Interview avec Henri Kox dans le Paperjam

"Augmenter enfin le parc locatif en main publique"

Interview: Paperjam (Ionna Schimizzi)

Paperjam: Lors des Assises du Logement le 22 février dernier, vous avez évoqué un changement de paradigme dans la politique du logement, lequel?

Henri Kox: "Il y a désormais un changement de paradigme en mettant en avant l'accès au logement plutôt que ce fameux accès à la propriété. Pour moi, il faut éviter la précarité de ceux qui sont en location, c'est pour cela que je fais des réformes sur le logement abordable. L'investissement public est jusqu'à présent de 200 millions d'euros, mais l'objectif est d'atteindre les mêmes investissements que ceux réalisés dans le domaine de la mobilité, soit des échelles de 500 millions d'euros par an. Faire cela est une évidence pour augmenter enfin le parc locatif étatique ou en main publique à 20% (contre 2% actuellement, ndlr), pour garantir des loyers abordables.

Paperjam: Pourquoi la politique du logement dans le pays a-t-elle si longtemps été axée sur la propriété et non la location?

Henri Kox: "J'entends bien sûr cette critique, mais je ne suis ministre du Logement que depuis octobre 2019. Un changement de paradigme est déjà entamé puisque 53% des logements abordables lancés en 2020 étaient destinés à la location, contre 47% à la vente. On peut bien sûr déplorer de ne pas avoir commencé plus tôt, mais ce que je veux garantir c'est l'accès à un logement décent. La situation ces 10-12 dernières années n'était pas la même qu'aujourd'hui, les taux des prêts immobiliers étaient bas, les investisseurs étaient nombreux, et ce système était auto-alimenté par des instruments fiscaux. Avec cette politique, on pensait qu'on arriverait à un logement pour tous, mais c'est le contraire qui s'est mis en place. Le fossé s'est creusé entre le prix du logement et le revenu disponible des gens.

Paperjam: Déjà à l'époque, les personnes au salaire minimum n'auraient pas pu devenir propriétaires car les prix des logements étaient déjà très élevés...

Henri Kox: "Oui, c'est pour cela qu'il faut mettre en place la même politique que celle que Vienne a mise en place il y a 100 ans, et qui n'a plus changé depuis lors. En Autriche, 23% des logements sont en main publique, cette philosophie de garantir ces logements en main publique est une politique forte, résiliente, en particulier pour ceux qui n'ont pas les moyens de s'aventurer dans l'accès à la propriété. Je ne veux pas dire que la propriété en tant que telle est mauvaise, mais il faut faire la part des choses.

On pourrait discuter longtemps de cette politique ratée des dernières décennies, mais avec la stratégie nationale du logement abordable, j'ai deux priorités: investir et avoir une responsabilité partagée. La partition, c'est moi qui l'ai écrite, mais la mise en musique c'est du domaine de l'État, des grands promoteurs publics, du privé. Je vais encore déposer cinq grands projets d'envergure d'ici l'été, cela représente environ 1.000 logements.

Sachant qu'entre 2020 et 2022, cinq projets de grande envergure ont été votés pour un montant de presqu'un milliard d'euros, pour la réalisation de plus de 3.500 logements à terme.

Paperjam: Le Statec estime qu'il faudrait réussir à construire 6 à 7.000 logements tous les ans, on est pourtant encore loin du compte...

Henri Kox: "D'abord, je ne peux pas tout résoudre avec une baguette magique du jour au lendemain. Il faut pérenniser cette politique, avec une obligation de résultat écrite dans le Pacte Logement 2.0, ce qui n'était pas le cas auparavant. Le Pacte logement 1.0 était plutôt un pacte d'infrastructures. On aurait pu construire quelque 5.000 logements abordables, mais comme l'article 29 de la loi de 2004 concernant l'aménagement communal n'était pas aussi contraignant qu'il l'est maintenant dans le Pacte Logement 2.0, on a perdu les promoteurs privés qui sont restés dans le privé.

Paperjam: Pour continuer à avoir une économie dynamique, le pays doit continuer à recruter de nouveaux salariés notamment étrangers. Mais où vont-ils être logés? Le Luxembourg est-il coincé?

Henri Kox: "Oui, et c'est pour cela que l'implication du privé est prévue dans le projet de loi sur le logement abordable, avec les mêmes règles que pour le secteur public. Maintenant, tous les instruments sont en place pour avancer.

Paperjam: Beaucoup de promoteurs privés demandent justement à être impliqués dans la construction des logements abordables puisque les ventes, en Vefa notamment, sont en baisse? (de l'ordre de 36% sur le dernier trimestre 2022)

Henri Kox: "Nous avons cette discussion depuis deux ou trois ans déjà. Pour le moment, on a plusieurs crises: la crise de l'inflation due à la guerre, la crise énergétique, la crise climatique et désormais à la fois une crise de l'offre et une crise de la demande dans le secteur du logement. Mais pour résoudre la crise de l'offre, je ne peux que répéter ma philosophie d'investir massivement, d'impliquer beaucoup de monde, privé comme public. Mais à condition que les critères soient les mêmes pour les communes, les promoteurs publics, ou les asbl, qui s'engagent à construire des logements abordables sur une durée de 40 ans.

Paperjam: Votre but est donc d'avoir une alliance public-privé?

Henri Kox: "Oui j'ai toujours été en faveur de cette démarche.

Paperjam: Mais qui bloquait?

Henri Kox: "Dès le début, c'était très clair que je n'allais pas faire de subventions à la tête du client. Avec le nouvel article 29 bis, il y a une obligation automatique qu'en cas de PAP (Projet d'aménagement particulier, ndlr), l'on ait au moins 10% des terrains cédés gratuitement et automatiquement à la main publique. On implique ainsi tout le secteur. Il y aura aussi une discussion à avoir sur la densité.

Paperjam: Les communes y sont-elles prêtes?

Henri Kox: "Il y a encore beaucoup d'échanges à faire à ce niveau-là effectivement, car ce sujet de la densité est toujours vu très négativement, alors que la densité en soi n'est pas négative. Pour vivre ensemble, il faut une masse critique, il faut des personnes, des commerces, mais on est toujours bloqués avec cette mobilité individuelle. Il faut changer les mentalités au sujet des parkings, des besoins de stationnement.

Paperjam: Vous avez également rédigé une stratégie nationale du logement abordable...

Henri Kox: "Cette stratégie se décline autour de deux axes: premièrement, une augmentation massive de logements publics, abordables et durables, et deuxièmement pour les particuliers un meilleur encadrement du marché privé avec, plus de transparence, plus d'aides individuelles, et plus de protection. Les nouvelles constructions publiques doivent être distribuées par un système équitable et transparent. Depuis 2004, on discute d'une liste nationale des bénéficiaires, mais il s'agit de cibler mieux voir les profils des demandeurs. Avec le RENLA (Registre national des logements abordables) présent dans la réforme de la loi sur le logement abordable, nous aurons une vision claire.

Paperjam: Le modèle des logements sociaux français peut-il être repris au Luxembourg?

Henri Kox: "Ces tours étaient exactement ce que nous ne voulions pas, nous voulons une mixité sociale. Pour les logements abordables en locatif, la moitié de la société du pays est éligible, et pour la vente emphytéotique et la vente modérée, nous sommes même allés jusqu'au septème décile, soit 70% de la population.

Paperjam: Savez-vous combien de logements abordables compte le pays aujourd'hui?

Henri Kox: "50% des communes ont fini leur PAL (Programme d'action local logement, ndlr), il y a aussi des logements en location d'après le règlement grand-ducal de 1998 subventionnés par le ministère de l'intérieur, je sais que le Fonds du Logement en a 2.300, la SNHBM 300 et certaines asbl en ont aussi. Avec ces instruments, on arrive à savoir que 2 à 2,5% du parc immobilier du pays - qui est à environ 260.000 logements pour 2022 -, est en main étatique (soit 3 à 4.000 logements, ndlr).

Paperjam: Que faire pour la crise du secteur de la construction et la baisse des ventes en Vefa?

Henri Kox: "L'État propose de racheter les Vefa aux promoteurs en crise, mais il y a toujours la question du prix. Nous ne pouvons pas payer selon un modèle à la carte, le cahier des charges doit correspondre au nôtre. Mon objectif est de garantir les emplois.

Paperjam: Que faire avec les taux d'intérêt qui explosent?

Henri Kox: "Dans la réforme de la loi sur les aides individuelles, il y a une subvention d'intérêts ciblée jusqu'au deuxième quintile. On va l'augmenter de 20 à 2io millions d'euros. Nous avons essayé de mieux cibler notre politique du logement, avec des aides individualisées.

Paperjam: Pendant les Assises du Logement, vous avez présenté deux modifications du projet de loi du bail à loyer, mais ce n'était pas forcément ces deux points-là qui étaient critiqués?

Henri Kox: "La Chambre des métiers est d'accord sur la limitation du loyer à 3,5% du capital investi. Aujourd'hui il n'y a pas de plafonnement correct qui fonctionne et c'est la protection des locataires qui est en péril. D'un côté, le secteur immobilier dit vouloir être impliqué dans la construction de logements abordables pour sauvegarder leurs emplois, mais d'un autre côté ils sont contre des plafonnements. Ce que le Liser nous montre, c'est que les loyers existants n'ont augmenté que de 2 à 3% ces dernières années, en dessous de l'inflation. Le problème se situe plutôt sur l'application du primo-loyer. J'ai essayé de trouver un compromis pour garantir qu'il y ait encore un investissement dans la création de logements.

Paperjam: Quelles sont les deux modifications de la réforme du bail à loyer?

Henri Kox: "Les deux amendements que je suis en train de finaliser sont de simplifier la règle des tiers annuels et de renforcer la prise en compte des efforts de rénovation. Il est proposé de remplacer la règle des tiers annuels par une limite biennale de hausse des loyers de 10%. En conséquence, les loyers ne pourront pas être adaptés de plus de 10% à la hausse. Dans la détermination du capital investi, réévalué et décoté qui sert de base au calcul du plafond des loyers, il sera précisé que les dépenses liées aux rénovations et aux améliorations des logements ne seront décotées qu'à partir du moment de leur réalisation effective.

Paperjam: Les investissements du ministère du Logement ont augmenté entre 2017 et 2022, passant de 4-0 à une estimation de 200 millions d'euros, soit une progression de 400%. Avezvous la volonté d'être un État bâtisseur?

Henri Kox: "Non, ces chantiers sont pour les constructeurs privés, je n'ai pas de grue et je suis contre une société nationale de construction. Je veux que la SNHBM et le Fonds du Logement augmentent leur capacité de faire avancer les projets et d'aider les communes. Que chaque commune ait sa petite entreprise de construction ce n'est pas du tout mon idée. Il y a des professionnels de haut niveau dans le pays et il faut les laisser travailler.

Paperjam: Dans une récente conférence, e Marc Giorgetti a affirmé que l'État possède deux millions de mètres carrés constructibles depuis de nombreuses années. Pourquoi l'ensemble de ces terrains ne sont-ils pas développés dans les meilleurs délais avec une densification supérieure à ce qui pourrait actuellement exister?

Henri Kox: "Selon l'Observatoire de l'habitat, 2% des réserves foncières appartiennent à l'État contre 20% qui appartiennent aux promoteurs privés. Il faut bien voir qu'on a vraiment accéléré tous les projets d'envergure, et que nous avons repris de nombreuses friches industrielles pour lesquelles il faut réaliser l'assainissement. Tout ne sera pas réglé par l'État, le blocage vient du remembrement ministériel. Il y a tellement de terrains disponibles au sein des communes, il faut les mobiliser. C'est là qu'il faut agir. L'article 29 bis n'est applicable que pour les nouveaux quartiers, il y a encore d'autres instruments à mettre en place.

Paperjam: Vous y attèlerez-vous lors d'un second mandat en tant que ministre du Logement?

Henri Kox: "Je suis ouvert à toute proposition, si les gens veulent encore de moi. Sincèrement, trois ans et demi de mandat ne suffisent pas pour bien faire les choses. Et quelques mois après mon entrée en fonction il y a eu le Covid, j'ai aussi le ministère de la Sécurité fonction il y a eu le Covid, j'ai aussi le ministère de la Sécuritéintérieure dans mes attributions, sur lequel il y a eu une pression intérieure dans mes attributions, sur lequel il y a eu une pressionénorme avec les manifestations notamment. énorme avec les manifestations notamment.

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