de François Bausch dans Paperjam

"Mon successeur devra poursuivre la dynamique engagée"

Interview: Paperjam (Jean-Michel Hennebert)

Paperjam : Décarbonisation et digitalisation ont été les principaux thèmes abordés lors votre échange avec Violeta Bulc, commissaire européenne aux Transports, lors de sa venue au Luxembourg. Qu'est-ce que signifient concrètement ces deux termes pour la mobilité de demain? 

François Bausch : La décarbonisation correspond simplement au passage du moteur thermique à d'autres types de moteur, qu'ils soient électriques, à hydrogène ou autre. La digitalisation, elle, va nous permettre d'organiser différemment la mobilité, surtout combinée avec la conduite autonome. Dans l'avenir, vous n'aurez qu'à appeler votre voiture qui viendra vous chercher pour vous emmener là où vous souhaitez aller. Dans ce contexte, le partage des voitures va jouer un rôle encore plus important, car la voiture que vous aurez utilisée ne sera plus nécessairement votre voiture. Elle appartiendra à une flotte qui pourrait appartenir, par exemple, à un concessionnaire. C'est la raison pour laquelle je suis persuadé que ces professionnels doivent se poser des questions sur leur futur modèle économique pour ne plus vendre que des voitures, mais aussi des services de mobilité.

Paperjam : De quel horizon parle-t-on ici? 2050-2060?

François Bausch : Non, de beaucoup plus tôt. Les modèles de partage de voitures existent déjà, mais vont se professionnaliser à l'avenir. Les principaux constructeurs sont en train d'investir ce secteur, soit en développant leur propre solution, soit en s'associant avec des acteurs existants. Et ici, on parle d'un horizon compris entre 2025 et 2030. Et peut-être encore plus vite. Dans ce cadre, la digitalisation va jouer un rôle central, puisque si les voitures sont autonomes, plus besoin de les conduire. Et donc, cela ouvre la possibilité d'offrir de nouveaux services aux occupants de ces véhicules. Et donc, de nouveaux marchés à conquérir.

Paperjam : À vous écouter, la digitalisation apparaît donc comme un outil et non comme une fin en soi... 

François Bausch : Vous pouvez utiliser la digitalisation pour offrir de nouveaux services de mobilité, mais ces services doivent d'abord être créés. C'est dans cette logique d'offrir un nouveau champ de possibles que sera lancé, début mars, l'application Copilote, actuellement en phase de test bêta. Ce lancement se fera d'ailleurs en même temps que le système de bonification qu'on veut introduire. Ce dernier concernera aussi bien les personnes qui font du covoiturage que celles qui proposent le covoiturage. Même si tout n'est pas encore clair sur les niveaux qui permettront d'avoir ces bonifications, ce qui est certain que nous allons les donner, via un financement au travers du fonds climat.

Paperjam : Par le passé, vous avez évoqué une application "révolutionnaire" baptisée Copilote, plus proche d'Uber que de Blablacar. À quoi faudra-t-il s'attendre?

François Bausch : Les portails qui existent actuellement sont statiques. C'est-à-dire que les utilisateurs se mettent d'accord sur un trajet et un horaire de départ ou d'arrivée. Ici, la plateforme sera dynamique, à savoir qu'elle permettra, en temps réel, de savoir où se trouve la voiture utilisée pour le covoiturage, mais aussi les personnes qui doivent l'emprunter grâce à la géolocalisation. Et on peut combiner la plateforme avec d'autres services. Ce que nous voulons faire, par exemple, c'est travailler avec les CFL pour offrir la possibilité aux voyageurs qui seraient confrontés à un problème sur une ligne de voir si le covoiturage ne leur permettrait pas d'accéder plus rapidement à leur destination.

Paperjam : Autre idée évoquée lors de votre échange avec Violeta Bulc, le renforcement de l'offre ferroviaire le long du sillon lorrain. À quoi faisiez-vous référence précisément?

François Bausch : Nous sommes d'ores et déjà en train de renforcer cet axe, via le dédoublement de la ligne Bettembourg-Luxembourg qui est en construction et qui sera terminé fin 2023. Et nous discutons avec la France d'un possible dédoublement de la ligne jusqu'à Thionville. Au lieu de faire un transfert fiscal comme le demande Paris, le gouvernement est favorable à un cofinancement du projet qui nous offrira au final plus de capacité pour permettre de faire circuler plus de trains. Et donc, d'obtenir un gain de qualité de vie en réduisant les nuisances liées au transit de voitures dans les petites localités luxembourgeoises par exemple. Ce projet devrait se décider au cours des prochains mois dans le cadre d'une réunion de haut niveau prévue en mars à Paris. Mon idée est de finaliser une convention assez précise à cette date, un peu dans l'esprit de ce qui a été fait lors du cofinancement de la ligne TGV entre Metz et Luxembourg ou de celui de la liaison Micheville.

Paperjam : Vous avez également à plusieurs reprises fait référence à une "nouvelle dynamique" autour de la mobilité mise en place ces dernières années. Quels éléments avez-vous mis en place pour que celle-ci dure après les législatives de la fin d'année?

François Bausch : Je présenterai, avant les vacances d'été, le Modu 2.0 (le nouveau plan de mobilité durable du gouvernement, ndlr), qui donnera une vision claire et précise sur les investissements à réaliser dans les infrastructures de mobilité au-delà de 2023, car tout ce que nous faisons aujourd'hui sera terminé en 2023-2024. Que ce soit la ligne Bettembourg-Luxembourg, la gare de Luxembourg, etc. Mais il faut une suite. Car quand je dis qu'il faut conserver cette dynamique, cela signifie qu'il faut mettre en place les choses à la même vitesse que ce que nous avons fait au cours de cette législature. Peu importe qui prendra ma suite après les élections d'octobre, mais si nous perdons, mon successeur aura l'obligation de poursuivre, car sinon il mettra en échec le modèle luxembourgeois. Il y a une importance capitale derrière ces projets pour le développement du pays. Si on veut un Luxembourg qui fonctionne au-delà de 2023, il faut continuer d'investir dans cette direction. 

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