Yuriko Backes:"Je comprends la frustration de ceux qui trouvent que les trajets prennent trop de temps"

Interview de Yuriko Backes avec virgule.lu

Interview: virgule.lu (Christophe Lemaire, Julien Carette)

virgule.lu: Une possible liaison aérienne directe entre Luxembourg et New York a fait beaucoup réagir ces derniers jours. Est-ce juste une idée ou quelque chose de plus concret?

Yuriko Backes: Comme cela a été dit, j’ai eu un entretien avec la nouvelle ambassadrice américaine en poste, Stacey Feinberg. Cette dernière arrive chez nous animée d’une nouvelle énergie, d’un nouvel élan. Et je ne peux que louer son enthousiasme à vouloir développer les relations entre le Luxembourg et les États-Unis. Cette ligne est un des points qu’elle a soulevés et dont nous avons parlé. Mais ce n’est pas une décision qui relève de ma compétence. Ce n’est pas à moi de dire que nous allons organiser des vols directs vers l’Amérique du Nord. C’est aux compagnies aériennes de prendre de telles décisions...

virgule.lu: Y a-t-il une ou des compagnies qui ont marqué leur intérêt pour l’ouverture d’une telle ligne?

Yuriko Backes: Pas à ma connaissance, non. Après, Lux-Airport est toujours en contact avec des compagnies aériennes qui seraient intéressées de desservir Luxembourg. Et, sur un plan personnel, je serais tout à fait favorable à la mise en place d’une telle ligne directe vers l’Amérique du Nord.

virgule.lu: Madame Feinberg a-t-elle des relations qui pourraient favoriser les choses?

Yuriko Backes: On verra.

virgule.lu: Pour vous, est-ce négatif pour l’image du pays de ne pas être connecté au continent américain?

Yuriko Backes: Je pense que nous le sommes déjà via d’autres aéroports. Donc, à mon sens, ce n’est pas un problème. Cependant, une ligne directe serait évidemment intéressante en vue de l’accroissement des relations bilatérales et économiques entre nos deux pays.

virgule.lu: L’été dernier, vous aviez expliqué que, sur le long terme, le Luxembourg aurait besoin d’un nouvel aéroport. Vous aviez évoqué l’horizon 2050...

Yuriko Backes: Cela peut aussi être bien au-delà de cette date. Soyons clair: le mandat qui m’a été confié n’est pas de concevoir un nouvel aéroport, mais bien d’élargir et de moderniser l’actuel afin qu’il reste d’une efficacité redoutable dans 20, 30 ou 40 ans. C’est pourquoi Lux-Airport et le gouvernement investissent massivement, à hauteur d’un milliard d’euros d’ici à 2032. Cela dit, il est aussi de ma responsabilité de rappeler qu’en une décennie, le nombre de passagers au Findel a doublé, franchissant désormais la barre des 5 millions de voyageurs. Et d’ici à 2050, ce chiffre devrait encore être multiplié par deux! Je me dois donc également d’alerter l’opinion sur le fait qu’avec une telle croissance, le risque existe qu’un jour nos installations atteignent leurs limites. Et que cet aéroport soit alors trop petit. Mais, comme je le disais, tout cela est encore loin dans le temps.

virgule.lu: On voit à l’étranger des aéroports ne possédant qu’une seule piste, comme le Findel, accueillir des dizaines de millions de personnes à l’année. C’est donc avant tout le terminal qui doit s’agrandir. Quelle taille pourrait-il atteindre?

Yuriko Backes: N’oubliez pas qu’au Findel, il n’y a pas que l’aviation commerciale. On développe aussi le fret aérien et l’aviation sportive. On ne peut donc pas toujours comparer les aéroports...Pour l’agrandissement du site du Findel, on va y aller étape par étape. Aujourd’hui, le Skypark Business Center, qui borde le terminal, est en train de s’achever. On pourra y accueillir certains bureaux actuellement présents dans l’espace de l’aéroport, ce qui permettra un gain de place. Le business lounge va être déplacé et agrandi. Et puis, il y a également toute la partie sur la gauche de l’aéroport qui connaîtra des extensions successives. Le terminal va s’étendre, une nouvelle tour de contrôle (hybride, alliant le physique et le virtuel, NDLR) va voir le jour et, puis, il y a aussi le projet ''fuel farm'', qui va permettre d’augmenter notre capacité de stockage de carburants. Bref, les investissements et les travaux sont déjà en cours. Des études doivent aussi être menées pour ce qui suivra. Mais ça avance.

virgule.lu: On a vu dernièrement l’accident d’un avion de tourisme qui, heureusement, n’a pas fait de victime, mais a obligé la fermeture de la piste. Est-ce que l’aviation sportive ne devrait pas quitter le Findel?

Yuriko Backes: J’ai proposé au gouvernement d’étudier cette option et vous avez peut-être vu qu’une motion a été récemment votée à la Chambre en ce sens aussi. On va donc voir ce qu’il est possible de faire...

virgule.lu: On sait que la mobilité représente des centaines de millions, voire des milliards, chaque année. N’est-ce pas trop compliqué de trouver ces financements au vu des contraintes budgétaires actuelles?

Yuriko Backes: La mobilité reste une priorité absolue! Certes, si la croissance économique est plus lente actuellement, elle est toujours bien présente, comme celle liée à la démographie. Et il faut accompagner cette dernière avec des investissements en continu dans les infrastructures. Des investissements élevés! Que ce soient les rues, le tram, les bâtiments publics, etc. C’est inscrit noir sur blanc dans l’accord de coalition de ce gouvernement. Qui plus est que cet argent est réinjecté dans notre économie. Ne pas investir dans les infrastructures d’avenir serait une grosse erreur pour notre pays. Une erreur que nous ne commettrons pas.

virgule.lu: Le Luxembourg n’apparaît pas dans le plan d’action de la Commission européenne concernant les trains à grande vitesse. N’est-ce pas une déception?

Yuriko Backes: J’ai expliqué voici quelques jours à Apostolos Tzitzikostas, le commissaire européen aux Transports durables et au Tourisme, que, si la taille de notre pays ne permet pas de construire de nouvelles lignes à grande vitesse internes, nous avons cinq TGV quotidiens à destination de Paris. Et que cela devait figurer sur les cartes. Depuis notre entretien, c’est le cas.

virgule.lu: Le tronçon entre Paris et Metz est à grande vitesse, par contre la partie entre Metz et Luxembourg est plus lente. Et il faut toujours plus de temps pour rallier Bruxelles en train qu’en voiture...

Yuriko Backes: C’est une réalité, en effet. Côté luxembourgeois, les investissements ont été faits. Mais il faut aussi que ceux-ci suivent de l’autre côté des frontières. Sur la ligne vers Bruxelles, côté belge, les travaux ont commencé voici un moment déjà (2007, NDLR). Mon homologue, Jean-Luc Crucke (les Engagés, NDLR), avec qui je m’entretiens régulièrement, paraît enthousiaste concernant l’achèvement de ceux-ci. Il m’a confirmé que tout devrait être terminé pour 2029. Nous pourrons alors rouler à 160 km/h entre ces deux capitales européennes. Mais vous allez voir qu’au cours des prochaines années, nous allons déjà assister à des améliorations au fur et à mesure que les travaux se termineront.

virgule.lu: Est-ce que le Luxembourg ne devrait pas envisager de financer une partie des travaux côté belge ou français, vu qu’il en a sans doute davantage besoin?

Yuriko Backes: Il existe des accords de cofinancement. Avec la Belgique, on retrouve les accords de Martelange, même si ceux-ci ne sont pas liés aux infrastructures. Avec la France, nous avons également signé des accords en 2018 à Paris, puis en 2021, afin de cofinancer de nombreuses infrastructures dans la région frontalière française. On se situe à 230 millions d’euros investis par chaque État, soit 460 millions au total. C’est une somme conséquente…

virgule.lu: Mais, depuis 2018, seule une petite partie de cette somme a été réellement dépensée. Ne faudrait-il pas changer la clé de répartition? Et peut-être passer à du 80-20 ou 70-30 plutôt que l’actuel 50-50, comme le suggérait un sénateur français?

Yuriko Backes: Normalement, on investit dans les infrastructures de son propre pays. Cela me semble être la règle. Avec la France, nous avons donc ces accords de Paris et je me tiens pour l’heure à ce que ceux-ci disent.

virgule.lu: Le Luxembourg dépend beaucoup de ses frontaliers français. Ne serait-ce pas dans son intérêt qu’on avance plus vite en matière d’infrastructures?

Yuriko Backes: Je crois qu’il est dans l’intérêt des deux pays d’avancer ensemble. Et c’est ce que nous faisons. À côté, il est aussi important de penser aux besoins actuels et futurs des frontaliers. C’est pour cela que nous cofinançons aussi une enquête, baptisée Luxmobil 2025, qui est chargée d’analyser les déplacements des résidents luxembourgeois et des travailleurs frontaliers. Cette enquête, qui regroupe des milliers de personnes, a donc été menée chez nous et elle l’est encore dans certaines régions frontalières. Les données récoltées nous donneront des indications pour déterminer la future mise à jour du plan national de mobilité, le PNM 2040. Elles nous aideront évidemment aussi à définir les besoins liés aux travailleurs frontaliers. De plus, l’élaboration d’un «schéma des mobilités transfrontalières» (SMOT) a été initiée conjointement par la France et le Luxembourg. Et celui-ci aboutira à un schéma directeur avec pour horizon 2030 et 2040. Ce qui permettra de définir une liste de projets allant au-delà de l’accord de Paris dont je parlais, afin de répondre aux besoins de ces frontaliers. Après, il ne faut pas non plus minimiser ce qui a déjà été fait. Je pense là à l’allongement des quais effectué dans plusieurs gares pour permettre à des trains plus modernes et longs de circuler, le centre de maintenance de Montigny-lès-Metz ou les P+R de Longwy, de Thionville et Metzange.

virgule.lu: Les travailleurs frontaliers représentent près de 50% de la main-d’œuvre au Luxembourg. Toutefois, ils représentent une toute petite communauté dans leurs pays respectifs. N’est-ce pas parfois compliqué de faire bouger les choses chez nos voisins?

Yuriko Backes: Je vois une grande volonté chez mes homologues, que ce soient Philippe Tabarot (LR) en France, Jean-Luc Crucke, côté belge, ou Patrick Schnieder (CDU) en Allemagne. Ils se rendent compte de l’importance pour leurs citoyens et citoyennes de venir travailler au Luxembourg. Certes, il y a parfois chez ces voisins différents interlocuteurs selon le niveau de pouvoir, et c’est moins simple que chez nous où il n’y a qu’une seule interlocutrice, mais je me montre confiante. On va pouvoir améliorer les choses! Car j’ai conscience et je comprends la frustration que peuvent avoir celles et ceux qui trouvent que les trajets prennent trop de temps.

virgule.lu: Le conseil de gouvernement ayant approuvé votre projet de loi relatif à la construction de l’extension de la ligne de tram entre la place de l’Étoile et le Centre hospitalier de Luxembourg (CHL), on va donc bien creuser un tunnel pour celui-ci le long de la route d’Arlon?

Yuriko Backes: Pourquoi ne le ferait-on pas? Il faut savoir innover! C’est la première fois qu’une de nos lignes sera en partie souterraine.

virgule.lu: On parle d’un tunnel de 550 mètres qui ira du CHL au stade Josy Barthel. Cela veut dire des années de travaux?

Yuriko Backes: Si nous devions acquérir toutes les emprises le long de ce tracé, cela pourrait prendre beaucoup plus de temps. Je viens tout juste de soumettre le projet de loi, son parcours législatif ne fait donc que commencer. Je n’aime pas trop avancer de date mais, pour l’heure, nous espérons pouvoir lancer les travaux en 2029, avec une mise en service prévue à l’horizon 2032. Des pistes cyclables sont également intégrées aux projets sur cette route d’Arlon, sans oublier les autres projets d’envergure programmés par la ville au niveau de la place de l’Étoile qui devraient changer cette dernière. Une coordination étroite sera donc indispensable.

virgule.lu: Dans le plan national de mobilité, les parkings relais jouent un rôle très important. Où en sont les différents projets et, notamment, celui d’un nouveau P+R à Strassen, qui serait très apprécié par les frontaliers belges?

Yuriko Backes: Ces projets sont toujours d’actualité. Simplement, on ne peut pas tout faire en même temps. Il faut savoir avancer étape par étape. Dans le cas du P+R de Strassen dont vous parliez, laissons d’abord le tram avancer. Il y a beaucoup de détails sur lesquels il faudra réfléchir, comme l’accès à l’autoroute qui doit être, par exemple, repensé. En ce qui concerne le P+R Bouillon, le PNM 2035 prévoyait de le déplacer un peu plus au sud, vers Esch, de manière à laisser la place à un quartier plus moderne avec des immeubles. Toute la Porte de Hollerich sera réaménagée. C’est un gros projet, dont le principal maître d’œuvre reste la ville de Luxembourg, à qui le parking appartient.

virgule.lu: Et le parking Héienhaff, situé sur l’A1 non loin de l’aéroport du Findel? Il compte aujourd’hui un peu moins de 500 places, loin des 4.000 annoncées...

Yuriko Backes: Là aussi, on ne peut pas tout faire en même temps, et c’est pour cette raison que le développement du projet est en plusieurs étapes. La structure actuelle avec ses 480 places est bien utilisée, c’est une bonne chose. Pour le reste, les études de réalisation sont en cours. Quand elles seront finalisées, nous pourrons communiquer de manière plus détaillée sur la suite.

virgule.lu: Sur l’autoroute A3, celle qui relie Luxembourg à Metz, il a été annoncé que la troisième bande, celle réservée majoritairement au covoiturage, serait terminée à l’horizon 2030. Est-il toujours question d’enchaîner ensuite directement sur l’A6 afin d’y mettre en place le même système?

Yuriko Backes: Pour l’A3, l’échéance est bien fixée à 2030, oui. Pour la suite, l’accord de coalition me demande de continuer à étudier les espaces autoroutiers où il serait également possible d’élargir la voie. Là aussi, des études sont en cours. Et il faudra aussi faire l’analyse du bénéfice qu’engendrera la troisième bande sur l’A3. Actuellement, on constate un gain de temps qu’on peut chiffrer à environ quatre minutes aux heures de pointe en direction du Luxembourg et cinq minutes vers la France. Ce qui est plutôt intéressant compte tenu de la petite taille du tronçon ouvert.

virgule.lu: Mais dans votre esprit, il est toujours prévu de passer ensuite sur l’A6 et l’A4?

Yuriko Backes: À l’heure actuelle, oui. Mais comme je l’ai déjà dit, avec Luxmobil 2025, nous réalisons actuellement une enquête sur les besoins en matière de mobilité. Et il faudra tenir compte de ce que révélera son analyse.