Interview avec Léon Gloden dans Virgule Léon Gloden: "Une table ronde sur le problème de drogue dans le quartier de la Gare est prévue"

Interview: Virgule (Thomas Berthol)

Virgule: La démission la semaine dernière de la fonctionnaire Marianne Donven a fait grand bruit. Elle a pointé la politique gouvernementale, qu'elle juge cruelle envers les réfugiés. Que répondez-vous à ses reproches?

Léon Gloden: Nous avons toujours dit que nous mènerions une politique d'asile responsable, c'est-à-dire accueillir des réfugiés qui fuient leurs pays pour un des motifs reconnus par les traités internationaux et européens. C'est une question d'humanité. Mais, d'un autre côté, il faut aussi faire en sorte que l'afflux des demandeurs d'asile ne dépasse pas les capacités d'accueil de la société et de nos structures. C'est la raison pour laquelle il faut mener une politique d'asile responsable.

Les personnes qui remplissent les conditions et veulent s'intégrer sont les bienvenues. Dans le cas contraire, elles doivent retourner dans leur pays d'origine. Il est important que les partis au centre de la société, comme le CSV (son parti, ndlr), trouvent des solutions. Sinon on aura, comme dans nos pays voisins, l'essor d'une AfD ou d'un autre parti radical. Nous ne devons pas sous-estimer ce phénomène.

Cela ne veut pas dire que nous n'accordons pas de statuts aux demandeurs d'asile, bien au contraire. Un taux élevé d'acceptation de ces demandes est accordé. Mais ces personnes doivent aussi pouvoir trouver un logement, une structure et un travail. Sinon, on leur fait de fausses promesses, alors qu'ils viennent ici pour construire un meilleur avenir.

Virgule: Les structures présentes aujourd'hui sont-elles trop petites par rapport à la situation actuelle?

Léon Gloden: C'est une question pour le ministre Max Hahn (DP), en charge des hébergements. De mon côté, je suis en charge des procédures d'immigration et d'asile. Nous avons créé cette maison de retour volontaire, un concept longtemps discuté par Monsieur Asselborn (l'ex-ministre LSAP des Affaires étrangères, ndlr), mais qui n'avait jamais vu le jour.

Nous l'avons mis en place.

Nous travaillons également sur un package que les personnes concernées peuvent demander afin de les guider quand ils retournent dans leur pays ou dans un autre État tiers sûr. Il nous importe de leur donner une perspective.

Il faut les encadrer avec un support financier, mais aussi psychologique. Ce package, qui est en cours de finalisation, sera présenté dans le courant de cette année.

Virgule: Combien de personnes sont accueillies par cette maison de retour volontaire?

Léon Gloden: Cette structure peut accueillir 170 personnes. Pour le moment, ce chiffre oscille entre 50 à 70 personnes. Elles sont assignées à résidence et peuvent circuler librement pendant la journée. Mais le soir, elles doivent rester au sein de la structure pour la préparation de leur retour volontaire.

Les déboutés du droit d'asile ne souhaitant pas rentrer sont mis dans un centre de rétention. C'est un point important, car il faut augmenter les retours. Quand ils sont déboutés, ils savent qu'ils doivent rentrer dans leur pays d'origine.

Virgule: C'est le cas de cette mère de famille mise à la rue par l'office national de l'accueil (ONA) avec ses deux enfants dont il a été récemment question?

Léon Gloden: Ce point doit être discuté avec M. Hahn. Mais ces personnes ont su très vite qu'elles avaient été déboutées. Elles ont reçu un refus et il y a eu ensuite des procédures devant les tribunaux juridictionnels. Il n'est donc pas correct de dire que ces personnes ont dû trouver autre chose en quelques jours.

Cette famille savait depuis des années qu'elle devait partir. Si on n'arrive pas à libérer les infrastructures de l'ONA, nous punissons les personnes arrivées au Luxembourg qui ont une réelle chance d'obtenir un statut de réfugié. Il faut vraiment trouver un équilibre.

Virgule: "En cas de reconduction des contrôles allemands aux frontières, nous interviendrons auprès de la Commission." Un autre sujet qui fait beaucoup parler ces derniers mois, ce sont les contrôles aux frontières avec l'Allemagne. Où en sont les discussions actuellement dans ce dossier?

Léon Gloden: Nous désapprouvons ces contrôles et continuons à dialoguer avec les autorités. J'ai eu des entretiens réguliers avec Madame Faeser (ministre allemande de l'intérieur, ndlr). Les collègues de la Sarre et de la Rhénanie sont d'accord avec moi. Ces contrôles vont à l'encontre de l'idée de l'espace Schengen, d'un espace sans frontières intérieures.

Je trouve cela aberrant. Je reçois aussi beaucoup de messages de frontaliers qui en ont marre des embouteillages provoqués par ces contrôles. Ils mettent entre une et deux heures de plus pour venir travailler au Luxembourg.

Près de 55.000 frontaliers viennent travailler au Grand-Duché depuis l'Allemagne.

Virgule: Vous comptez agir auprès de la Commission européenne sur ce sujet?

Léon Gloden: En cas de reconduction de ces contrôles en avril, nous interviendrons auprès de la Commission. Juridiquement, il est question d'une notification pour matérialiser notre désaccord. La Commission, en tant que gardienne des traités, devra alors vérifier si les mesures prises ont obtenu les résultats espérés, par rapport aux objectifs visés.

Elle devra aussi voir si ces contrôles sont toujours tenables. Luc Frieden a abordé ce sujet avec Ursula von der Leyen lors de sa visite au Luxembourg ce lundi.

Les autorités allemandes argumentent que la criminalité est liée à l'immigration illégale. Mais celle-ci n'est pas un motif dans l'accord de Schengen pour instaurer ces contrôles. La réponse doit être la sécurisation des frontières extérieures de I'UE en déployant plus de moyens pour Frontex (l'agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, ndlr). À mon avis, il faudra aussi restreindre la politique de visa...

Virgule: "La police ne peut pas tout faire, la justice doit aussi jouer son rôle." Revenons au Luxembourg. La bourgmestre de la capitale, Lydie Polfer (DP), a récemment demandé la mise en place d'un groupe de travail avec différents ministères, comme l'intérieur ou encore la Justice. Quelles actions comptez vous mener pour régler le problème d'insécurité et de drogue dans le quartier Gare?

Léon Gloden: La sécurité est un des objectifs principaux de ce gouvernement. Depuis mon entrée en fonction, on a mené déjà toute une série d'actions. De nombreuses catégories d'infractions importantes liées au sentiment de sécurité ont baissé.

Dès mon entrée en fonction, j'ai lancé le concept des 4P: plus de personnel, plus de présence, plus de proximité, plus de prévention. Nous avons renforcé la police judiciaire et travaillons sur l'amélioration de l'équipement des policiers. Mais je comprends, tout à fait, les préoccupations des habitants du quartier Gare.

Voir des personnes se "shooter" en pleine journée ne permet pas de renforcer le sentiment de sécurité. Nous prévoyons de mettre en place un "Drogendésch" (table ronde sur la drogue, ndlr) avec les ministres de la Justice, de la Santé, de la Famille, ainsi qu'avec la bourgmestre pour discuter des différentes mesures à prendre.

Virgule: Quelles mesures doivent être prises dans ce dossier?

Léon Gloden: La police ne peut pas tout faire, j'insiste. Elle peut, bien sûr, jouer un rôle préventif avec l'instauration de l'unité de la police locale et avec une présence accrue. Le commissariat de la Gare sera ouvert à partir de mai-juin 24h sur 24h et sept jours et sept.

Mais la police ne peut pas intervenir dans le domaine de la santé pour éviter que des personnes basculent dans la drogue. Des ambulances sociales peuvent aussi être mises en place pour qu'elles puissent se shooter dans un lieu propre. La justice a aussi son rôle à jouer. Je remarque également auprès des forces de l'ordre une certaine frustration lorsqu'elles arrêtent un individu et le retrouvent le lendemain sur le trottoir.

Virgule: Faut-il plus de magistrats, plus de sanctions?

Léon Gloden: La ministre de la Justice a lancé un vaste programme pour recruter davantage de magistrats. Je suis aussi très optimiste sur le fait que le nouveau procureur général, John Petry, nous aidera à lutter efficacement contre ce trafic de drogue.

Une entrevue est aussi prévue le 10 février avec des représentants du quartier Gare pour discuter des mesures à mettre en place. Il m'importe, également, de mettre en place une "community police". Ce concept présent en Autriche permet d'établir des rencontres régulières entre la police et les habitants d'un quartier. L'objectif est d'avoir des échanges faciles pour discuter des différents problèmes.

Nous devons aussi tenir compte de la criminalité transfrontalière. J'ai pour cela signé des traités bilatéraux avec la France pour des patrouilles mixtes dans les trains et sur les autoroutes. Nous travaillons sur un projet de loi, que nous déposerons cette année, qui permettra aux caméras de surveillance de reconnaître automatiquement des plaques d'immatriculation de voitures sur les autoroutes. Nous sommes le seul pays dans la région à ne pas avoir encore ce dispositif. C'est une forme de trou noir dans notre système informatique.

Virgule: L'objectif est d'aussi avoir plus de caméras dans les communes?

Léon Gloden: Aujourd'hui, la procédure Visupol est très compliquée et la durée d'utilisation est seulement limitée à trois ans.

Nous la simplifierons et augmenterons la durée de validité à cinq ans. Une demande ne sera pas requise pour des pôles d'échanges. Comme, par exemple, celui de Howald.

Virgule: Dans une interview, vous affirmiez que de "grosses limousines allemandes avec des plaques d'immatriculation belges" laissaient sortir des gens à Luxembourg-ville pour mendier. Vous avez assuré avoir des preuves. Quelles sont ces preuves et pourquoi ne pas les montrer en commission ou de manière publique?

Léon Gloden: C'est du passé. Je ne souhaite plus revenir dessus. Il faut dire que le problème de la mendicité agressive a été réglé.

En matière de coopération, nous sommes en train d'organiser une visite avec M. Retailleau (ministre français de l'Intérieur, ndlr) dans le domaine de la drogue. Tous les jours, des personnes viennent de Metz et Thionville pour en vendre. Nous devons trouver une solution avec les autorités françaises pour arrêter ce tourisme de trafiquant de drogues. La police est en train de travailler sur ce dossier de longue haleine.

Virgule: Concernant les mesures d'éloignement à l'encontre des personnes troublant l'ordre public ("Platzverweis"), est-ce vraiment applicable en pratique? Ce projet de loi est très critiqué. Comment peut-on définir le trouble à l'ordre public?

Léon Gloden: Chacun a le droit de critiquer. Je salue en l'occurrence l'avis du président de la Cour de justice. Il explique très bien que c'est une mesure de police administrative. Donc, non soumise au droit pénal. Et que la notion de trouble à l'ordre public comporte une marge d'interprétation. Les policiers sont entraînés pour prendre la bonne décision. Le président de la Cour de justice suggère que les personnes interpellées soient mises en détention administrative.

Une mesure prévue dans la loi sur la police de 2018.

Une personne jouant simplement de la musique ne sera pas déplacée. Aujourd'hui, nous avons des situations inacceptables sur la place Hamilius. Mais aussi la place du Théâtre avec des valises dispersées, des personnes qui hurlent, boivent... L'État est là pour assurer la sécurité et l'ordre dans l'espace public. C'est un des devoirs fondamentaux de l'État.

On ne peut pas y faire ce qu'on veut dans l'espace public, sinon ce sera l'anarchie. Je resterai strict là-dessus!

Virgule: Interdire à des personnes de ne pas pouvoir se rendre dans un certain secteur, ce n'est pas entraver la liberté de circuler?

Léon Gloden: Pas du tout. C'est applicable au niveau de la loi, car c'est une interdiction temporaire et la personne peut se déplacer dans les autres secteurs.

Virgule: Ce n'est pas une manière alors de repousser le problème plus loin?

Léon Gloden: C'est inhérent à toutes mesures prises pour lutter contre ces phénomènes. Mais on ne peut pas dire que parce qu'on déloge le problème que rien n'est fait. Il faut trouver une solution pour remédier au problème. Mais, encore une fois, la police n'est qu'un élément de la stratégie. Ceux qui le souhaitent peuvent être logés dans une structure d'hébergement temporaire.