Interview de François Bausch dans Connect by clc

"Pour la mobilité aussi, il faut manier la carotte et le bâton"

Interview: Connect by clc (Quentin Deuxant)

Connect: Parmi les mesures prises pour favoriser la mobilité durable, on trouve les aides financières octroyées à l'achat d'un véhicule à faibles émissions. Concernent-elles aussi les entreprises? 

François Bausch: Oui, les nouvelles aides financières pour véhicules automoteurs sont non seulement éligibles pour les personnes privées, mais aussi disponibles pour les personnes morales de droit privé, c'est à-dire les professionnels. Ces primes ont été introduites en 2019, mais elles ont vocation à être prolongées durant plusieurs années. Ainsi, si certains s'interrogent sur la durée pendant laquelle il sera possible d'obtenir la prime, qu'ils se rassurent: il n'est pas impératif de faire immatriculer son véhicule à basses émissions au cours de l'année pour pouvoir bénéficier de cette aide. 

Connect: Quelles sont les aides qui soutiennent les professionnels dans leur transition vers une mobilité plus durable? 

François Bausch: A côté des nouvelles aides financières, l'utilisation de véhicules de service qui émettent peu de CO, est favorisée d'un point de vue fiscal. En outre, nous travaillons à la mise en place d'un vrai «paquet mobilité» qui donnerait la possibilité de déduire fiscalement d'autres services de mobilité que la voiture individuelle, par exemple les abonnements de car-sharing, le covoiturage, les vélos en libre-service, etc. Le but est de permettre à chaque employé d'organiser sa mobilité comme il le souhaite, en utilisant des moyens alternatifs à la voiture individuelle. Celle-ci constitue un mode de déplacement qu'il faut aujourd'hui réellement chercher à proscrire si l'on souhaite promouvoir une mobilité plus durable. 

Connect: Un péage urbain à Luxembourg pourrait-il faire partie de ces mesures contraignantes visant ceux qui continuent à privilégier leur voiture individuelle? 

François Bausch: Le péage urbain ne peut être envisageable que si les transports en commun permettant de rejoindre la ville et de s'y déplacer sont véritablement efficaces. C'est la raison pour laquelle nous sommes actuellement dans une phase d'investissements massifs en faveur des transports en commun: le tram a été lancé, nous travaillons beaucoup à l'amélioration de l'offre ferroviaire, et une réforme concernant les bus sera mise en place en 2021. Grâce à toutes ces initiatives, nous allons procéder à un vrai saut qualitatif dans l'offre disponible. 
Si nous constatons que trop de personnes continuent à utiliser leur voiture individuelle pour rejoindre Luxembourg, malgré ces différentes améliorations, nous pourrons alors envisager la mise en place d'un péage urbain, en dernier recours. 
Ceci étant dit, je pense que les mentalités sont en train de changer, surtout auprès de la jeune génération, qui est déjà beaucoup moins encline que ma génération à passer son permis de conduire, par exemple. Avec l'offre de transports en commun qui sera disponible à terme au Luxembourg, la mobilité alternative devrait donc prendre un essor important. 

Connect: On voit arriver sur le marché les premiers véhicules lourds 100% électriques ou hybrides. Des aides seront-elles prévues pour les sociétés qui les utilisent? 

François Bausch: Ce n'est pas prévu actuellement. En ce qui concerne les véhicules de transport de personnes, nous souhaitons électrifier au plus vite les lignes de bus RGTR. Le but est d'avoir une flotte électrique de 1.300 bus en 2030. 

Connect: Rendre la mobilité plus durable, c'est aussi la fluidifier. Quelles sont les solutions envisagées pour réduire les embouteillages aux heures de pointe? 

François Bausch: Pour la mobilité comme pour tout autre secteur, le maniement de la carotte et du bâton, d'une combinaison entre des incitants et des mesures plus punitives ou contraignantes, reste particulièrement efficace. Pour que les gens se dirigent vers des solutions de mobilité alternatives, plus durables, il faut d'abord que ces alternatives existent et qu'elles soient efficaces. 
Si c'est le cas, je suis convaincu que les gens les utiliseront massivement, comme cela a été prouvé dans d'autres régions du monde. C'est la seule solution pour éviter ces problématiques de congestion qui deviennent insupportables au Luxembourg.
En effet, même si on construit des autoroutes à trois voies dans tout le pays, on ne parviendra pas à fluidifier le trafic si tout le monde continue à utiliser sa voiture de manière individuelle. Évidemment, il restera toujours quelques irréductibles qu'on n'arrivera pas à convaincre d'utiliser un autre moyen de transport que leur propre voiture. Ce sont eux qu'il faudra alors pouvoir viser à travers des mesures plus contraignantes, en utilisant le bâton plutôt que la carotte... 

Connect: Comment les entreprises seront-elles aidées pour faire face à la nécessité de transformer la mobilité de leurs employés ? 

François Bausch: Dans notre stratégie globale, l'État a évidemment un rôle à jouer. Mais les individus et les entreprises, elles aussi, doivent apporter leur pierre à l'édifice. Ainsi, nous croyons beaucoup à la mise en place d'un plan de mobilité au sein de chaque entreprise. Il s'agit d'abord, pour les sociétés elles-mêmes, de réaliser une analyse de la situation en interne, afin de connaître exactement quels sont les besoins de chacun des collaborateurs. Ensuite, l'Etat peut aider les entreprises dans la mise en place de solutions de mobilité durable qui répondent précisément à ces besoins. 
Certaines grandes entreprises ont par ailleurs leur «coordinateur de mobilité». C'est par exemple le cas chez PwC, où des solutions de car-sharing ou de covoiturage sont notamment gérées et promues en interne. Ces sociétés offrent par exemple un certain nombre de places de parking gratuites pour les personnes qui font du covoiturage. Mais il est vrai que les plus petites structures n'ont pas forcément les moyens de mettre en place ce genre de solutions et de les financer en propre. Mon ministère est tout à fait disposé à les aider, par exemple en collaboration avec la Chambre des métiers ou la CLC, qui pourraient contribuer à mieux coordonner ces programmes d'aide aux PME. 

Connect: Les outils digitaux peuvent aussi être utiles pour rendre la mobilité plus efficace et plus durable. Comment expliquez-vous dès lors que les sociétés de transport soient exclues des programmes d'aide étatiques comme fit4digital? 

François Bausch: Il faut nous laisser un peu de temps pour développer ce programme et l'étendre à tous les secteurs. Mais il est évident que les entreprises de transport pourront, elles aussi, bénéficier à terme de ces aides et de ces programmes. Nous nous rendons bien compte que la digitalisation peut aussi être utile pour améliorer la mobilité, pour mieux la planifier notamment. A ce propos, je travaille d'ailleurs à une réorganisation du ministère qui vise à intégrer le Verkéiersverbond afin que les plans de mobilité pour les entreprises soient encore mieux coordonnés avec le ministère. Aujourd'hui, chacun travaille dans son coin, et cela manque un peu d'efficacité. Le but est de mieux associer les différentes forces vives de l'Etat pour mieux planifier la mobilité, notamment à l'aide d'outils digitaux. 

Connect: Il existe aujourd'hui de nombreuses alternatives au diesel. Pourtant, les infrastructures routières permettant de faire le plein de gaz, d'électricité ou d'hydrogène sont encore trop peu nombreuses. Y a-t-il des projets à ce niveau? 

François Bausch: Je pense que l'électricité est l'énergie optimale pour propulser les voitures privées et la plupart des bus. Toutefois, l'hydrogène représente une solution d'avenir pour les poids lourds et les véhicules qui couvrent chaque journée de grandes distances. Ainsi, il faudra, en parallèle à l'important travail qui est déjà lancé par rapport aux bornes de recharge électrique, mettre en place les des stations de ravitaillement en hydrogène. Un premier projet de station d'hydrogène est d'ailleurs en cours d'élaboration. L'industrie automobile européenne s'est un peu reposée sur ses lauriers ces dernières années et les Chinois ont déjà pris une belle longueur d'avance dans l'électromobilité. Certes, les véhicules fonctionnant à l'électricité et avec des piles à combustible à hydrogène sont encore coûteux, mais on voit déjà que les prix sont en train de baisser et en même temps l'autonomie des voitures électriques augmente. S'y ajoutent les nouvelles primes que le gouvernement vient d'introduire. Je suis convaincu que, prochainement, le coût d'un véhicule électrique sera équivalent voire inférieur à celui d'un véhicule à moteur thermique. La transition vers ces nouvelles technologies se fera alors très rapidement. 

Connect: Une première augmentation des accises sur le diesel est intervenue au premier mai. Y en aura-t-il d'autres dans le futur, sachant que ce genre de mesure peut être dommageable pour certaines entreprises? 

François Bausch: Tout d'abord, il faut signaler que cette augmentation des accises de deux centimes par litre de diesel n'a évidemment pas pour but de pénaliser les entreprises. C'est la raison pour laquelle nous n'avons pas augmenté le diesel de cinq ou dix centimes en une fois, comme cela a été fait dans d'autres pays, car cela mettrait en difficulté les entreprises, notamment celles qui sont actives dans le secteur du transport. Notre première volonté est de réduire le tourisme à la pompe, et cette augmentation peut déjà avoir un effet à ce niveau. Nous allons observer ce que cette mesure donne au cours des prochains mois. Si elle n'a qu'un impact limité sur ce phénomène, nous devrons en remettre une couche en procédant à une nouvelle augmentation des accises sur le diesel. 

Connect: Les "gigaliners", ces camions de grande taille permettant de transporter des volumes plus importants de marchandises contribuent à réduire le nombre de camions sur les routes. Envisagez-vous de les autoriser à rouler au Luxembourg ? 

François Bausch: Je ne suis pas favorable à la circulation de ces véhicules sur le territoire luxembourgeois. Nous avons un accord avec la Belgique et les Pays-Bas pour ne pas les bloquer durant la phase de test qui est en cours, mais nous avons stipulé dès le départ que le Luxembourg ne voulait pas autoriser durablement ces gigaliners dans le pays. C'est une question de philosophie mais aussi de sécurité routière. Pour éviter la congestion des axes routiers il n'est selon moi plus envisageable de transporter des marchandises sur des longues distances par la route. J'ai la conviction qu'il est préférable de développer le rail pour assurer le transport de marchandises. C'est la raison pour laquelle nous avons investi autant dans la plateforme multimodale de Bettembourg au cours des dernières années. Le train est une vraie solution, très efficace, pour répondre à l'exigence d'une mobilité plus durable. Il faut en outre prendre en compte la spécificité du réseau autoroutier luxembourgeois, qui comporte de nombreux échangeurs. La présence massive de véhicules très longs peut rendre l'entrée ou la sortie sur l'autoroute plus difficile pour d'autres véhicules.

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