Interview avec Serge Wilmes dans Mobility Life "Les subsides pour les voitures à zéro émission seront maintenus"

Interview: Mobility Life (Alain Rousseau)

Mobility Life: On reproche régulièrement au ministère de l'Environnement de freiner certains travaux d'infrastructure pour des considérations écologiques. À l'opposé, vous vous faites aussi taper sur les doigts lorsque vous autorisez des projets, comme c'est le cas pour le fameux contournement de Bascharage. Concrètement, quels sont les critères qui font pencher la balance décisionnelle d'un côté plutôt que de l'autre?

Serge Wilmes: Ce gouvernement mène une politique pour les citoyennes et les citoyens. Nous avons des lois de protection de la nature et c'est toujours sur la base des critères légaux que les demandes sont traitées. Lorsqu'un projet d'infrastructure est introduit, un contournement, une ligne de tramway ou une piste cyclable, nous regardons quelles sont les incidences sur l'environnement, l'impact sur la faune et la flore. Il y a des critères bien définis. Notre approche est d'accompagner ces demandes. Lorsqu'il n'y a pas d'alternative à passer à travers une forêt, il faut au minimum compenser la perte de cet habitat pour s'assurer qu'une espèce qui pourrait être mise en danger puisse continuer à exister, si possible à proximité de l'endroit initial. Il faut trouver un équilibre entre le respect de la nature et les besoins de l'être humain. C'est dans cet esprit que nous travaillons.

Mobility Life: Il se dit que l'auto est l'enfant chéri des Luxembourgeois. Qu'est-ce que cela vous inspire, d'autant qu'elle est régulièrement pointée du doigt pour être la cause de nombreux maux, environnementaux, notamment?

Serge Wilmes: Pour moi, la voiture reste une prouesse technologique, tout en étant le symbole d'une liberté individuelle. Il m'arrive de rencontrer des gens qui s'excusent d'avoir pris leur auto pour venir me voir, car ils en auraient mauvaise conscience! Certains élus poussent vers cette stigmatisation. Je pense qu'il faut se montrer plus nuancé, même s'il est vrai que la mobilité individuelle donne souvent lieu à une immobilité collective! Pour de nombreux citoyens, la voiture est le moyen de déplacement dont ils ont besoin.

C'est une thématique complexe, en lien avec la manière dont nous organisons notre vie et notre travail. Avant que le secteur tertiaire n'ait pris le dessus sur le primaire et le secondaire, on travaillait souvent là où l'on habitait et notre vie y était plus ou moins concentrée. Le changement de paradigme a engendré un déphasage: le nombre de déplacements a fortement augmenté et la voiture est devenue reine, avec les conséquences que l'on connaît. Même si ce n'est pas simple, ce qu'on devrait faire idéalement serait de regrouper à nouveau les différentes fonctions de notre vie au même endroit, comme dans les villes, par exemple, ou les grandes localités. Cela signifie une re-densification de certains quartiers, même ici à Luxembourg-ville, avec surtout la création de logements abordables afin que les gens puissent habiter à nouveau près de leur lieu de travail. Mais comme cela ne pourra pas se faire du jour au lendemain et qu'il faut des alternatives, nous devons évidemment continuer à améliorer l'offre des transports en commun.

Nous devons aussi poursuivre nos efforts pour décarboner - ce qui est un autre défi. Les voitures, le transport, sont des émetteurs importants de CO2. Il faut développer notre réseau de bornes de recharge et poursuivre l'électrification du parc automobile. C'est aussi un sujet complexe....

Et il faut admettre qu'aujourd'hui encore, beaucoup de nos concitoyens ont besoin de leur voiture pour se déplacer au quotidien. Nous devons en tenir compte et l'accepter.

Mobility Life: Le PNEC (plan national intégré d'énergie et de climat) prévoit que les véhicules électrifiés (full électriques et hybrides rechargeables) représenteront 49% du parc automobile luxembourgeois en 2030. Même si leur nombre a fortement augmenté ces derniers temps, cet objectif est-il réaliste?

Serge Wilmes: Je pense que cet objectif, nous devons le garder. L'an passé, 22,5% des nouvelles immatriculations concernaient des voitures full électriques et 10% des hybrides rechargeables. Donc, la part des véhicules électrifiés augmente.

Mais afin d'atteindre notre objectif et pour qu'il n'y ait plus "l'excuse" de ne pas pouvoir rouler dans un véhicule zéro émission, il faut maintenir les subsides tout en développant l'infrastructure de recharge. Beaucoup de citoyens hésitent encore à franchir le pas de le parce qu'ils ne savent pas où ils iront brancher leur auto - surtout s'ils n'ont pas la possibilité de le faire à domicile. Cela reste un problème majeur, essentiellement dans les résidences.

Mobility Life: Les pays ayant décidé de mettre un terme aux primes pour l'achat d'un véhicule électrique - nos voisins allemands notamment - constatent un net ralentissement des ventes. Cela ne vous inquiète pas, sachant que notre régime d'aide financière est censé arriver à échéance à la fin juin?

Serge Wilmes: Ce gouvernement n'a jamais voulu renoncer au système d'aides à l'achat et je peux d'ores et déjà vous dire qu'il sera prolongé au-delà du mois de juin. Ce que nous voulons, avec les ministères de la Mobilité et de l'Économie, c'est introduire une différentiation sociale pour soutenir davantage celles et ceux qui ont des revenus plus modestes. Nous y travaillons actuellement. Ce qui est clair - et c'est aussi le message fort à faire passer - c'est que nous allons continuer à subsidier l'achat de la voiture électrique. L'exemple de l'Allemagne nous montre clairement ce qui peut arriver lorsqu'on arrête.

Mobility Life: La HOA (House of Automobile) et la Fedamo (Fédération des distributeurs automobiles et de la mobilité) plaident en faveur d'un régime d'aide pour les véhicules zéro émission d'occasion. Qu'en pensez-vous?

Serge Wilmes: C'est une option. Nous avons eu à ce propos des discussions avec les représentants du secteur automobile et nous sommes en train de réfléchir à l'introduction d'une prime à l'achat pour les voitures électriques d'occasion. Le but est de pouvoir les garder plus longtemps sur le marché luxembourgeois. Il faut éviter qu'elles partent directement à l'étranger dès que leur contrat de leasing est arrivé à échéance. Nous avons demandé aux représentants de la HOA de nous fournir des réflexions concrètes sur l'ensemble des subsides destinés aux voitures électriques. Ils connaissent très bien le marché et nous les considérons comme des partenaires.

Mobility Life: Vous évoquiez tout à l'heure les problèmes que pose l'installation de bornes de recharge dans les copropriétés. Que compte faire le gouvernement à ce sujet?

Serge Wilmes: D'abord, il faut rappeler que pour les personnes qui habitent dans une maison unifamiliale, la question ne se pose pas et qu'un subside est accordé à celles et ceux qui veulent installer une borne - subside qui, logiquement, sera lui aussi poursuivi, à l'instar de la prime accordée à l'achat d'une voiture électrique. La copropriété est un problème majeur, aussi bien pour les bornes que pour tout ce qui concerne la rénovation énergétique, l'installation de pompes à chaleur et de panneaux solaires. En 2022 déjà, la loi a été modifiée pour qu'une majorité simple suffise à obtenir un accord, au lieu d'une majorité double. Cela facilite les choses lorsqu'un propriétaire veut installer une borne sur son emplacement privé. Il y a également la possibilité pour les copropriétés de solliciter un subside, ce qui n'était pas possible avant. Il semble toutefois que ces mesures ne sont pas suffisantes pour un déploiement à grande échelle des bornes dans les résidences. Les trois ministères concernés analysent actuellement les points de blocage et réfléchissent aux moyens de les éliminer.

Mobility Life: De manière plus générale, l'interdiction de vendre des voitures thermiques en Europe dès 2035 et de tout miser - ou presque - sur l'électrique continue à faire débat. L'idée d'un report de cette échéance est évoquée et, que cela plaise ou non, cela sera certainement l'un des sujets des prochaines élections européennes. Comment vous positionnez-vous face à cela?

Serge Wilmes: Nous sommes confrontés à un problème d'émissions au niveau global et l'accord de Paris sur le climat a fermement introduit une clause de non-régression. Si nous voulons atteindre la neutralité carbone en 2050 et limiter le réchauffement global à seulement 1,5% par rapport à l'aire préindustrielle, il faut continuer à réduire massivement les émissions de CO2. Cette décision d'interdire les moteurs thermiques, on peut la critiquer, mais elle ale mérite d'être claire en donnant une prévisibilité à tous les constructeurs et aux investisseurs, s'agissant quand même d'investissements sur 15 ou 20 ans. Récemment, la représentante des salariés chez YW a rappelé que des centaines de millions d'euros avaient été investis dans les usines pour la fabrication de modèles électriques. Changer à nouveau de cap mettrait non seulement en péril ces investissements, mais surtout nos chances d'atteindre nos objectifs de réduction de CO2. Si jamais nous ne les atteignons pas, ce qui est toujours possible, il faudra composer avec des conséquences bien plus graves.

Mobility Life: S'ils sont nombreux à aimer la voiture, on sait aussi que les Luxembourgeois et les résidents sont aussi souvent fans de vélo. Que comptez-vous faire pour renforcer le rôle de la bicyclette dans notre chaîne de mobilité?

Serge Wilmes: Le subside gouvernemental pour l'achat d'un vélo -classique ou à assistance électrique - a eu un succès fou, puisque 80.000 demandes ont été introduites au cours de ces cinq dernières années. Mais je ne vois pas 80.000 vélos circuler dans l'espace public! Normalement, on devrait être au niveau des Pays-Bas, du Danemark, mais on ne l'est pas. Ces vélos se retrouvent souvent dans les caves et ne sont pas utilisés au quotidien. Je pense qu'ils servent plutôt pour les loisirs, le weekend. Il y a aussi beaucoup de vélos pour enfants. Le plus important si l'on veut avoir davantage de déplacements à vélo, c'est l'infrastructure.

Or, elle n'existe pas toujours - ou pas encore - ou n'est pas suffisamment sûre à certains endroits. Je suis en train de travailler sur ce sujet avec la ministre de la mobilité, puisque c'est elle qui doit réaliser ces infrastructures. J'ai déjà dit que je veux accompagner activement tous les projets de pistes cyclables qui manquent. Un plan national de pistes cyclables a été voté par le gouvernement précédent.

On le soutient évidemment à 100%, tout comme le plan de mobilité.

Mobility Life: Mais ce n'est pas juste une question d'infrastructure. La ville, normalement, est l'endroit de prédilection pour se déplacer à vélo, ou à pied, les distances étant très courtes. Alors, pourquoi n'y voit-on pas davantage de bicyclettes?

Serge Wilmes: C'est peut-être un manque d'infrastructures comme je viens de l'évoquer, mais ce déficit est en train d'être comblé avec tous les projets qui vont se réaliser dans les années à venir. C'est aussi lié à la question de la densité.

J'habite dans un tout petit quartier, la "Millebach": il n'y a pas assez de densité d'habitants, donc pas assez d'offres de commerces et de services de proximité. Je n'ai même pas un boulanger près de chez moi. Et voilà pourquoi je dois toujours me déplacer dans un autre quartier. Le nombre d'habitants au km2, c'est de la mathématique: si j'ai assez d'habitants, j'ai une demande, j'aurais une offre. Il faudra miser beaucoup là-dessus, surtout dans les nouveaux quartiers. On n'a pas trop d'expérience avec la densité au Luxembourg, parce que souvent, ça fait peur. On pense tout de suite à des tours d'une vingtaine d'étages! La ville la plus densément peuplée en Europe, c'est Paris. Lorsqu'on s'y balade, on n'a pas l'impression d'être étouffé par les immeubles, puisqu'ils ne font que cinq ou six étages et de manière pratiquement uniforme. La densité y est importante mais, du coup, il y a aussi ces commerces et services facilement accessibles à pied ou à vélo. Ici, seul le quartier de la gare correspond à peu près à cette densité, avec 12.000 habitants sur un km2. Mis à part les autres soucis que connaît ce quartier, on peut vraiment y vivre sans voiture. Il y a tout ce dont on a besoin au quotidien. Il faut travailler là-dessus: d'un côté, la question de l'infrastructure, et, de l'autre, l'urbanisme et le développement territorial de notre pays, de nos villages, de nos localités.