Interview avec Max Hahn dans Le Quotidien "La pauvreté ne va pas disparaître d'un coup"

Interview: Le Quotidien (Sophie Wiessler)

Le Quotidien: Beaucoup d'aides ont été augmentées en ce début d'année 2025: allocation de vie chère, prime énergie, Revis. Une mise à niveau plus que nécessaire selon vous?

Max Hahn: Oui, il y avait une grande nécessité, c'est certain.

Il y a deux volets ici à prendre en compte: d'un côté, le fait d'avoir accès aux aides sociales et, de l'autre, essayer qu' elles soient utilisées. C'est quelque chose qui me tient particulièrement à coeur. Il ne suffit pas d'instaurer des mesures sociales et les adapter de temps en temps, il faut aussi veiller à ce qu'elles soient employées.

Et c'est l'un des plus grands problèmes du pays actuellement: le non-recours aux prestations sociales. C'est pour cela que nous avons mis en place des automatismes cette année. J'ai vu que sur les 10.500 ménages qui peuvent bénéficier du Revis, près de 30% n'en ont pas fait la demande l'an passé. Donc, je me suis demandé comment faire pour changer ça.

En mettant en place des automatismes. C'est un peu comme ça qu'il faut essayer de rendre les aides sociales le plus efficace possible.

Le Quotidien: La simplification administrative est le grand combat de votre mandat. Le Luxembourg est-il à la traîne sur ce sujet?

Max Hahn: Je ne sais pas si nous sommes en retard, mais l'une de mes préoccupations est de veiller à ce que les bénéficiaires n'aient pas à fournir deux fois les mêmes documents. J'ai aussi fait en sorte qu'ils reçoivent directement des formulaires préremplis et j'ai contacté des communes pour leur fournir une liste des résidents à qui elles doivent verser cet argent. Beaucoup de villes ont d'ailleurs 30, 40 ou 50% de bénéficiaires de l'allocation de vie chère nationale, mais nous voyons que seulement 20 personnes en ont fait la demande par exemple. Cela doit changer. L'un des projets phares du plan de lutte contre la pauvreté, c'est justement informer, sensibiliser et orienter les gens. C'est pour cela que nous voulons créer un guichet social, quelque chose de vraiment nouveau dans le pays, qui sera instauré ou prêt d'ici à la fin de cette année 2025. Il fonctionnera avec quatre piliers: un guichet physique, une helpline, une plateforme en ligne et des équipes mobiles.

Le Quotidien: Ce genre d'initiative manquait jusqu'ici?

Max Hahn: À mon avis, oui, cela manquait. Les chiffres parlent d'eux-mêmes.

Il ne faut pas être un expert pour savoir que le logement est un gros problème au Luxembourg. C'est un peu l'éléphant dans la pièce, comme disent les Anglais. Lorsque nous parlons de pauvreté, nous revenons toujours très vite au coût très élevé du logement dans le pays.

Et pourtant, des aides existent, que nous avons augmentées à plusieurs reprises. Mais nous savons aussi que, dans ce domaine, nous avons un taux de non-recours de l'ordre de 70, 75%. C'est énorme. C'est dire à quel point il est important d'automatiser et de simplifier les démarches.

Le Quotidien: L'an passé, plus de 2.352 personnes ont eu recours à la Wanteraktioun (WAK). Comment expliquez-vous cette situation?

Max Hahn: Nous avons fait le constat, avec les différentes associations sur le terrain, qu'il y avait énormément de gens que nous ne connaissions pas auparavant qui ont eu recours à la WAK. L'année passée, nous avons dû ainsi augmenter la capacité à 300 lits (NDLR: au lieu de 250), avec toutes les conséquences négatives que cela peut avoir: il n'y avait plus de salles où se réunir et faire des activités ou se reposer durant l'après-midi. Nous avons dû créer des dortoirs et avoir recours à l'armée luxembourgeoise avec des tentes chauffées pour encore augmenter nos capacités.

J'ai rencontré des gens qui m'ont dit qu'ils venaient d'Espagne, qu'ils vivaient dans un hôtel là-bas et venaient au Luxembourg pendant les mois où l'hôtel ferme pour passer l'hiver ici. C'est l'un des multiples exemples qui prouvent qu'avec un service comme la WAK, unique dans toute la région, nous attirons bien évidemment d'autres gens. Mais nous dépassons alors nos capacités d'accueil. L'objectif de la WAK est d'éviter que des sans abri du Luxembourg ne meurent de froid dans la rue. C'est sa vocation principale et nous risquions de ne plus pouvoir atteindre cet objectif.

Le Quotidien: C'est pour cela que vous avez instauré des conditions d'accès plus strictes cette année?

Max Hahn: Oui, mais je tiens à préciser une chose très importante, parce que je pense que certains ne l'ont pas très bien compris: quand il y a un risque de température négative, nous restons ouverts pour tous, de manière inconditionnelle. Peu importe d'où vous venez, si vous avez des droits sociaux ou non. Le quota des trois nuits, c'est aussi pour les aider à trouver une autre solution, plus adaptée.

Cette année, nous avons besoin de 400 lits. Nous ne les avons pas. J'ai fait, en juin, juillet, un grand appel à toutes les communes, en leur disant que nous avions besoin de lits pour l'hiver. Les résultats n'ont pas été très nombreux.

Le Quotidien: L'association Solidaritéit mat den Heescherten propose d'imposer des quotas de logements sociaux et d'urgence dans les communes du pays. Est-ce une bonne idée, selon vous?

Max Hahn: Nous avons, bien évidemment, besoin des partenaires sociaux, des communes et des propriétaires pour réaliser de nouvelles constructions ou trouver des appartements sur le marché, afin de répondre au sans-abrisme. Mais il faut aussi que les communes instaurent des structures d'hébergement provisoires, et ce, dans tout le pays. Des petites structures, un peu partout. Pour les sans-abri, mais aussi pour les réfugiés.

Le Quotidien: Mais a-t-on suffisamment de place aujourd'hui au Luxembourg pour créer d'autres logements dédiés aux personnes dans le besoin?

Max Hahn: Le grand problème du pays, c'est que nous n'avons pas assez de logements abordables. Les gens paient un loyer très élevé, peut-être même qu'ils ne savent pas qu'ils ont droit à des aides, et c'est ça qui les met en situation de précarité. Et de l'autre côté, le parc immobilier du Luxembourg n'est pas au point où il devrait être. Cela a peut-être été une priorité politique un peu tardive.

Le Quotidien: La directrice de la Stëmm vun der Strooss, Alexandra Oxacelay, nous disait il y a quelques semaines qu'il n'y avait pas grand-chose pour les sans-abri les soirs et les week-ends notamment. Vous partagez ce constat?

Max Hahn: Déjà, il faut toujours voir pour qui nous offrons ces services. Est-ce que nous offrons quelque chose pour les gens qui ont des droits sociaux, oui ou non? Déjà là, il y a une très grande différence. J'ai l'impression que, pendant l'hiver, avec la Wanteraktioun, nous augmentons encore une fois les capacités, même si nous ne regardons pas les droits sociaux. De l'autre côté, nous avons des structures plus durables qui permettent aux gens qui ont des droits sociaux d'être hébergés. Mais dans ce domaine-là, nous ne pouvons jamais faire assez.

Le Quotidien: Deux lettres anonymes de travailleurs sociaux ont été publiées ces derniers mois, dénonçant des conditions de travail compliquées, un manque de places dans les structures. En outre, ils réfutent le nombre de sans-abri recensés (NDLR: qui est selon eux d'environ 500). Est-ce que vous avez lu ces lettres et qu'avez-vous à leur répondre?

Max Hahn: Ces lettres anonymes ont été adressées à la presse. Je ne crois pas qu'elles m'étaient spécifiquement dédiées. Je les ai lues, oui.

Mais nous ne pouvons pas dire "les travailleurs sociaux ont écrit ces lettres": comment être sûr que ce soit le cas? Sont-ils dix, vingt? Je ne sais pas. J'ai beaucoup de contacts avec des travailleurs sociaux, je fais des tours avec eux, je les rencontre jour après jour et je sais qu'il n'y a pas qu'une seule opinion. Mais je prends très au sérieux ce qui est dit et je suis d'accord: il n'y a jamais suffisamment de choses faites pour offrir de bonnes conditions de vie à ces gens. Nous éprouvons de grandes difficultés à atteindre nos objectifs, mais nous ne pouvons pas trouver de solutions pour tout le monde. Il faut se concentrer sur les gens qui ont des droits sociaux au Luxembourg.

Concernant les chiffres, cela fait maintenant trois ans que nous procédons à des recensements dans la rue, deux fois par an. J'y ai participé à chaque fois. Nous avons vu qu'il n'y a pas d'augmentation sensible. Nous avons un chiffre d'environ 200 personnes qui vivent dans la rue. Mais oui, c'est vrai, nous ne les voyons pas tous: certains trouvent refuge dans leur famille, chez des copains, même si c'est seulement pour une nuit par exemple. Il est presque impossible de définir un chiffre exact.

Le Quotidien: L'an dernier à la même période, vous évoquiez une "situation alarmante" pour l'accueil des réfugiés. Qu'en est-il aujourd'hui?

Max Hahn: La situation n' a pas changé. Nous avons eu, heureusement, un peu moins de réfugiés qu'en 2023: -20 %, selon nos derniers chiffres.

Mais nous sommes toujours dans un système où nous n'avons pas de lits, où la liste d'attente pour les hommes seuls non vulnérables instaurée par M. Asselborn est toujours en vigueur. Bien sûr, si nous nous comparons aux autres pays, comme la Belgique, les Pays Bas ou la France, nous constatons que le Luxembourg a toujours été très solidaire. Nous avons actuellement 8.300 lits, mais beaucoup de structures ont une date limite, et risquent de fermer, ce qui rend la situation encore plus dramatique.

Il faut voir comment créer des structures modulaires de 30 lits, réparties dans tout le Grand-Duché, pour faciliter l'intégration des réfugiés, leur permettre de vivre dans des petites structures où ils pourront cuisiner eux-mêmes, nettoyer et ainsi beaucoup mieux s'intégrer dans la vie du village, de la commune où ils résident.

Le Quotidien: Un futur plan national contre la pauvreté doit être présenté. Savez-vous déjà quelles vont être les principales pistes et dans quel horizon il sera mis en oeuvre?

Max Hahn: Il est important de rappeler qu'il n'y a jamais eu de plan d'action national de lutte contre la pauvreté. C'est le premier. Et c'était le choix de ce gouvernement d'en faire un et de le mettre aussi dans l'accord de coalition. Le but est de pouvoir le présenter à la fin de cette année 2025.

De manière globale, ce type de plan d'action national vise à coordonner plusieurs ministères dans les mêmes domaines. Quand nous parlons de pauvreté, nous parlons aussi d'éducation, de travail, de santé, de finances, de logement, etc. En fait, cela concerne tous les ministères. Et ce plan d'action va donc coordonner tout ce monde.

Je ne dis pas que les précédents gouvernements n'ont rien fait pour lutter contre la pauvreté, mais les ministères l'ont fait un peu chacun dans son coin. Moi, je vois le plan d'action national comme une pièce du puzzle. La pauvreté ne va pas disparaître d'un coup grâce à cela, mais c'est un élément qui per mettra une meilleure coordination.

Le Quotidien: Concernant les travailleurs handicapés, nous avons vu que les derniers chiffres soulignent un manque de respect des quotas, que ce soit dans la fonction publique ou dans le secteur privé. Comment changer cela avec 15% de la population luxembourgeoise qui est directement concernée?

Max Hahn: Il y a eu un grand changement de mentalité, il faut le dire. Quand nous regardons ce qui se faisait il y a 20 ou 30 ans. Aujourd'hui, nous voulons qu'ils fassent partie de notre communauté. Ils doivent travailler comme tous les autres.

Nous ne devons pas les cacher dans des structures, ils doivent être visibles. Nous allons d'ailleurs encore faire une campagne avec un grand partenaire allemand pour justement sensibiliser les gens et leur montrer que cela peut fonctionner. Nous voulons aussi toucher les patrons, leur expliquer comment embaucher, quels outils ils peuvent utiliser. Il faut ôter la peur.

Il va aussi falloir se pencher sur le futur: si la population luxembourgeoise vieillit, c'est aussi le cas pour les personnes handicapées. Je rencontre beaucoup de parents qui, très tôt déjà, ont peur de ce qu'il adviendra de leurs enfants lorsqu'ils ne seront plus là. J'essaie donc d'encourager les communes à créer des structures semi-autonomes, où ces personnes seront encadrées par des prestataires financés par le ministère de la Famille, pour justement regrouper quatre, six, huit personnes ensemble et les laisser vivre de façon semi-autonome.

Le Quotidien: Quelles sont vos priorités pour cette année 2025 au sein du ministère de la Famille et des Solidarités?

Max Hahn: D'augmenter la qualité de vie des personnes désavantagées. Nous avons beaucoup de pièces que nous allons assembler l'une après l'autre: les réfugiés, les travailleurs handicapés, les enfants, les retraités, les frontaliers. Il y a énormément de chantiers. Et si nous, en tant que ministère des Solidarités, nous ne nous occupons pas de ces gens et de ces dossiers-là, personne ne va le faire.

Heureusement, nous ne sommes pas seuls. Il y a beaucoup d'acteurs, des associations, des partenaires qui nous aident dans ces différents domaines pour augmenter la qualité de vie des plus vulnérables.

Membre du gouvernement

HAHN Max

Date de l'événement

27.01.2025