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Interview avec Léon Gloden dans Paperjam "Nous avançons très vite!"
Interview : Paperjam (Marc Fassone)
Paperjam: En tant que ministre des Affaires intérieures, vous exercez la tutelle sur les communes. Vous avez dit en début d'année devant les députés que vous voyez votre ministère comme un prestataire de services pour les communes. Qu'est-ce que cela veut dire concrètement?
Léon Gloden: Le ministère des Affaires intérieures exerce sur les communes une mission de contrôle. C'est prévu par la loi. Mais nous sommes également là pour les soutenir.
En tant qu'ancien bourgmestre, je sais l'importance pour les communes d'avoir en face d'elles des gens qui puissent les conseiller. Je dis toujours que nous sommes en première ligne, le partenaire des communes. La commune est le prestataire de services pour ses habitants et nous sommes le prestataire de services des communes. Nous faisons en quelque sorte un travail de back-office.
Lorsque j'ai pris mes fonctions, les communes n'avaient pas à leur disposition une liste téléphonique avec les extensions des agents qui travaillent ici. Une de mes premières décisions a été de mettre cette liste à leur disposition. Ce n'est pas une grande décision politique, mais cela témoigne d'un état d'esprit. Instruction a été donnée aux agents de systématiquement répondre aux questions. Et s'ils n'ont pas de réponse immédiatement, de revenir vers eux le plus rapidement possible.
Cette action de back-office va bien au-delà d'un simple jeu de questions réponses. Par exemple, en matière d'urbanisme, nous sommes en train d'étoffer une plateforme physique — qui existe déjà de manière embryonnaire — où, par exemple, les promoteurs peuvent contacter la division de l'urbanisme pour discuter en amont d'un projet et de la manière dont celui-ci peut s'insérer dans une zone donnée avec ses contraintes propres, notamment environnementales. Il s'agit de guider les gens avant qu'un projet ne soit lancé afin de ne pas perdre de temps.
Un outil important dans nos relations avec les communes est la plateforme e-Mint, une plateforme de communication dépendant du ministère et lancée en juin 2020 qui offre aux autorités communales la possibilité de transmettre électroniquement de manière sécurisée les délibérations soumises à la transmission obligatoire. Cette plateforme sert également aux communes pour poser des questions directement au ministère et en retour nous permet également de communiquer avec les autorités communales concernant le traitement des démarches transmises. Nous allons élargir les cas d'utilisation. Le but ultime est que tout transite par ce réseau. Avec le principe du "once only", la digitalisation est la pierre angulaire de la politique de simplification administrative, sujet qui est vraiment d'importance pour le Premier ministre (Luc Frieden, CSV, ndlr). Bien entendu, la simplification administrative ne peut se résumer à la seule technologie. Il y a tout un travail à faire sur les procédures pour ne garder que ce qui est nécessaire. Et sur ce volet, nous avançons très vite!
Paperjam: Justement, quels sont vos principaux chantiers en matière de politique communale?
Léon Gloden: Le premier chantier a été clôturé ce jeudi 10 octobre avec le vote par les députés du projet de loi 8369 qui permet de prolonger la durée de validité initiale des autorisations de construire qui passeront d'un an à deux ans, renouvelable une fois pour une année supplémentaire. Cette proposition avait été formulée lors de la réunion nationale Logement du 22 février 2024 pour alléger et accélérer les procédures administratives en matière d'urbanisme.
Le chantier du logement est prioritaire pour le gouvernement et, à la suite de cette table ronde, de nombreux engagements ont été pris. Tous ces engagements vont-ils donner lieu à une loi globale ou bien allez-vous procéder pierre par pierre?
Paperjam: Il y aura plusieurs projets de loi qui couvriront toute la problématique.
Léon Gloden: Nous sommes actuellement en train de travailler sur la simplification des procédures dans les plans d'aménagement général (PAG) et les plans d'aménagement particulier (PAP). Nous avons dévoilé les grandes lignes de cette réforme le 19 juin dernier lors de la présentation du plan "Méi, a méi séier bauen" (construire plus vite et plus rapidement). Ce sera un grand projet de loi qui abordera beaucoup de sujets.
D'abord, la question du fameux article 29 bis qui, dans le Pacte logement 2.0, entré en vigueur durant l'été 2021, avait comme objectif de soutenir les communes comme partenaires centrales du gouvernement dans le développement de logements abordables. C'était une bonne idée qui n'a pas atteint les objectifs escomptés.
Nous allons le modifier d'ici à la fin de l'année. Si la réforme est adoptée, les logements sociaux ne seront plus pris en compte dans le calcul de la densité de logement, ce qui permettra à la fois d'en augmenter le nombre et d'augmenter le nombre de logements normaux dans un projet immobilier. Cela permettrait, sur la base des PAG actuels, de construire 8.600 logements supplémentaires à travers le pays dont 4.900 abordables.
Nous allons également, dans ce projet, modifier le régime de la convention d'exécution. À la fin de toute procédure de PAP, la commune négocie avec le promoteur ou avec le constructeur un certain nombre de détails comme la forme des pavés du trottoir ou la qualité des lampadaires. Des négociations qui peuvent s'éterniser. Désormais, il faudra trouver un accord endéans les six mois.
Nous travaillons également sur la question du remembrement ministériel. J'ai repris le projet de loi 7139 — projet de loi déposé le 18 mai 2017 par Dan Kersch —qui a été scindé pour en accélérer l'adoption. L'objectif est de pouvoir proposer à des propriétaires de terrains à construire bloquant un projet un échange plutôt que d'être contraints d'engager une procédure d'expropriation. Un certain nombre d'amendements ont alors été adoptés par les députés le 17 juillet afin de clarifier la procédure. Ce sont des affaires toujours délicates à traiter pour des bourgmestres.
Le fait que la décision soit prise par le ministre pourra débloquer des situations conflictuelles. Ce ne sera plus la faute du bourgmestre, mais celle du ministre... Je peux vivre avec ça!
Paperjam: En matière de construction, il est un principe qui est très attendu - ou craint-, c'est celui du silence vaut accord. Comment comptez-vous procéder pour le faire adopter?
Léon Gloden: L'adoption du principe du silence vaut accord se fera d'une manière progressive.
Dans un premier temps, nous allons introduire ce que j'appelle des limites bagatelles.
Pour certaines constructions, il n'y aura plus besoin de notifier ou d'obtenir une autorisation. Cela concerne les clôtures, les abris de jardins, les terrasses, les pergolas, les aires de jeux, les travaux intérieurs et les installations photovoltaïques en dessous de 50 mètres carrés sur le toit. Ces dispositions vont donner lieu à un dépôt de projet de loi avant la fin de l'année.
Nous allons ensuite introduire le principe du délai d'ordre, et ce, à deux niveaux.
D'abord, lors du dépôt d'un dossier, les administrations auront un temps limité —entre un à deux mois, nous en discutons avec le Syvicol, le syndicat des villes et communes luxembourgeoises — pour demander des documents supplémentaires à la suite du dépôt d'une demande.
Si elle ne le fait pas, le dossier est alors censé être complet et la procédure pour obtenir l'autorisation peut se déclencher.
Ensuite, si le demandeur ne reçoit pas son autorisation dans le délai légal, cela pourra être considéré comme un refus et alors susceptible de recours devant les juridictions compétentes. La dernière phase — la vraie nouveauté qui nécessite un travail important entre les ministères- sera l'introduction du principe de silence vaut accord stricto sensu. Mon objectif est que tous ces projets de loi soient déposés d'ici la fin de l'année pour une entrée en vigueur en 2026.
Toutes ces mesures constituent un véritable changement de paradigme.
Paperjam: Ne craignez-vous pas en retour des oppositions de la part des communes et des administrations? Est-ce que vous vous y préparez?
Léon Gloden: Nous sommes conscients des possibles résistances. Et nous nous y préparons. Le Syvicol a été convié à la table ronde sur le logement et y a activement participé.
Mais effectivement, c'est bien de faire voter une loi, mais il faut ensuite la faire appliquer sur le terrain. Et les agents municipaux seront en première ligne. Je compte énormément sur les bourgmestres.
Ils doivent comprendre que nous agissons dans l'intérêt du pays et de la population: il nous faut plus de logements.
Paperjam: Mais les bourgmestres ont-ils les mêmes intérêts que le ministre sur ces dossiers-là? Longtemps, les dossiers de construction ont rimé avec enjeux politiques et intérêts locaux...
Léon Gloden: Je pense que c'est une tout autre problématique. Moi, je n'ai jamais entendu un bourgmestre dire qu'il ne voulait pas que sa commune voit sa population augmenter. Bien sûr, les considérations politiques, stratégiques, économiques sont différentes pour une commune rurale et pour une commune insérée dans un tissu urbain. Mais chaque bourgmestre veut que sa commune soit vivante. Et pour qu'une commune soit vivante, il faut qu'elle ait de la population. Le problème est moins d'augmenter sa population que de savoir si les infrastructures vont suivre.
C'est sur ce point que nous voulons agir en proposant une réforme du mode des subventions communales.
Nous travaillons sur la réforme de l'impôt foncier et sur l'introduction d'une taxe sur la mobilisation des terrains. Un projet qui sera également déposé à la Chambre des députés pour la fin de cette année.
C'est dans cet état d'esprit que j'ai réformé le mécanisme de détermination des contributions communales au Fonds pour l'emploi. Un mécanisme qui a conduit à des inégalités entre les communes: en 2023, seulement 27 communes étaient mises à contribution et pour la moitié d'entre elles, elles recevaient moins que ce quelles donnaient. Le projet de loi 8409destiné à rectifier le tir a été déposé le 3juillet dernier. Il va introduire une méthode de calcul directe et proportionnelle des contributions individuelles des communes. La ville de Luxembourg qui ne payait plus rien depuis la réforme de 2017contribuera désormais à hauteur de 11 millions d'euros. C'est toujours dans cet état d'esprit que j'ai décidé de liquider le fonds communal de péréquation conjoncturel. Il s'agit d'un mécanisme mis en place à l'époque de la crise sidérurgique, mais qui n'était plus alimenté ni par l'État ni par les communes depuis des années. Le projet de loi 8408 a également été déposé à la Chambre des députés le 3 juillet dernier. Il permettra aux communes de récupérer et de se partager 52,191 millions d'euros présents dans les caisses.
Enfin, plus globalement, il faut se pencher sur le système des subsides. Un système qui n'a pas changé depuis des décennies. Avec le Syvicol, nous sommes en train de travailler sur les évolutions possibles.
C'est un chantier important et de longue haleine. Mais déjà, dans le nouveau budget, nous aurons plus de moyens pour accorder plus de subsides aux communes.