Interview avec Claude Meisch dans d'Handwierk

"Investir dans une formation professionnelle moderne, c'est investir dans l'avenir"

Interview: d'Handwierk (Chambre des Métiers)

d'Handwierk: Monsieur le Ministre, merci de nous accorder cette interview. Lors d'un entretien passé, vous aviez dit qu'on ne devra jamais arrêter de continuer à réfléchir et à travailler sur le dossier de la formation professionnelle. Les modifications subséquentes apportées les dernières années au cadre légal visaient à optimiser et à développer le système mis en place. Quelles sont vos priorités jusqu'en 2023?

Claude Meisch: Nous avons en effet déposé un certain nombre de textes légaux ces dernières années afin de pallier des déficiences au sein du système, mais aussi pour améliorer la situation des personnes en formation professionnelle tant initiale que continue. Ainsi, avons-nous avec la loi du 12 juillet 2019 apporté un certain nombre de modifications à la réforme de 2008. La plus marquante est le retour aux notes afin d'améliorer la compréhension de la cotation de l'élève. La loi du 27 août 2017 a, quant à elle, amélioré le cofinancement de la formation professionnelle continue, tout particulièrement pour les petites entreprises. Je tiens également à mentionner toutes les dispositions légales prises dans le cadre de la crise sanitaire. Leur objectif était de garder en vie le système de l'apprentissage, et de répondre aux besoins du terrain. Je veux parler ici de la prime aux entreprises accueillant des apprentis, de la prolongation du délai de signature des contrats d'apprentissage, etc. L'étude de I'OCDE sur la stratégie des compétences est en phase finale. Nous analyserons en détail si de nouvelles mesures législatives devront être prises. Mais aujourd'hui il est trop tôt pour pouvoir en juger.

d'Handwierk: Un des problèmes majeurs est celui de l'orientation scolaire et professionnelle et plus particulièrement la thématique de l'"orientation par l'échec". Comment comptez-vous performer le système afin de convaincre les jeunes et leurs parents d'opter en faveur d'une formation et d'une carrière dans l'Artisanat?

Claude Meisch: L'orientation par l'échec est une expression qui me déplaît et qui décrit mal la situation. Nous avons dans notre société des jeunes qui choisissent une voie plutôt académique et d'autres qui sont attirés par les métiers manuels. Nous avons besoin de tous. Il importe de montrer les possibilités qui existent sur le marché du travail. Le meilleur exemple pour les jeunes est l'approche "hands on", pouvoir voir et vivre de leurs propres yeux ce qu'est un métier de l'artisanat. Et je pense pouvoir dire que nous avons réussi à atteindre cet objectif lors de la YEP Schoulfoire (Youth, education, professions). Des milliers de jeunes issus du cycle 4 des écoles fondamentales et des classes inférieures des lycées ont visité la foire à la Luxexpo pour s'orienter, se faire de nouvelles idées pour leur future vie professionnelle. Nous avons réussi à donner à l'orientation une nouvelle dimension et ceci dans un cadre inédit.

d'Handwierk: Vous avez déposé un projet de loi visant à prolonger l'obligation scolaire jusqu'à 18 ans. Vous poursuivez quel objectif plus précisément avec cette mesure et comment cette dernière impactera l'Artisanat et l'apprentissage artisanal?

Claude Meisch: L'obligation scolaire jusqu'à 18 ans est tout d'abord un moyen pour lutter contre le décrochage scolaire. Il est inacceptable de voir des jeunes personnes arrêter leurs études ou leur apprentissage en cours de route à un si jeune âge. Mais augmenter l'âge de l'obligation scolaire n'est pas suffisant. Il faut se poser la question du pourquoi: pourquoi ces jeunes ne veulent-ils plus aller à l'école? Obliger une personne à rester scolarisée jusqu'à sa majorité nécessite de nouveaux concepts d'encadrement permettant la possibilité de se développer, de regagner confiance en soi et de retrouver le goût du travail en dehors du cadre strict d'une école. Telle est l'ambition!

d'Handwierk: En 2020 ont été lancés le "Skillsdësch" et l'étude OCDE avec comme objectif d'aboutir en automne de cette année à une "stratégie nationale des compétences". Indépendamment des conclusions de l'étude, quels sont pour vous les éléments déterminants d'une telle stratégie, vu les défis en matière de développement de compétences-clés dans tous les secteurs économiques et plus spécifiquement dans l'Artisanat?

Claude Meisch: Je ne peux évidemment pas anticiper les conclusions de I'OCDE et les propositions que fera le "Skillsdësch" à leur suite. Mais il est clair que le pays a besoin de personnes qualifiées disposant des compétences que le marché du travail recherche. Il s'agit donc de répondre aux questions d'upskilling et de reskilling en mettant en place des dispositifs permettant tant aux entreprises d'être soutenues dans leurs efforts qu'aux salariés de se former. Ceci passe évidemment par une offre adéquate du côté des organismes de formation et par une incitation pour les entreprises et les salariés. Mais avant de réfléchir à de nouvelles mesures, nous attendons bien évidemment le rapport de I'OCDE.

d'Handwierk: L'Artisanat souffre d'une pénurie flagrante de main-d'œuvre qualifiée. La raison majeure réside dans l'inadéquation entre l'évolution économique et l'évolution démographique au Luxembourg. Si la formation n'est pas le seul ni le principal responsable de cette situation, elle aura cependant son rôle à jouer. A quelles pistes concrètes pensez-vous?

Claude Meisch: Tous les acteurs de la formation professionnelle sont sollicités afin de faire en sorte que la pénurie actuelle de main d'oeuvre ne freine pas le développement de notre pays. Former les salariés, leur permettre d'évoluer dans leur travail et d'obtenir des qualifications supérieures sont des moyens à mettre en oeuvre. Orienter plus de jeunes dans les métiers pour lesquels il existe une pénurie de main d'oeuvre et par conséquent d'excellentes perspectives d'embauche est bien évidemment un des aspects sur lequel nous travaillons. Mais il ne faut oublier que malgré les nombreuses déclarations de postes à l'Adem, des gens restent sans emploi: là aussi les efforts doivent aller dans le sens que ces gens puissent intégrer les postes non occupés aujourd'hui. Par ailleurs, le Luxembourg est aujourd'hui un pays très attractif pour l'immigration: attirer les bons talents puis les tenir ici est un défi pour le gouvernement et les entreprises.

d'Handwierk: Le projet de réforme du Brevet de Maîtrise qui est en cours depuis quelques années consiste à regrouper les Brevets actuellement organisés par métiers en domaines d'activités et d'en réduire le nombre de manière substantielle. Quel est, selon vous, l'intérêt stratégique de cette démarche fortement soutenue de votre part? Selon vous, quel en est l'intérêt d'un point de vue valorisation du Brevet?

Claude Meisch: En effet, les travaux de réforme du brevet de maîtrise permettront à terme de passer de 35 brevets organisés par métiers à 12-15 brevets organisés par domaines d'activités. Comme vous le savez, les entreprises connaissent des changements structurels permanents, en même temps elles doivent savoir répondre aux nouvelles attentes de leurs clients. Le détenteur d'un brevet réformé aura une vision plus large et globale lui permettant de fournir les réponses adéquates aux défis du monde d'aujourd'hui et de demain.

d'Handwierk: Dans le contexte des discussions autour d'une future stratégie "skills", vous aviez mentionné plusieurs pistes ou concepts, à savoir la "certification partielle" et une "réforme de la validation des acquis de l'expérience". Quelle est la vision que vous défendez par rapport à ces concepts?

Claude Meisch: La certification partielle est un outil permettant à une personne de "prouver" qu'elle est compétente dans un domaine bien précis sans forcément disposer d'une qualification. Elle concerne des personnes sans diplômes (ou qui veulent changer de qualification). Elle fait partie des "micro-credentials", sujet aujourd'hui très discuté suite à une recommandation de l'Union européenne. Il ne s'agit pas de remplacer les formations complètes menant à des diplômes. Les certifications partielles qualifiantes doivent toujours être conçues de manière à pouvoir aboutir à l'obtention d'un diplôme ou de manière à augmenter les compétences transversales telles les digital skills ou les soft skills. En ce qui concerne la validation des acquis de l'expérience (VAE), mes services ont lancé une analyse approfondie du système actuel. Cette analyse devra montrer les éventuelles faiblesses du système et nous permettre de réaliser les adaptations ponctuelles nécessaires afin de rendre l'outil plus attractif.

d'Handwierk: Au niveau de la formation continue, l'écosystème des acteurs a évolué ces dernières années, notamment avec la création des Centres de Compétences de l'Artisanat. Comment est-ce que vous voyez cette évolution? Quel est pour vous le cadre à développer afin de favoriser davantage la formation continue sectorielle (e.a. re- & upskilling)?

Claude Meisch: Les centres de compétences de l'artisanat connaissent aujourd'hui un grand succès et je m'en réjouis. Qui, si ce n'est les personnes du terrain (salariés, patrons et fédérations), sait mieux évaluer quelles sont les qualifications dont les entreprises ont besoin? Le mode de financement des formations permet à toute entreprise de profiter de l'offre de formation. I°Etat soutient cette initiative à travers la possibilité pour les entreprises de se faire rembourser une partie des cotisations via la demande de cofinancement. Mais l'Etat joue également un rôle dans la formation continue. Sans faire de la concurrence aux centres de compétences de l'artisanat, les CNFPC offrent aujourd'hui une multitude de formations industrielles et artisanales. Afin de soutenir la transition vers l'ère digitale, je viens tout juste d'inaugurer le Digital Learning Hub à Esch-Belval qui complète l'offre de formations dans des domaines ou des pédagogies jusqu'ici peu présents voire absents du marché de la formation au Luxembourg (i.e. école 42). Investir dans une formation professionnelle moderne, c'est investir dans l'avenir. C'est la mission de l'Etat que d'intervenir dans les secteurs où l'offre privée est inexistante ou insuffisante afin de répondre à tous les besoins.

d'Handwierk: Le cofinancement par l'Etat de la formation continue en entreprise constitue un élément-clé permettant de booster la mise en oeuvre d'un management systématique de la formation dans les PME. Au vu des défis futurs, la Chambre des Métiers insiste sur une augmentation des aides pour les PME et pour les formations spécialisées dans des domaines-clés comme p.ex. la transition énergétique et digitale. Quelles sont les projets du Gouvernement de rouvrir ce dossier et de soutenir davantage les investissements en formation des PME?

Claude Meisch: L'INFPC est en ce moment en train de réaliser une enquête permettant de déterminer pourquoi les PME recourent moins au cofinancement que les grandes entreprises. En même temps, l'étude de I'OCDE analyse également les incitations ("incentivisin") à la formation continue. Attendons donc les résultats de ces deux études afin de prendre les bonnes décisions et aider ainsi nos entreprises à investir dans des formations d'excellence et adaptées aux besoins.

Dernière mise à jour