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Déclaration du gouvernement sur la situation économique, sociale et financière du pays 2004 (traduction française)
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,
Surtout lorsque la cadence de l’histoire est rapide, lorsque – comme c’est le cas actuellement – elle connaît plusieurs rebondissements en une année et tente ensuite de retrouver le calme, de réagencer les rapports entre les hommes, les choses et les situations, il convient de ne pas se laisser emporter par le vacarme de la vie quotidienne et les caprices de notre époque, mais plutôt de se calmer, de se calmer pour mieux voir, de calmer ses esprits pour réfléchir, pour réfléchir sur notre passé, sur les objectifs que nous voulons et pouvons atteindre, sur ce que nous sommes et sur ce que nous voulons rester. Sur ce que nous voulons rester et ce que nous voulons devenir lorsqu’il ne s’agit que de nous. Mais également sur ce que nous voulons rester et devenir dans cette vie commune qui nous lie à nos voisins européens et également au-delà.
Ceux qui se contentent de regarder passer les jours, qui ne font que les frôler pour pouvoir les barrer ensuite, qui ne font que s’arrêter brièvement sur eux pour ensuite passer aux suivants après en avoir tiré tout le parti possible, ceux-là pensent que l’année 2004 comporte une seule et unique date : le 13 juin, date des élections. Pour les personnes rapides, pressées ou superficielles, le 13 juin n’a, malgré tous les grands discours, qu’une importance mineure, limitée à un intervalle qui va de huit heures du matin, avec l’ouverture des bureaux de vote, jusqu’à deux heures de l’après-midi, lorsque ces bureaux ferment leurs portes. Après, les hommes et les choses sont à nouveau relégués au second plan.
Ceux qui restent calmes, qui essayent de regarder et de voir plus loin, ceux-là savent que la démocratie ne peut se résumer à six heures tous les cinq ans. Pour être stable et forte, elle nécessite des efforts quotidiens. Elle nécessite une vision claire du passé, sans laquelle une vision de l’avenir est impossible.
La date du 13 juin est bien entendu importante, plus pour le pays que pour les partis. C’est en effet à cette date qu’aura lieu le grand rendez-vous de la politique avec la vraie puissance souveraine : le peuple luxembourgeois. Ce jour-là, le peuple juge et décide, la politique accepte et exécute sa volonté. Le verdict du peuple est sans appel. Le peuple juge en première et en dernière instance. Pour cette raison, les Luxembourgeois doivent savoir que le pays n’est pas gouverné par le hasard, mais par ceux qu’ils élisent. Ils doivent également savoir que ceux qu’ils élisent représenteront pendant cinq ans le Luxembourg, ses habitants, leurs soucis et leurs intérêts, qu’il s’agisse de leurs intérêts sur le plan national ou bien international. Le 13 juin, chaque Luxembourgeois représentera à lui seul le peuple tout entier. Il faut qu’il le sache et qu’il y pense. Ainsi, il doit se poser certaines questions. Est-ce que ceux pour qui je vais voter seront en mesure d’assurer l’équilibre social et l’équité horizontale dans le pays, surtout lorsqu’il y a avis de tempête ? Est-ce que ceux pour qui je vais voter seront capables de prendre soin de nous et de défendre notre cause là où cela s’avère nécessaire : à Bruxelles et au sein de l’UE, à Paris, à Berlin et en Europe ? Car c’est là une autre condition qui a son importance : il faut être écouté pour avoir une quelconque influence. Pour notre pays. Et pour notre cause.
Notre cause sera débattue le 13 juin. Mais elle ne fait pas que commencer le 13 juin. Elle est en cours depuis bien plus longtemps. Et nombreux sont ceux qui y ont participé, ceux dont nous avons retenu le nom et ceux que plus personne ne connaît, mais qui ont apporté leur pierre à l’édifice.
La prochaine Chambre ne sera probablement composée que d’hommes et de femmes qui ont grandi après la Seconde Guerre mondiale et n’en ont, par conséquent, aucun souvenir personnel. Dans le pays, le nombre de personnes ayant encore vécu les malheurs qui se sont abattus sur nous entre 1940 et 1945 diminue. C’est à eux, à la génération de nos parents et de nos grands-parents, que nous devons d’avoir pu rester ce que nous étions et ce que nous sommes, car ils ont fait usage, au bon moment et au bon endroit, du dernier droit qui leur restait : le droit de dire non.
Le 10 septembre prochain, nous commémorerons le soixantième anniversaire de la libération de la ville de Luxembourg et du Grand-Duché de l’occupant nazi. En cette année 2004, il sera sans doute difficile de reproduire la joie que les Luxembourgeois d’alors ont portée en eux et laissée éclater le 10 septembre 1944. Cependant, le 10 septembre, nous avons le devoir de nous concentrer, avec ceux qui ont survécu et qui nous ont mis sur orbite, sur ce qui nous a permis de rester unis. Nous devons célébrer ce jour, car c’est le jour de tous les Luxembourgeois, ceux d’hier et d’aujourd’hui.
Trois mois après, nous commémorerons le début de l’offensive des Ardennes, qui a été lancée le 16 décembre 1944 et a bien failli remettre en question tout ce que nous avions réussi à accomplir jusqu’alors. Aucun d’entre nous ne peut imaginer la peur qui régnait alors. Mais nous devons tous trouver, en ce soixantième anniversaire du début de la fin définitive de ce terrible épisode de l’histoire, les quelques moments que nous impose le devoir de mémoire.
À partir de décembre 1944, la population a vécu dans l’angoisse, jusqu’à ce que le 8 mai 1945, le Reich millénaire capitule enfin. Le 8 mai 2005, nous célébrerons avec nos alliés d’hier et d’aujourd’hui la fin de la Seconde Guerre mondiale. Pour la soixantième fois, nous rendrons hommage à ceux qui, dans notre pays comme dans le reste de l’Europe, ont chassé le mal.
Jusque-là et par après, nous penserons à ceux qui ont payé un lourd tribut pour notre liberté : les résistants, dont le souvenir a été perpétué par la loi du 20 décembre 2002, les enrôlés de force, qui en vertu de la décision du gouvernement du 16 avril 2004 doivent obtenir leur Comité du souvenir et leur Centre de documentation, et les Juifs luxembourgeois, dont les souffrances n’ont pas été suffisamment évoquées.
Aujourd’hui, en 2004, nous avons la possibilité de plonger souvent dans le passé. Mais le 1er mai prochain marquera lui aussi une étape historique. Ce jour-là, l’Union européenne s’agrandira de dix pays : huit pays d’Europe centrale et deux îles de la Méditerranée. À ne pas en douter, ce 1er mai aura sa place dans l’histoire. Il s’agit de l’acte notarié qui marque la réconciliation entre la géographie et l’histoire européennes. Dans la soixantième année de la fin de la Seconde Guerre mondiale, nous sommes enfin – après tant de tours et de détours dans les méandres des affaires européennes – arrivés à sa fin effective. Hitler, Staline et Yalta sont morts, l’Union européenne vit – elle vit en liberté et en paix. Après tant de désordre et d’opposition, après tant de sang versé et d’emprisonnements, après tant de division et de douleur liée à la division continentale, je clame ici et maintenant, dans cette ambiance de scepticisme et d’inquiétude: le 1er mai est un jour propice pour l’Europe, pour ses habitants, pour ses nations, pour leur vie commune, pour leur intégration, pour leur volonté de surmonter des divergences et de lier leurs souverainetés nationales de telle façon qu’elles perdent de leur tranchant, mais qu’elles maintiennent tout de même leurs contours légitimes.
L’élargissement est devenu possible parce que des hommes et des femmes ont accéléré le cours de l’histoire, surtout en Europe centrale, mais également parce que les politiciens au pouvoir au début des années 1990 se sont montrés à la hauteur de ce défi : François Mitterrand, Helmut Kohl, Felipe González, Wim Kok et tant d’autres, parmi lesquels Jacques Poos, dont la contribution réelle au succès du processus global – je tiens à le dire ici de manière explicite – a souvent été sous-estimée, et peut-être aussi ceux qui ont présidé le Conseil européen de Luxembourg en 1997, lequel a donné le coup d’envoi à l’élargissement. Je profite de l’occasion qui m’est offerte ici pour vous faire part d’une réflexion plus personnelle. Celui qui fait de la politique vit de nombreux revers et déceptions. C’est un fait. Et pourtant, nous continuons. Cessons donc de nous plaindre. Mais, de temps en temps, il y a des moments où nous éprouvons de la joie d’avoir pu y participer activement, périodiquement, de manière constructive. Le 1er mai est l’un de ces moments, de par sa signification et des efforts qu’il a demandés. Mon père et ses frères ont été enrôlés de force dans l’armée allemande au cours de la Seconde Guerre mondiale. En tant que soldats, ils ont été précisément dans ces pays qui aujourd’hui deviennent membres de l’Union européenne. Que notre génération – en tant qu’enfants de ceux qui ont été aussi malmenés par l’histoire qu’ils l’ont été – puisse assister à la réunification de ce qui aurait toujours dû être uni, que nos enfants et petits-enfants ne doivent plus jamais avoir peur de leurs voisins européens, qu’ils entrent dans un avenir fait d’amitié et de paix, c’est là quelque chose que nous devrions ressentir avec beaucoup de sensibilité et de gratitude. Je parle en mon nom. Je parle également au nom de Madame Polfer, dont le père a été, comme le mien, enrôlé de force. Lorsque nous nous sommes concertés sur le parcours de l’élargissement, à la détermination duquel elle a contribué de manière décisive, j’ai remarqué qu’elle aussi se voyait en héritière et exécutrice de ceux à qui nous devons la vie et qui nous ont enseigné les choses essentielles.
Cet élargissement qui devient effectif le 1er mai est un grand défi. L’Union européenne comptera 455 millions d’habitants contre 380 auparavant, soit une augmentation de 20 %. Sa surface totale atteindra 4 millions de mètres carrés, soit quelque 23 % en plus. Le PIB européen augmentera de 5 %, ce qui n’est pas beaucoup : 20 % de personnes en plus génèrent quatre fois moins de pouvoir d’achat.
Ces chiffres sont impressionnants. D’autres le sont tout autant. Ainsi, la région de l’UE la plus prospère est aujourd’hui cinq fois plus riche que la région la plus pauvre. Demain, elle sera neuf fois plus riche. L’Union européenne devra donc faire face à des problèmes de redistribution des richesses. Une heure de travail dans l’Europe des Quinze coûte aujourd’hui en moyenne 22,21 euros alors qu’en Estonie, ce coût s’élève à 2,42 euros, presque dix fois moins. Le dumping social, la pression exercée sur les salaires et la délocalisation sont autant de conséquences négatives de l’élargissement que les gens craignent de voir apparaître.
Un mot au sujet du conflit de redistribution des richesses. Il faut savoir que l’Europe des Vingt-cinq grèvera davantage le budget luxembourgeois que l’Europe des Quinze. L’UE compte des contributeurs nets et des receveurs nets, le Luxembourg figurant au nombre des premiers. Ceci dit, nous ne nous rallions pas à la démarche des autres contributeurs nets qui veulent limiter le budget européen à 1 % du PIB. Nous sommes en effet d’avis que le monde dans la nouvelle UE devrait être tel que dans l’ancienne UE : les plus riches doivent aider les plus pauvres à devenir plus riches. La solidarité est une vertu européenne. Elle a permis de rendre l’Espagne, le Portugal et la Grèce plus forts sur le plan économique et social. Elle permettra aussi de dynamiser l’économie des nouveaux États membres, à leur avantage comme au nôtre. En effet, déjà à l’heure actuelle, l’économie luxembourgeoise tire parti de l’ouverture sur les nouveaux marchés d’Europe centrale : les échanges commerciaux entre eux et le Luxembourg se sont renforcés au cours des dernières années de presque 50 %, le commerce avec l’Europe centrale et de l’Est a progressé deux fois plus rapidement que la proportion de nos échanges au niveau du commerce international – de 1 000 % avec la Pologne et la République tchèque, par exemple. En d’autres termes, sans les nouveaux États membres et sans le commerce avec ces derniers, nous serions moins riches et notre économie moins performante. Malgré toutes les lamentations et les craintes sur ce que nous réserve l’avenir, il ne faut pas oublier les effets positifs dont nous bénéficions déjà.
Concernant les risques liés à l’élargissement, nous comprenons les soucis et les peurs que ce dernier suscite. Mais celui qui se contente de nourrir ces peurs ne peut être de bon conseil. La pression sur les salaires, due à une plus grande compétitivité engendrée entre-temps par les nouvelles économies, pourra être atténuée au Luxembourg par le fait que le gouvernement et les partenaires sociaux suivent de près la productivité ainsi que l’évolution des charges salariales indirectes et ne se permettent aucune extravagance irréfléchie et susceptible de surcharger nos systèmes sociaux. Pour ce qui est de la délocalisation pour raisons économiques, la volonté de se rapprocher des clients sur les nouveaux marchés est compréhensible. En effet, si les entreprises luxembourgeoises évitaient ces derniers, le Luxembourg risquerait de perdre des emplois. Si, par contre, elles profitent du potentiel de ces nouveaux marchés, l’économie, alimentée au niveau global, connaîtra une croissance au Grand-Duché.
Un dernier mot sur le dumping fiscal, un phénomène auquel il faut probablement s’attendre et qu’il faut craindre en partie.
Les nouveaux États membres de l’UE – et de temps en temps aussi les anciens – misent pleinement sur la concurrence fiscale. Les entreprises s’installent là où les impôts sont les moins élevés. C’est pourquoi les nouveaux États membres surtout essaient de maintenir le niveau d’imposition des sociétés nettement sous la barre des 20 %, et ce dans le but d’attirer du capital d’investissement. Ils ont choisi l’Irlande et aussi le Luxembourg en tant que précurseurs de leur politique. Il est un fait que le Luxembourg a également souvent joué sur ce tableau. Nous devons par conséquent mettre un frein lorsque des critiques sont formulées à l’égard de cette politique. Mais il est un autre fait bien établi : depuis des années, nous exigeons des seuils minimaux pour l’imposition des sociétés en Europe. La concurrence fiscale en Europe est ruineuse pour tous les États membres, nouveaux et anciens. Le capital ne doit pas devenir le maître, mais la politique doit déterminer des conditions-cadres et garder le contrôle sur les processus de structuration. Ces considérations devront faire l’objet d’une réflexion dans le cadre de la conférence intergouvernementale. Dans ce domaine, les initiatives sont à prendre sous Présidence luxembourgeoise de l’UE.
En fin de compte, il ne s’agit pas de louer ou de dénigrer l’élargissement. Mais il n’existe pas d’alternative à cet élargissement, sauf un retour à l’ancien monde. Nous préférons que les habitants d’Europe centrale tournent vers nous leurs espoirs plutôt que leurs missiles. Nous préférons faire de l’avenir un succès avec eux plutôt que de devoir gérer la situation paralysante de l’après-guerre. Il faudra désormais payer un peu plus pour l’Europe : 20 euros par tête et par an. Un petit prix pour une grande paix ! C’est facile de tenir des propos incendiaires sur l’élargissement. Mais tourner rapidement la page sur les nouvelles démocraties d’Europe centrale aurait été dangereux : on ne tourne pas rapidement les pages de l’histoire. Il vaut bien mieux devoir affronter des problèmes mineurs aujourd’hui et avoir un grand avenir demain plutôt que de n’avoir aucun avenir demain et d’affronter des problèmes majeurs après-demain !
L’avenir européen reste hypothéqué si nous ne réussissons pas à mettre sur pied la Constitution européenne. Dans sa déclaration sur la politique étrangère, Madame Polfer a dit à ce sujet tout ce qu’il y avait à dire. Je n’ai rien à ajouter à ce propos. En effet, le chef de la diplomatie luxembourgeoise et le chef du gouvernement partagent en tous points les mêmes vues sur les affaires européennes. Des vues que nous développons ensemble. Nous voulons qu’avant le terme de la Présidence irlandaise à la fin juin, la Constitution européenne prenne définitivement forme. Cela demande encore de nombreux efforts, car les opinions en Europe divergent toujours sensiblement et pas uniquement en ce qui concerne la pondération des votes pour la prise de décisions au sein du conseil des ministres.
Il y a plusieurs mois, nous avons déclaré que la Constitution européenne serait ratifiée par référendum au Luxembourg. Je réitère cette déclaration. L’Europe n’est pas seulement l’affaire du gouvernement et du Parlement. C’est l’affaire de la population toute entière, celle d’aujourd’hui et celle de demain. S’il s’agit d’une affaire qui la concerne – et c’est bien le cas –, lui donner la parole coule de source. Les gens doivent savoir que, le jour où ils voteront, ils devront répondre aux deux questions suivantes : est-ce que la Constitution est bonne pour l’Europe ? est-ce qu’elle est bonne pour le Luxembourg ? Aucun pays, le Luxembourg y compris, ne pourra imposer ses moindres souhaits dans le cadre du débat sur la Constitution. Cette Constitution ne sera pas « saignante ». Elle ne sera pas non plus « bien cuite ». Elle sera plus ou moins « à point ». En fait, elle sera telle qu’elle nous donnera envie de plus d’Europe. Elle sera telle qu’elle ne nous pèsera pas sur l’estomac. Elle sera telle que l’Europe n’aura aucun problème de digestion avec ce « supplément » d’Europe. Les Luxembourgeois montreront lors du référendum – je l’espère et je me bats pour cela – qu’ils comprennent que la cuisine européenne doit rassembler sur une même assiette beaucoup de saveurs, de préférences, de sauces, de points communs et un certain nombre de suppléments. Le menu doit plaire à tout le monde : ici au Luxembourg, en Finlande, en Italie et après-demain dans les Balkans.
Nous sommes nombreux à prendre place autour de la table européenne fraîchement dressée. Au début, il y aura un peu de désordre, le temps que chacun ait trouvé sa place. Il se peut que, parfois, une chaise tombe ou que quelqu’un frappe la table de son poing alors qu’il aurait mieux valu garder la main dans sa poche. Le Luxembourg ne sera pas celui qui frappera la table de son poing, sauf si quelqu’un tente de remettre en question sa place à table. En toute honnêteté, je ne pense pas que nous courions ce risque. Au contraire, je constate plutôt que d’aucuns essaient de rapprocher notre chaise de la table.
Les douze mois écoulés entre la déclaration de l’année dernière et celle de cette année ont démontré qu’en Europe, nos opinions, nos idées et nos propositions sont requises. Il y a un an encore, dans le cadre de la question sur l’Irak, il se trouvait des gens pour prédire que nos voisins allemands, français et belges allaient nous ignorer à l’avenir et faire un grand détour pour éviter le Luxembourg. Le contraire s’est produit : le chancelier allemand est venu au Luxembourg, les Premiers ministres français et belge ont effectué une visite officielle et, enfin, le gouvernement belge dans son ensemble et le gouvernement luxembourgeois se réuniront demain matin à Gaichel pour la première fois officiellement en conseil de gouvernement commun. Nous n’avons encore jamais entretenu des relations aussi bonnes avec nos voisins. C’est bien. Et cela doit le rester.
Je viens d’évoquer l’Irak, car c’est un sujet qu’il faut aborder. Le dictateur irakien a été mis hors d’état de nuire. Personne n’exprimera de regret à cet égard. Le peuple irakien ne doit plus craindre d’être persécuté, emprisonné ou encore torturé, un état de fait que nous saluons tous. Pourtant, le peuple irakien n’est pas heureux. C’est apparent. L’emprise de la terreur laisse des traces sanglantes, des êtres humains meurent – des Irakiens, des Américains, des ressortissants d’autres pays –, des gens sont pris en otage, des innocents exécutés. Avant la guerre, j’avais déclaré ici même que la guerre continuerait, même après la fin de la guerre. Et elle continue. Nous pensons que, pour briser la dynamique de cette guerre, l’autorité civile et politique doit retourner le plus rapidement possible aux Irakiens. Le 30 juin est maintenu pour le transfert de souveraineté effectif. Par ailleurs, nous voulons une nouvelle résolution du Conseil de sécurité de l’ONU afin de tracer une voie internationalement encadrée vers l’avenir du pays.
La solution des problèmes du monde ne se trouve pas dans un unilatéralisme aveugle et intéressé. Pour être efficace, elle doit se fonder sur le multilatéralisme.
Cette constatation vaut également pour le Moyen-Orient. Les récentes propositions israéliennes en matière de politique d’implantation vont dans la bonne direction. Toutefois, elles ne doivent pas être décidées de manière unilatérale, mais développées dans le cadre de négociations avec les Palestiniens. Il en est de même pour la question extrêmement complexe du retour des réfugiés palestiniens. On n’attend pas d’Israël qu’elle fasse la paix avec ses amis de l’Ouest. En revanche, on attend d’Israël et de la Palestine que ces pays fassent la paix entre eux. Il n’y aura pas de perspective de paix et de calme entre Israéliens et Palestiniens tant que des groupes palestiniens remettront en cause la sécurité des Israéliens par des attentats ainsi que des bombes et tant que les Israéliens iront presque jusqu’aux limites du terrorisme d’État en réduisant les assassinats commandités par l’État à un échange normal entre eux. Israël a besoin de sécurité et les Palestiniens d’un État qui leur est propre. Mettre ces deux exigences sur le même plan est la mission et l’obligation de la communauté internationale, donc également de l’Europe et de la Présidence luxembourgeoise l’année prochaine.
La Présidence luxembourgeoise sera certainement beaucoup sollicitée dans le domaine de la politique étrangère internationale. Il suffit de penser aux Balkans et surtout au Kosovo – pays dont il faut enfin décider le statut final avec des perspectives à long terme – pour comprendre quels seront les défis auxquels seront confrontés nos diplomates et leur savoir-faire. Tant que la situation au Kosovo ne s’améliorera pas, le gouvernement luxembourgeois n’organisera pas de retours forcés de réfugiés au Kosovo, à moins que la sécurité personnelle des réfugiés ne soit garantie à cent pour cent.
Kosovo, Irak, Moyen-Orient, Afghanistan, Madrid : autant d’endroits où le terrorisme a frappé en 2004. C’est pourquoi le sujet doit également être abordé.
Le Luxembourg est un petit pays. Mais sa volonté d’aider à affronter le terrorisme international est grande.
Sur le plan européen, cette volonté se traduit par le fait que nous sommes en train de compléter l’arsenal européen de lutte contre le terrorisme afin de constituer un front antiterroriste européen efficace.
Sur le plan national, le Luxembourg s’engage à couper les voies de financement du terrorisme international à travers la place financière luxembourgeoise. À ce propos, il serait parfois souhaitable que les commentaires relatifs aux plans du gouvernement, notamment en matière de lutte contre le blanchiment d’argent, soient plus nuancés. Nous avons besoin d’une place financière qui soit impeccable et au-dessus de tout soupçon. C’est là une exigence nationale.
La lutte contre le terrorisme revêt aussi une dimension nationale. Sans entrer dans les détails, je tiens tout de même à préciser ceci : nous faisons attention et nous avons des raisons de faire attention ; de temps en temps, nous agissons aussi, car il nous faut agir en fonction de ce que nous savons, et de temps en temps, nos actions rencontrent l’incompréhension des personnes qui, elles, ignorent ce que nous savons. Le gouvernement doit savoir accepter cela pour que le pays et ses habitants puissent vivre en paix. Nous ne voulons pas simplement réagir aux événements, mais plutôt les anticiper. Luxembourg est l’une des capitales européennes de même que l’un des principaux centres financiers du monde. Nous ne pouvons pas nous permettre d’être naïfs et nous ne le sommes pas. La réforme des services secrets offrira à certains d’entre vous la possibilité d’avoir un aperçu des informations détenues au Luxembourg en relation avec d’éventuels dangers terroristes. Nous serons alors plusieurs à comprendre les points que je viens d’évoquer.
En ce qui concerne la lutte contre le terrorisme, il faut être conscient de ceci : il faut éviter que les mesures – et particulièrement les mesures préventives – contre le terrorisme ne mettent en danger les principes de l’État de droit. Nous devons réussir à trouver un bon équilibre entre libertés individuelles et sécurité collective. En effet, si nous ne considérons que les libertés individuelles, nous risquons d’affaiblir en partie la sécurité collective. Si, par contre, nous érigeons en règle absolue la sécurité collective lorsque cela n’est pas indispensable, nous ouvrons de manière insidieuse une brèche au regard des libertés individuelles. Cela ne doit pas se produire.
La sécurité est un vaste concept. Il est bien entendu lié au terrorisme, mais également à la réalité de la sécurité primaire, de la lutte contre les formes courantes de la petite délinquance. En 2001 et 2002, nous avons connu de rudes moments suite à des attaques à main armée contre des banques et des convoyeurs de fonds. L’année 2003 a été calme grâce au recours à un hélicoptère qui, soit dit en passant, coûte assez cher, mais également grâce à une présence policière accrue, laquelle permet de lutter contre ce qu’il est convenu d’appeler la petite criminalité. Depuis la fusion réussie de la police et de la gendarmerie, 315 policiers, soit un quart des effectifs, et 71 civils ont été engagés dans la police grand-ducale. De plus, 30 millions d’euros ont été investis dans des moyens matériels. D’ici 2007, les forces de l’ordre compteront 1 700 policiers. De graves problèmes subsistent néanmoins dans les domaines de la délinquance juvénile, de la criminalité liée à la drogue et de la criminalité transfrontalière. Au fil de ces dernières années, nous sommes devenus très efficaces dans la lutte contre des crimes plus graves : la police grand-ducale mérite à cet égard une reconnaissance majeure. Dans la lutte contre la petite criminalité, nous avons fait des progrès et, d’ici quelques années, nous serons tout aussi efficaces dans ce domaine. Mais une telle évolution présuppose qu’au cours de la prochaine législature, les efforts de renforcement des effectifs et des moyens matériels soient poursuivis de manière ininterrompue. De telles mesures sont à nos yeux nécessaires, car il existe un droit des citoyens à la sécurité, bien qu’il soit impossible de donner une garantie quant à la sécurité individuelle. L’État doit cependant assurer une sécurité nationale maximale. Ceci vaut pour la police. C’est également vrai en ce qui concerne la justice. Ainsi, au cours de ces dernières années, plus de cinquante magistrats et d’autres effectifs ont été engagés dans le but d’accélérer le travail des autorités judiciaires. Le nombre de juges d’instruction a même été doublé.
Ces diverses actions ayant par ailleurs entraîné une augmentation de 70 % du nombre de prisonniers au cours des cinq dernières années, il faudra recruter quinze gardiens de prison supplémentaires.
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,
La sécurité dans la vie collective et celle de chaque individu vont de pair. Chacun doit savoir où il en est, où aller et quels chemins peuvent ou doivent être empruntés. Cette réflexion nous conduit à aborder la pierre angulaire de toute politique : la politique économique, financière et la politique de l’emploi. Ces aspects centraux de la politique constituent le fondement de la vie du pays et de ses habitants. Ils sont les notes d’une véritable musique de la vie. C’est par leur biais que l’on peut faire naître l’harmonie et, pourtant, ils sont également à l’origine de la plupart des dissonances. C’est normal : dans le grand orchestre de l’économie et des finances, nombreux sont les musiciens qui jouent uniquement les partitions qu’ils connaissent, qui jouent les morceaux qu’ils veulent et peuvent jouer et qui, souvent, jouent comme s’ils composaient à eux seuls tout l’orchestre.
En cette ère de mondialisation et de déclin de l’économie sur le plan international, il n’y a plus ce chef d’orchestre qui, d’un regard courroucé et d’un geste énergique de la main, pourrait mettre bon ordre à tout cela. Parfois, pourtant, l’ordre revient : lors de la grève des convoyeurs de fonds et lors de la grève annoncée des pilotes de Luxair, l’ordre est revenu grâce à l’engagement du ministre compétent qui, à l’arrière-plan, a patiemment élaboré des compromis, grâce aussi au sens des responsabilités des syndicats et du patronat. Mais, la plupart du temps, se contenter de diriger l’orchestre de son estrade ne suffit pas.
Malgré tout, la situation du Luxembourg est meilleure qu’ailleurs.
La raison en est que, parfois, les chefs d’orchestre prennent eux-mêmes les instruments en main sans pour autant devenir aussi nerveux que les musiciens et aussi hyperactifs que les chefs d’orchestre concurrents.
La raison en est également que les musiciens – les syndicats, le patronat, les citoyens – se posent les mêmes questions et cherchent les mêmes réponses que les arrangeurs. Voilà pourquoi notre représentation générale a une qualité qui, si elle n’est plus aussi grande qu’elle pourrait l’être, n’en demeure pas moins meilleure que celle des grands orchestres qui nous entourent. Si nous faisons une fausse note, nous reprenons le morceau depuis le début. Ceci dit, nous faisons rarement de fausses notes. En revanche, si les autres font une fausse note, ils continuent à mal jouer. Qui plus est, il leur arrive plus souvent de mal jouer. Peut-être est-ce dû au fait qu’il est plus difficile d’animer et de diriger un grand orchestre. Peut-être est-ce également dû au fait que celui qui dirige un petit orchestre se prépare mieux et lit les notes avec une plus grande attention. Peut-être est-ce encore dû au fait que les musiciens d’un si petit orchestre voient mieux le chef d’orchestre, ses actions, ses craintes, ses joies.
Alors, qu’en est-il de la qualité de notre représentation générale en cette fin avril 2004 ?
Passons en revue chaque morceau, à commencer par l’économie et l’emploi.
En fonction de l’humeur de celui qui écrit ou qui parle, il peut sembler que les prévisions de croissance de l’économie relèvent d’une science exacte. Selon qu’il s’agit d’un pessimiste ou d’un optimiste qui parle, le pendue oscille d’un côté ou bien de l’autre. Les banques centrales les plus jeunes et donc les moins expérimentées participent à ce jeu. Elles sont indépendantes et c’est bien ainsi. Mais elles doivent aussi se montrer responsables, ne pas démoraliser les consommateurs sans raison valable, ne pas détruire la confiance sans motif véritable, ne pas provoquer de flemme sans justification aucune et faire naître des angoisses qui n’ont pas de raison d’être. La banque centrale la plus jeune d’Europe surtout – je parle de celle du Luxembourg – doit, si elle veut avoir une influence sur la société et la politique, suivre des cours de rattrapage en économie et en psychologie.
L’économie luxembourgeoise ne tourne pas à vide. Elle s’est déjà portée mieux et elle se portera à nouveau mieux. Elle ne perd pas son souffle, elle reprend petit à petit des forces. Bien qu’elle ne jouisse pas de la robustesse de la fin des années 90, elle reste néanmoins plus performante que la moyenne européenne. Ce ne sont pas les prévisions qui le reflètent, mais les résultats enregistrés ces dernières années et surtout l’année dernière, l’année 2003.
En 2003, l’économie dans la zone euro a connu une croissance de 0,4 %. Au Luxembourg, elle a fait un bond de plus de 2 %. En octobre 2003, le Statec avait prévu une croissance de 1,2 % seulement pour 2003, mais l’évolution au quatrième trimestre 2003 a montré que la relance conjoncturelle s’est peu à peu matérialisée au Luxembourg.
Nous lisons à tout bout de champ que l’économie luxembourgeoise se situerait en deçà de la moyenne communautaire. N’avons-nous pas entendu ici même, il y a un an, que nous étions la lanterne rouge de l’Europe ? Or, nous ne sommes pas la lanterne rouge de l’Europe : nous avons enregistré en 2003 une croissance exactement quatre fois supérieure à la croissance moyenne de la zone euro. Nous ne devons pas nous prétendre meilleurs que nous ne le sommes. Il n’en demeure pas moins que 2 % est un résultat supérieur à 0,4 % dans la zone euro, à 0 % en l’Allemagne, à 0,2 % en France et à 1,1 % en Belgique – pour ne citer explicitement que les trois pays auxquels sont destinés 60 % de nos exportations. En dépit de la stagnation et de la récession qu’ont traversé l’Allemagne et la France en 2003, notre économie a affiché une croissance de 2 %.
Je suis partisan de dire la vérité aux gens et c’est pourquoi je dis : nous avons observé un ralentissement et nous avons des problèmes.
En revanche, je me refuse catégoriquement à faire croire aux gens que notre situation empire de jour en jour et je me refuse tout aussi catégoriquement à leur faire croire que notre situation est même pire que celle de nos voisins : l’année dernière, l’économie luxembourgeoise a progressé de 2 %, entre 2002 et 2003, elle a progressé de 3,3 % en moyenne. Il ne s’agit ni d’une stagnation ni d’une récession, encore moins d’un fléchissement ou d’une régression, mais bien d’une croissance, de plus de richesse économique, de plus d’opportunités, de plus de possibilités. Nous devons rester raisonnables, c’est un fait. Mais nous ne devons pas pratiquer la politique de l’autruche. Nous ne devons pas brosser un tableau du Luxembourg qui laisse croire que tout va mal. Nous ne devons pas nous laisser aller, nous devons au contraire faire un travail sur nous-mêmes afin de nous améliorer. Rien ne justifie que nous nous abandonnions à notre sort. L’année dernière, j’ai affirmé ici même que nous allions y arriver. Cette année, j’affirme que nous sommes sur le point d’y arriver. Certes, nous ne vivons pas encore de bel été. Mais nous sentons déjà nettement le parfum du printemps. La Commission européenne table pour 2004 sur une croissance de 2,4 % au Luxembourg, augmentant ainsi ses dernières prévisions de 0,4 %. Pour 2005, Bruxelles prévoit même un taux de croissance au Luxembourg bien supérieur à 3 %. Je pense que le ministre de l’Économie verra se confirmer ses estimations, lesquelles annonçaient pour l’année 2004 une croissance d’environ 2,5 %.
La croissance économique que nous connaissons est certes plus faible que par le passé, mais elle a entraîné une nouvelle progression sensible de l’emploi au Luxembourg. Nous ne le réalisons pas – ou ne voulons pas le réaliser –, car la hausse du nombre de chômeurs éclipse l’augmentation parallèle du nombre de postes de travail.
En 1999, nous dénombrions 248 261 emplois. Entre 1995 et 1999, 40 000 nouveaux postes ont été créés.
En 2003, nous dénombrions 291 449 emplois. De 2000 à aujourd’hui, 43 207 nouveaux postes se sont ajoutés à ce nombre, 43 207 nets. Ce chiffre équivaut à une progression de 16 %, ou de 4 % en moyenne annuelle.
Dans ce domaine aussi, nous sommes loin d’être la lanterne rouge de l’Europe. Au sein de l’Union européenne, 0,9 % seulement de nouveaux emplois ont été créés en moyenne entre 2000 et 2003, alors que le Luxembourg a enregistré une croissance de l’emploi exactement quatre fois supérieure. Même en 2003, année particulièrement difficile, la croissance nette de l’emploi a été de 2 % au Luxembourg, alors qu’en Belgique et en Allemagne l’emploi a reculé de 0,5 %, respectivement de 1,1 % en 2003. La presse évoque une « chute de l'emploi ». Je crois qu’il y a confusion entre certains pays.
Cette nouvelle, plutôt bonne en termes relatifs – 2 % de croissance économique et 2 % d’emplois supplémentaires en 2003 – ne peut toutefois chasser les soucis que nous donnent la situation économique et le marché de l’emploi.
Le chômage est en hausse. Certaines entreprises réduisent leurs effectifs, voire ferment. Il ne faut en aucun cas dédramatiser ces faits : pour les personnes touchées, pour les personnes qui risquent d’être touchées et pour les personnes qui pourraient un jour être touchées, ils sont source de peur et d’incertitude. Au Luxembourg, le nombre d’emplois créés dépasse encore de loin le nombre d’emplois supprimés – et je viens précisément de vous le démontrer. Cette constatation, si elle est exacte à la fois du point de vue global et général, ne change pas la donne sur le plan local et individuel. Ce fut aussi le cas par le passé. Rappelez-vous : en 1995, le Luxembourg affichait « seulement » – comme nous dirions aujourd’hui – 1,4 % de croissance économique et « seulement » – toujours comme nous dirions aujourd’hui – un peu plus de 2 % de nouveaux emplois. Et ces 1,4 % de croissance économique en 1995 étaient par ailleurs d’un bon pour cent inférieurs au taux de croissance moyen de l’Union européenne d’alors. Les entreprises qui ont réduit leurs effectifs ou qui ont fermé à cette époque étaient Cerabati, la fonderie de Mersch, Recyplast, Retec et plusieurs divisions d’Electrolux.
Quelles actions le gouvernement d’alors, au sein duquel j’étais ministre de l’Emploi, a-t-il entrepris ? Les mêmes que celles entreprises par le gouvernement actuel : il a lutté pour chaque poste de travail, il s’est engagé en faveur de solutions socialement acceptables et il a utilisé tous les instruments que la politique de l’emploi mettait à sa disposition. Et cela parce qu’il était sensible aux problèmes des personnes touchées de même qu’aux préoccupations des communes concernées. En quoi le gouvernement actuel agit-il différemment du gouvernement d’alors ? En rien. Il agit exactement de la même manière – parce qu’il est tout aussi sensible et socialement responsable que son prédécesseur. Pour cette raison, il a mis en œuvre les instruments de la solidarité nationale pour Villeroy & Boch, Cepal et d’autres entreprises. Il agit de même aujourd’hui en ce qui concerne Arcelor. Et cela parce qu’il est sensible à la situation des personnes touchées et des communes concernées.
Je ne voudrais tenir ici aucun propos susceptible de laisser entendre qu’il est possible de mener à partir de ce lieu les négociations avec Arcelor. Elles ont lieu au sein de la Tripartite sidérurgique. Et il s’avère maintenant que le gouvernement et les syndicats avaient raison d’exiger avec rigueur, dès la création d’Arcelor, que cet instrument d’explication, de dialogue et de concertation qu’est la Tripartite soit sauvegardé. Sans cette dernière, nous serions à l’heure actuelle dans une position difficile.
Je tiens à évoquer encore quelques points.
Il n’existe aucune urgence en termes de restructuration à très court terme – une urgence dans le sens de quelques semaines ou de quelques mois – au sein d’Arcelor. Malgré tout, le gouvernement et les syndicats sont d’avis qu’il convient de lancer les négociations maintenant, car ces dernières requièrent temps et réflexion. Nous ne voulions pas découvrir le problème le 14 juin seulement, mais plutôt nous en occuper directement après avoir pris connaissance de toute son ampleur. C’est pourquoi nous avons annoncé le 3 mars dernier que la Tripartite sidérurgique se réunirait le 8 avril. Et le 3 mars déjà, le 8 avril précédait bien le 13 juin.
Je réitère aujourd’hui les propos que j’ai tenus ici même le 23 mars : il n’y aura pas de licenciements d’ouvriers, d’employés ou de cadres chez Arcelor. Par contre, nous mettrons en œuvre nos différents mécanismes de préretraite. Vous vous rappelez certainement qu’en mars encore, il était question de supprimer 2 000 emplois. Aujourd’hui, il est question de moins de la moitié.
Je précise que la Tripartite sidérurgique n’est ni un forum de palabres inutiles ni une entité censée servir d’alibi. C’est un forum de négociation. Les syndicats et l’employeur ont constitué trois groupes de travail, lesquels se sont réunis à dix reprises jusqu’à présent. Les représentants du patronat au sein de ces groupes n’ont pas pour unique fonction d’expliquer, mais également de rechercher avec les syndicats des moyens pour sauvegarder le plus grand nombre possible d’emplois. Le plan de restructuration est passé en revue, fonderie par fonderie, site par site, segment par segment et poste par poste.
Une remarque encore concernant Dudelange :
La pensée que Dudelange – le berceau de la sidérurgie luxembourgeoise – pourrait se retrouver sans industrie sidérurgique est douloureuse. Il n’est aucune personne originaire de la région de la « Minett » qui n’éprouve pas de douleur à cette pensée ou qui s’en réjouisse. Des négociations ardues sont en cours quant à la fermeture ou non, quant à l’avenir du site sidérurgique de Dudelange et quant aux mesures qui peuvent, en fait doivent être prises dans le domaine industriel à Dudelange. Déjà Monsieur Goebbels, l’ancien ministre de l’Économie, nous avait expliqué lors d’un discours tenu à l’occasion de l’ouverture de la foire internationale que le secteur sidérurgique luxembourgeois serait amené, le cas échéant, à recourir à des technologies de pointe moins coûteuses en main-d’œuvre pour rester compétitif. Il avait raison. Mais le plan sidérurgique doit être convaincant à nos yeux, tant au niveau global que local. Nous savons que 350 millions d’euros seront investis. Ce n’est pas rien. Mais nous voulons également pouvoir évaluer avec précision toutes les conséquences sociales du plan.
Lorsque nous aurons réussi à élaborer la doctrine dans son ensemble, nous passerons aux petits ajustements. Nous étudierons ce que cette doctrine coûtera à l’État, car la préretraite et d’autres mécanismes ont un coût. Ensuite, nous examinerons ce que coûteront à Arcelor les coûts supportés par l’Etat.
Les plans annoncés par Arcelor ont une nouvelle fois mis en avant la nécessité d’une politique de diversification. On en appelle aujourd’hui à la création de nouveaux emplois industriels, alors que pendant longtemps, il était de bon ton de se montrer plus ou moins réticent en ce qui concerne l’industrie. Nous n’avons pas à courir après chaque emploi : telle était la croyance répandue voilà quelques années. Il n’y a pas à dire, les temps changent.
Le gouvernement n’a pas couru après chaque emploi, surtout si l’emploi en question ne s’intégrait pas dans le paysage luxembourgeois. Mais il est allé chercher des emplois auprès de ceux qui pouvaient en créer dans le pays : les investisseurs étrangers. Il s’agissait d’attirer de nouvelles activités au Luxembourg et, point tout aussi important, de drainer les investissements complémentaires prévus vers le Luxembourg.
Ainsi, au cours des cinq dernières années, 58 nouvelles activités ont pu démarrer au Luxembourg ; elles ont créé 1 920 emplois et généré des investissements à hauteur de 604 millions d’euros. En termes nets, le Luxembourg compte aujourd’hui 183 entreprises industrielles employant 15 892 employés, alors que fin 1999, il comptait 146 entreprises industrielles employant 13 507 employés. Le secteur industriel s’est donc agrandi de 37 entreprises et de 2 385 emplois.
Le développement économique et la politique de diversification ne peuvent se faire dans le vide. Des garde-fous leur sont nécessaires comme appui, des portes qui s’ouvrent, des escaliers qui vont vers le haut.
Pour progresser, l’économie a besoin d’investissements publics importants. C’est un facteur vital, tant pour l’économie que pour les individus. Au cours de cette législature, le gouvernement a alloué en tout 2,720 milliards d’euros au titre d’investissements publics, ce qui représente une augmentation totale de 46 % par rapport à la précédente législature. Ces investissements ont été répartis comme suit : 34 % sont allés au secteur des transports, 17 % au secteur de la santé et des personnes âgées, 9 % aux écoles et 6 % à la culture. En moyenne, ces investissements représentent 3 à 4 % du PIB. Aucun autre pays n’investit autant que le Luxembourg. Toutefois, si le gouvernement tient à ce que le pays reste en tête de peloton, il doit maintenir le taux d’investissements publics à un niveau élevé pendant les années à venir. Une diminution des investissements l’année prochaine peut en effet entraîner une perte d’emplois trois ans plus tard.
L’économie a besoin d’un cadre fiscal prévisible et adéquatement aménagé. Un pays dont l’impôt sur les sociétés diminue aujourd’hui, augmentera demain et encore plus après-demain, diminuera l’année suivante pour ensuite augmenter à nouveau l’année d’après, n’attirera ni entreprises, ni capital. Le 1er janvier 2002, nous avons baissé l’impôt sur les sociétés de 37,35 % à 30 %. Ce fut à l’époque juste, mais osé. Aujourd’hui, c’est encore plus juste, quoique toujours un peu osé. Mais en l’absence de cette mesure fiscale ferme, le Luxembourg aurait pu faire une croix sur ses efforts de diversification. Or, si nous voulons éviter cela, nous devons maintenir dans les prochains temps le taux d’imposition à son niveau actuel. Étudiez les actions de nos concurrents et vous verrez l’exemple à ne pas suivre.
La place financière a besoin de ce même degré de prévisibilité. L’accord européen sur la fiscalité que nous avons négocié est bon pour l’Europe et bon pour le Luxembourg, parce qu’il protège nos intérêts et préserve notre place financière. Cette dernière a pu se diversifier, notamment grâce à de nouvelles lois sur les fonds d’investissement, les professionnels du secteur financier, la fiducie, le trust, la titrisation et les SICAR. La Luxembourg School of Finance, qui a été créée pendant cette législature, est un nouveau pilier de la place financière. À l’instar de l’Université du Luxembourg, dont cette école fait partie, elle aura des effets bénéfiques sur l’économie luxembourgeoise, notamment en ce qui concerne la recherche.
Les investissements dans la recherche publique ont été l’une des priorités de ce gouvernement. Les crédits alloués à la recherche ont pratiquement quadruplé entre 1999 et 2004, passant de 11 millions d’euros à 41 millions d’euros. En combinaison avec les fonds que l’État met à disposition de la recherche dans le secteur privé, le Luxembourg atteindra en 2005 son objectif de 0,3 % du PIB de fonds pour la recherche. Nous sommes d’avis que ces efforts devront se poursuivre afin de rattraper le retard européen – et donc luxembourgeois – sur les niveaux qu’États-Unis d’Amérique et d’autres pays appliquent depuis longtemps déjà. Il ne suffit pas d’affirmer que l’avenir se trouve dans nos cellules grises, notre seule matière première, encore faut-il que nos cellules grises puissent s’adonner à la recherche. Le Luxembourg compte environ 450 chercheurs compétents, mais ce nombre doit être augmenté. Quant aux chercheurs, ils ont besoin de l’État pour progresser. Mais pas uniquement de l’État. Le secteur privé est encore plus sollicité, fait dont il a d’ailleurs tout à fait conscience.
Il peut arriver que, parfois, même la recherche la plus poussée n’apporte aucun résultat à court terme. Je citerai à cet égard l’exemple du programme national de réduction des émissions de CO2. Il ne sera pas possible de réaliser l’objectif de Kyoto visant à réduire les émissions de CO2 au Luxembourg de 28 % par le seul effort national. Je l’ai pensé longtemps et espéré encore plus longtemps, car il est moralement difficile d’utiliser les mécanismes de compensation flexibles proposés par le protocole de Kyoto et les directives européennes. Je l’ai pensé, car les responsables nous ont assuré, il y a de cela plusieurs années, que nous parviendrions aisément à réaliser l’objectif de réduction fixé. Aujourd’hui, il faut nous rendre à l’évidence : nous n’y parvenons pas. Des augmentations massives du prix des carburants – lesquelles auraient des conséquences économiques et financières lourdes – ne permettraient pas pour autant de résoudre le problème. Elles ne contribueraient pas à réduire les émissions de CO2 ou à protéger le climat. Les émissions se délocaliseraient tout simplement. Votre Chambre a débattu de cette problématique. Vous en êtes bien au courant.
Le gouvernement entend créer un Fonds de protection du climat afin d’accompagner financièrement les conséquences de la réduction et de la compensation.
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,
Un discours sur l’économie et le développement serait incomplet s’il n’abordait pas l’artisanat et les classes moyennes.
Dans le secteur de l’artisanat, le nombre d’emplois connaît une croissance continue. Au total, 1 800 emplois – c’est-à-dire un emploi sur trois au Luxembourg – ont été créés en 2003 dans l’artisanat. Ce secteur compte aujourd’hui 4 171 entreprises qui occupent 54 342 personnes. En 1980, l’on dénombrait seulement 24 000 personnes. L’année dernière, l’artisanat a représenté 10 % du PIB, soit autant que l’industrie. En 2003, le commerce et l’artisanat ont fait état de plus de 100 millions d’euros en investissements et ont bénéficié de subsides accordés par l’État. L’artisanat évolue bien et les gouvernements successifs, y compris l’actuel gouvernement, ne l’ont pas abandonné, comme le démontrent notamment les récentes décisions de la SNCI relatives aux crédits.
Mais je ne souhaite pas évoquer ce qui fonctionne et tiens plutôt à parler des points qui posent problème. J’en vois essentiellement deux.
Des craintes sont nées selon lesquelles le secteur du génie civil pourrait connaître en partie des difficultés. Le gouvernement rencontrera dans les trois prochaines semaines des représentants de ce secteur pour examiner conjointement les possibilités d’intervention préventive. L’immobilier, le bâtiment, va mieux. Pour cette raison, les mesures fiscales spécifiques introduites l’année passée en faveur du secteur du bâtiment seront reconduites en 2005, ceci afin d’éviter tout engorgement dans ce secteur. Le prochain gouvernement devra veiller par ailleurs à l’application de l'impôt sur la spéculation foncière, annoncée il y a deux ans, à l’échéance proposée.
Des critiques ont été formulées concernant les charges administratives trop lourdes qui incombent aux petites et moyennes entreprises. Nous prenons ces critiques au sérieux. Cependant, il faut savoir accepter que, dans une économie de plus en plus complexe et diversifiée, les décideurs politiques ont besoin d’un nombre toujours croissant d’informations de la part des entreprises, non pas dans le souci de tout savoir, mais dans celui d’en savoir suffisamment pour éviter de commettre erreur sur erreur. Malgré tout, l’ensemble des acteurs concernés – les représentants professionnels, les députés, les chefs d’entreprise – exigent une réduction des charges administratives des PME. Alors, mettons-là en œuvre ! Quoi qu’il en soit, j’ai le sentiment que le ministère des Finances et ses administrations sont pour une très large part à l’origine du poids excessif en termes de charges normatives et régulatrices. J’avoue ne pas avoir suffisamment étudié la question. Il y aura une cure d’amaigrissement dans le domaine financier : c’est une promesse que je tiendrai si l’on m’en donne une nouvelle fois l’occasion.
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,
Un emploi sur trois au Luxembourg est créé dans le secteur de l’artisanat. J’ai dit précédemment que fin 2003, la population active comptait 291 468 personnes, soit 43 207 de plus que cinq ans plus tôt. Trois mois plus tard, en mars 2004, ce chiffre s’élevait déjà à 295 062, soit 3 594 travailleurs de plus, à raison de quelque 1 200 par mois.
Si nous nous penchons sur le nombre de salariés, nous constatons qu’entre mars 2003 et mars 2004, il a progressé de 5 273 unités et qu’entre février 2004 et mars 2004, il a augmenté de 1 563 unités. Conclusion : le taux de création d’emplois affiche une croissance, voire même une croissance fulgurante si l’on se réfère au mois dernier. Si ce rythme se maintient tout au long de l’année 2004, le nombre d’emplois créés sera supérieur par rapport à 2003. Mais il est encore trop tôt pour pouvoir l’affirmer de manière définitive. Néanmoins, un constat s’impose d’ores et déjà : la situation sur le marché de l’emploi s’améliore, comme le confirment les derniers chiffres relatifs au chômage, qui a diminué en février 2004 de 2,2 % et en mars de 1,8 %, portant le nombre total de chômeurs à 8 749. Avec 4,3 %, le taux de chômage luxembourgeois demeure le plus bas d’Europe, mais il est néanmoins trop élevé pour le Luxembourg. Il était déjà trop élevé en mars 2003 avec 3,7 %, un taux malheureusement déjà atteint au cours de la précédente législature.
Contrairement à ce qu’a laissé entendre il y a quelques semaines une famille politique européenne, nous ne sommes pas d’avis qu’un taux de chômage de 5 % est synonyme de plein emploi. Le plein emploi reste notre but : au sein d’une économie moderne en mutation telle que l’économie luxembourgeoise, ce plein emploi correspond à un taux de chômage inférieur à 3 % – inférieur de peu, car il est impossible d’éliminer de manière durable le chômage frictionnel découlant des processus d’adaptation nécessaires.
Vu la situation expansive sur le marché de l’emploi, d’aucuns pourraient en déduire que nous parviendrons sans difficulté à atteindre un taux de chômage inférieur à 3 %. Sur les 1 563 emplois créés le mois passé, 1 038 ont été occupés par des frontaliers, soit les deux tiers. De plus, 938 offres d’emplois sont restées vacantes. Pour dire les choses simplement, trop simplement : le chômage aurait pu, le mois passé, régresser de 1 563 unités plus 938 unités, soit au total 2 501 unités, et donc tomber à 6 411 personnes, soit à un taux de 3 %. Ceci dit, les salariés d’entreprises et les personnes sur le marché de l’emploi ne sont pas des « unités ». Ce sont des êtres humains avec leur vie, leurs attentes, leurs histoires personnelles, leurs rêves et leurs espoirs. Voilà pourquoi, sur le papier, tout est possible, mais qu’il en va autrement dans la réalité. En théorie, tout est possible. En pratique, non. En théorie, l’on dit partout en Europe : « Créez des emplois et le chômage régressera ». En pratique, le nombre d’emplois augmente certes au Luxembourg. Pourtant, en pratique également, le chômage ne diminue pas assez au Grand-Duché. Conclusion : laissons les échiquiers et les planches de dessin aux pions et aux données, les êtres humains n’y ont pas leur place. Parce que ce sont des êtres humains, des êtres humains libres. Parce que ce sont des êtres humains et pas des pions. Enfin, parce qu’ils ne fixent pas eux-mêmes les données, mais qu’elles leur sont souvent tout simplement présentées telles quelles, parce qu’elles leur sont imposées sans qu’ils aient pu les influencer.
Vous souhaitez un exemple ? Voici donc un exemple !
Concrètement, 65% des personnes au chômage sont des étrangers résidant et ayant travaillé au Luxembourg, dont majoritairement des Portugais. Or, 80% des Portugais au chômage n’ont pas de qualifications. Ils viennent au Luxembourg pour accepter un emploi spécifique qui correspond à leur profil. Lorsqu’ils perdent cet emploi – tout aussi qualifiés qu’ils aient été pour cet emploi –, il leur manque les qualifications nécessaires pour trouver un autre emploi qualifié. Notre système scolaire n’y est pour rien. En effet, leur scolarité s’est faite dans un système différent du nôtre. Les postes qu’ils ne peuvent accepter en raison du manque de qualification sont occupés par des frontaliers. Non pas parce que les frontaliers sont en principe mieux formés que les personnes résidant au Luxembourg, mais simplement parce qu’il y a un nombre supérieur de frontaliers plus qualifiés en Belgique, en France et en Allemagne qui sont au chômage. Ils ne trouvent pas d’emploi dans leur pays pour la simple et bonne raison que dans des régions affichant un taux de chômage de l’ordre de 10 à 15 %, il n’y a pas assez d’emplois qualifiés pour les nombreux travailleurs qualifiés. À l’inverse, au Luxembourg, la demande de travailleurs qualifiés est considérable, alors que les personnes au chômage ne sont pas assez qualifiées, notamment parce que leur formation se limite au poste pour lequel elles se sont installées au Grand-Duché.
Les Luxembourgeois au chômage souffrent également de leur manque de qualifications. Ils étaient expérimentés pour un travail précis, mais n’ont pas les compétences nécessaires pour occuper d’autres emplois créés. Contrairement à ce que nous pensons, il ne s’agit pas d’un cas spécifiquement luxembourgeois : même dans les pays connaissant un chômage élevé, les postes créés dans des régions affichant une création nette d’emplois restent souvent vacants par manque de travailleurs qualifiés locaux. À l’étranger, il s’agit d’un problème relevant de l’inadéquation entre l’offre et la demande régionales. Au Luxembourg, cette inadéquation est directement nationale.
La réponse au problème de l’inadéquation entre l’offre et la demande réside à l’évidence dans la formation professionnelle continue.
Nos travailleurs doivent devenir employables. Nous devons miser sur l’employabilité, terme d’usage durant le sommet européen sur l’emploi qui s’est tenu en 1997 au Luxembourg.
Longtemps négligée au Luxembourg, la formation continue de la population active s’est considérablement développée depuis l’entrée en vigueur de la loi du 22 juin 1999. Ont pris part à des mesures de FPC 117 entreprises comptant 54 500 employés en 2000, 173 entreprises comptant 65 139 employés en 2001 et 232 entreprises comptant 70 524 employés en 2002. En 2002, 18 % des travailleurs ont suivi, grâce à l’aide des entreprises et de l’État, une mesure de FPC, alors que la moyenne de l’UE s’établit à 13 % seulement. Mais ce n’est pas encore suffisant. Plus de personnes doivent améliorer leur employabilité par le biais de telles mesures. La nouvelle loi sur la formation continue individuelle complétera adéquatement la loi sur la formation professionnelle continue. Entre 2000 et 2003, la contribution de l’État – qui finance à hauteur de 10 % maximum les mesures de FPC – s’est élevée, pour la formation continue, à 66 millions d’euros, soit 2,6 milliards de francs luxembourgeois au total ou 660 millions de francs par an.
La formation professionnelle continue et la formation continue individuelle doivent se développer davantage. Certes, elles sont synonymes de coûts pour l’État et les entreprises. Mais elles sont nécessaires pour réduire la durée d’un éventuel chômage, en ce sens qu’elles assurent les qualifications indispensables à un nouveau poste.
Il faut également intervenir sur d’autres fronts. Ainsi, l’école doit s’ouvrir davantage aux élèves étrangers, notamment en adaptant le régime linguistique prescrit à leurs aspirations professionnelles. Cette adaptation est en cours à l’heure actuelle et nous disposons déjà des premiers résultats : cette année, le nombre d’élèves étrangers inscrits dans l’enseignement secondaire classique a augmenté, passant de 14 à 21,3 %. Ces 21,3 % d’élèves auront plus de chances sur le marché de l’emploi lorsqu’ils quitteront l’école.
Le marché de l’emploi et la gestion du marché de l’emploi : marché de l'emploi et Administration de l'emploi sont deux termes qu’il faut prononcer d’un même trait. L’Administration de l’emploi ou ADEM est le machiniste du marché de l’emploi et ce machiniste devient de plus en plus actif. De 120 fonctionnaires fin 1999, l’ADEM est passée à 153 fonctionnaires en 2004. Parmi eux, 43 composent le personnel du Service de placement. Il s’agit concrètement de 23 placeurs qui conseillent 4 000 chômeurs par mois, de 2 assistants sociaux qui les aident, de 4 psychologues et 2 éducateurs qui, l’année dernière, ont assuré un suivi plus individuel de 2 033 chômeurs ainsi que de 7 consultants externes issus du secteur privé qui ont la connaissance nécessaire du paysage entrepreneurial local. L’ADEM est loin d’être une administration passive, car elle met en œuvre un nombre impressionnant de mesures d’occupation actives : ne serait-ce qu’en février 2004, ses employés ont organisé au total 3 015 mesures spécifiques telles que des stages en entreprise, des journées de réinsertion professionnelle, des formations ou encore des mises au travail. Le chômage peut être combattu par le travail. Dès lors, les chômeurs doivent être occupés, ils doivent devenir ou rester employables. Toutes ces mesures seront renforcées, tout comme le personnel du Service de placement qui, courant 2004, devrait obtenir un certain nombre de collaborateurs supplémentaires.
Que personne cependant ne se laisse bercer par la douce illusion qu’une lutte administrative contre le chômage et des mesures publiques de placement renforcées viendront à bout du chômage. Chômage et plein emploi ne sont pas à la seule charge de l’État. Tous deux font bien entendu partie des missions de l’État, mais pas de l’État seul. Chacun doit apporter sa contribution. Le chômage nous concerne tous.
À commencer par les personnes au chômage, qui doivent clairement afficher la volonté de devenir employables. Et lorsqu’elles sont employables, elles doivent clairement afficher la volonté d’être employées même si cela peut signifier, à titre exceptionnel, qu’elles doivent accepter un emploi moins bien rémunéré que leur précédent travail. L’État leur versera alors une aide au réemploi. Quoi qu’il en soit, elles doivent également s’engager activement pour sortir du chômage. À l’avenir, le ministre du Travail et de l’Emploi accordera une prime d’encouragement spéciale aux chômeurs qui auront cherché et trouvé un emploi de leur propre initiative.
Les entreprises ensuite, qui doivent recourir davantage aux instruments existant en matière de politique de l’emploi. La loi PAN de 1999 autorise la réduction du temps de travail si les emplois ainsi créés sont occupés par des chômeurs. Si les partenaires sociaux arrivent à s’accorder sur une telle réglementation au niveau des conventions collectives, l’État est tout à fait prêt à supporter une partie des charges dues à la réduction du temps de travail. En effet, il attend que de telles conventions collectives soient conclues, et ce depuis 1999. Dans le prolongement de cette idée, le ministre du Travail et de l’Emploi a proposé un nouvel instrument : l’État est également disposé à prendre en charge une grande partie des coûts engendrés par la réduction du temps de travail si celle-ci permet d’éviter des mises au chômage technique. J’invite les représentants du patronat encore réticents à abandonner leur attitude de refus sur ce point. Nous préférons payer des personnes qui restent employées plutôt que des personnes qui perdent leur emploi parce que rien n’a été tenté pour le sauvegarder.
Je veux également lancer un nouvel appel en faveur de l’ouverture aux chômeurs des emplois temporairement vacants en raison de congés parentaux. Nous dénombrons tout de même 2 300 femmes et 600 hommes en congé parental. Ces femmes et ces hommes laissent des postes vacants que les personnes au chômage peuvent occuper, si pas dans tous les cas, du moins dans la plupart.
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,
La société dans son ensemble doit se préoccuper davantage de l’emploi et des enfants. Vie professionnelle et vie familiale doivent pouvoir être mieux conciliées.
Le congé parental suit à cet égard la bonne direction et a connu un très grand succès. Par ailleurs, l’augmentation du nombre de places dans les crèches doit être poursuivie, car elle permet aux parents et aux enfants de combiner travail et famille. De nombreuses mesures ont été prises dans ce domaine. Ainsi, entre janvier 1999 et janvier 2004, le nombre de places dans les crèches conventionnées a augmenté de 876 à 1 338, soit un accroissement de 53 %. Pour l’heure, cinq nouvelles crèches conventionnées sont en cours de construction et trois en cours de planification. Cet effort doit encore être renforcé, tout comme les entreprises devraient également mettre en place davantage de crèches pour permettre aux parents de faire garder leurs enfants à proximité de leur lieu de travail. À l’heure actuelle, nous comptons seulement trois crèches d’entreprise au Luxembourg – un nombre bien insuffisant. Les écoles avec des infrastructures ouvertes toute la journée – les cantines et un endroit dans l’école où les enfants se rendent avant et après les cours – permettent également de concilier travail et famille. 18 projets de ce type sont en cours de réalisation, 51 sont à l’étude. L’école à plein temps facultative, et non celle obligatoire, constitue un autre moyen pour combiner école, travail et famille. Nous devons nous atteler ensemble à ces projets.
Si école, vie professionnelle et vie familiale sont combinées, cela entraînera la mise en place d’un marché de l’emploi capable d’accueillir davantage de personnes résidant au Luxembourg, surtout des femmes et des mères.
Si l’employabilité est accrue, cela permettra de créer petit à petit des salariés qui ne seront pas perdus sur le marché de l’emploi en cas de chômage.
Si les partenaires sociaux tendent résolument vers de nouveaux modèles d’emploi – dans lesquels la réduction du temps de travail après négociation ne doit pas demeurer un tabou –, cela permettra de sauvegarder plus d’emplois et de réinsérer plus de chômeurs dans la vie professionnelle.
Renforcer l’efficacité des mesures de placement ne suffira pas à endiguer le chômage au Luxembourg. Mais cela contribuera à résoudre le problème.
Non, le plein emploi dans le sens moderne du terme n’est pas une illusion. Si nous continuons à créer de nouveaux emplois, si nous générons une croissance plus sensible et si tous les partenaires – l’État, les entreprises, les partenaires sociaux, les chômeurs – font preuve d’un engagement actif, nous réaliserons notre objectif de plein emploi.
Une tâche d’une plus grande ampleur encore nous incombe. Et, dans ce contexte, il y a une erreur que nous ne devons pas commettre.
Cette tâche consiste à faire d’importants efforts jusqu’en 2010 pour mettre en œuvre au Luxembourg également, du mieux que nous savons et pouvons, l’agenda de réforme du processus de Lisbonne. Il s’agit d’un agenda pour plus de croissance, plus d’emploi, plus de compétitivité, plus d’utilisation des opportunités. En mars de l’année prochaine, sous la Présidence luxembourgeoise, cet agenda fera l’objet d’une révision qui sera axée sur sa cohérence et sa faisabilité. Cette révision à mi-parcours sera préparée, dans la perspective de 2010, par un groupe d’experts présidé par l’ancien Premier ministre néerlandais Wim Kok. Je me réjouis que Wim Kok ait appelé le directeur général de SES, Monsieur Romain Bausch, à faire partie de ce groupe. Monsieur Bausch connaît l’économie et les personnes qui y travaillent.
La révision à l’échelle européenne, nous la faisons à Bruxelles. Mais l’agenda doit être mis en œuvre au Luxembourg. Cet agenda comporte de nombreuses parties et aborde de nombreux domaines de notre vie nationale. Il constitue un véritable plan d’action en faveur de l’innovation et de la compétitivité. lnnovation et compétitivité : ces deux concepts ne doivent pas faire peur, ils doivent servir le pays et les êtres humains. Dès lors, nous proposons un pacte, un traité au pays, en faveur de l’innovation. Un gouvernement, aussi bon soit-il, ne peut mener à lui seul ce processus. C’est pourquoi nous devons travailler ensemble avec la Chambre, la Tripartite, le Conseil économique et social et d’autres partenaires.
Dans le cadre de la lutte contre le chômage et de la mise en œuvre de l’agenda européen de réforme, il y a une erreur que nous ne devons pas commettre : imiter les mauvais exemples de l’étranger. Partout, on essaie de chasser le chômage en chassant le droit du travail. Ce n’est pas le bon moyen.
Le chômage ne peut être combattu en diminuant les indemnisations aux chômeurs. Il faut supprimer les indemnisations des personnes qui ne veulent pas travailler. Par contre, il faut continuer à les verser aux personnes qui sont temporairement au chômage et qui – parce qu’elles sont employables ou veulent le devenir – retrouveront rapidement un travail.
Le chômage ne peut être combattu en déchiquetant le droit du travail et en précarisant les relations de travail. La population active doit se montrer flexible, c’est un fait. Mais elle a aussi besoin de sécurité. Si, tous les six mois, mon père avait dû se demander avec crainte si son contrat de travail était prolongé une nouvelle fois, il n’aurait jamais pu prendre le risque financier de laisser son fils faire des études. Nous ne voulons pas d’un monde où seuls ceux qui ont tout peuvent tout donner à leurs enfants. Les recettes faciles sont fausses. La réalité est telle qu’elle requiert des réponses nombreuses et pointues, des réponses formulées de telle manière que chacun s’y retrouve.
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,
Notre représentation générale, dont je viens de décrire les morceaux intitulés « économie » et « emploi », inclut également un troisième morceau intitulé « politique financière ». Celle-ci s’est trouvée au cœur d’un débat très animé en décembre 2002, lors du vote du budget, et en mai 2003, lors du discours sur l’état de la nation. D’aucuns prétendaient en octobre/novembre 2002 que le pays traversait une récession, que le budget capotait, que nous perdions tout contrôle sur les finances, que nous allions devenir un État déficitaire, que l’élève modèle de l’Europe devait se faire rappeler à l’ordre et que le premier de la classe allait être recalé fin 2003.
Voyons donc un peu, en cette fin avril 2004, les notes que cet élève a obtenues fin 2003.
Je peux vous assurer que ses notes étaient bonnes. Il a réussi son examen sans ajournement. Il n’a pas eu besoin de copier sur son voisin ou d’aller devant le tribunal : il n’a pas eu besoin de le faire, il n’aurait pas pu le faire de toute manière et il serait d’ailleurs souhaitable que personne à l’école ne le fasse.
En 2003, nous avons dépensé 6,480 milliards d’euros, soit un plus de 136 millions par rapport à ce qui avait été initialement prévu. Nous avons dépensé 10 millions de plus pour la formation continue, 10 millions de plus pour le congé parental, 16 millions de plus pour l’assurance sociale, 8 millions de plus pour le Fonds agraire – car les agriculteurs ont beaucoup investi en 2002/2003 –, 11 millions de plus pour le Fonds du rail et 50 millions de plus pour le Fonds pour l’emploi, et ainsi de suite.
Nous avons pu investir ces 136 millions dans des projets sociaux et économiques parce que nos recettes, qui s’élevaient à 6,562 milliards d’euros, ont dépassé de 212 millions le niveau que nous avions prudemment fixé en décembre 2002.
Le budget 2003 est clôturé en tout et pour tout avec un excédent de 76 millions d’euros, soit 3 milliards de francs luxembourgeois.
Le budget 2003 est resté équilibré parce que le ministre du Budget a su garder le contrôle sur les dépenses. Il est resté équilibré parce que, dans l’ensemble, les impôts avaient été évalués correctement et prudemment. Nous avons enregistré des baisses pour l’impôt sur les sociétés et la taxe d'abonnement, une évolution qui ne pouvait être totalement exclue dès le départ. Cependant, malgré la réforme fiscale – celle qui n’a pas fait l’objet d’un contre-financement comme une certaine personne l’a dit –, nous avons engrangé un surplus au niveau de l’impôt sur le revenu, de l’impôt sur la fortune et de la TVA. Dans le cas de la TVA, ce surplus découle de l’important niveau de consommation au Luxembourg, qui est dû à la réforme fiscale, à la conclusion d’accords salariaux dans le secteur privé et à la politique salariale continuée dans le secteur public, à l’augmentation des pensions, à AOL et à d’autres. Des négociations et des arrangements satisfaisants avec la Belgique ont en outre généré une plus-value conséquente au niveau des recettes communes de l’UEBL. En d’autres termes : malgré la crise économique en Europe et les difficultés conjoncturelles au Luxembourg, malgré et surtout aussi grâce aux investissements importants, malgré et surtout aussi grâce à la réforme fiscale – qui ne doit bien entendu pas être remise en question –, malgré la réforme des pensions – qui doit bien entendu, tout comme les pensions proprement dites, être raffermie sur le long terme –, malgré et surtout aussi grâce à la politique salariale, malgré et surtout aussi grâce à l’augmentation des allocations familiales et d’autres prestations sociales, tous les budgets mis en œuvre par ce gouvernement étaient équilibrés, notamment et surtout le budget 2003 qui, avec le budget 2004, était le plus ardu.
Nous nous en réjouissons. C’est la preuve que nous n’avons pas fait fausse route sur le plan financier. Mais, nous ne triomphons pas. Car les temps restent difficiles. La situation financière demeure tendue. Les problèmes restent importants. Nous ne sommes pas arrivés au bout de nos peines. Au contraire, nous peinons encore. Nous n’avons pas de marge de manœuvre pour des extravagances, ni des cadeaux. Ni maintenant, ni l’année prochaine, ni l’année d’après. Avec une progression réelle inférieure à 0,6 %, le budget 2004 connaît une croissance très lente. Le budget 2005 ne pourra pas afficher un rythme beaucoup plus rapide. Je tenais à clarifier les choses, comme l’aurait dit mon prédécesseur. Car des risques subsistent et nous devons être en mesure d’y faire face.
Nous sommes bien préparés à affronter ces risques.
Le gouvernement précédent a laissé à l’actuel gouvernement 1,7 milliard d’euros de réserves financières. L’actuel gouvernement laisse au prochain 3 milliards d’euros de réserves financières, soit 120 milliards de francs luxembourgeois. D’aucuns prétendaient que nous allions épuiser les réserves. En réalité, nous les avons accrues.
À la fin de la dernière législature, la dette publique s’élevait à 700 millions d’euros. Au terme de l’actuelle législature, elle ne s’élève plus qu’à 400 millions, soit 1,7 % de notre PIB. La dette des autres États membres de l’UE représente en moyenne 70 % du PIB.
Nous avons procédé à une réforme fiscale, investi beaucoup d’argent, augmenté les réserves et réduit les dettes. Ce n’est pas tout. Mais c’est déjà cela. Une présentation nationale du budget, qui permet des comparaisons historiques, est désormais disponible et existe dans tous les pays. Je vous l’ai présentée tout à l’heure.
Il existe également pour le budget une présentation européenne, une présentation selon les critères de Maastricht, que je vous remets à présent.
Comment sont calculés le budget et le déficit selon la méthode Maastricht, selon les règles du pacte de stabilité ? Les recettes et dépenses publiques, les recettes et dépenses communales ainsi que les recettes et dépenses de la sécurité sociale sur une même année sont examinées. Si, au cours d’une année, les dépenses dépassent les recettes, la différence entre les deux équivaut au déficit de l’année. Cette méthode de calcul nécessite une réforme. Mais voyons tout de même ce que donne la méthode de calcul selon les critères de Maastricht si elle est appliquée aux comptes de clôture du budget luxembourgeois pour 2003. Il en résulte un léger déficit, qui n’en est pas un en réalité, à savoir 0,1 % du PIB. En d’autres termes, selon la méthode relevant du pacte de stabilité du traité de Maastricht, notre budget 2003 est quasiment, voire totalement équilibré. Nous sommes loin, très loin même des 3 % de déficit budgétaire que certains nous prédisent et persistent à annoncer.
J’ai dit que le pacte de stabilité nécessitait une réforme. Il y a deux principales raisons à cela.
La première raison est que si, comme nous, on ne dépense pas tout de suite les excédents budgétaires générés, mais qu’on les garde de côté pour pouvoir les utiliser au cours d’années plus fastes en dépenses qu’en recettes, l’argent ainsi économisé est considéré comme un déficit au moment où il est employé. En d’autres termes, les milliards que nous avons en réserve, que nous avons économisés, que nous avons mis de côté, deviennent un déficit si nous les utilisons pour des investissements qui, pour des raisons d’ordre économique, doivent être faits au cours d’une année où, faute de recettes, ils ne peuvent être imputés au budget des dépenses courantes. Cela va à l’encontre du bon sens et d’une politique financière pluriannuelle adaptée à la conjoncture. La Commission européenne le voit également ainsi, car son évaluation du dernier programme de stabilité luxembourgeois indique qu’il faudrait tenir compte, lors du calcul technique du déficit, du fait que le Luxembourg dispose de réserves élevées et que sa dette publique est réduite.
La deuxième raison est qu’il est de moins en moins sensé d’appliquer le pacte de stabilité sans tenir compte des cycles économiques. Que l’économie connaisse une croissance ou une stagnation, un pacte est un pacte, 3 % sont 3 %, un déficit est un déficit. Nous sommes d’avis qu’une telle vision est erronée. Si l’économie stagne, les pays de la zone euro doivent pouvoir faire plus de déficit afin de soutenir la conjoncture. Si, par contre, l’économie connaît un boom, les excédents fiscaux doivent être utilisés exclusivement pour réduire les dettes et le déficit. Si le cycle économique est positif, il faut économiser davantage que ce qui est prévu actuellement par le pacte. Si le cycle est négatif, il faut pouvoir économiser moins que ne le permet actuellement le pacte.
C’est là la position que le gouvernement luxembourgeois et son ministre des Finances ont adoptée depuis longtemps. Cette position explique aussi l’attitude du gouvernement dans le débat houleux sur le déficit entre la Commission et nos amis allemands et français. Nous, et tous les autres ministres des Finances européens, pensons néanmoins également que cette réforme ne devrait pas intervenir maintenant, mais seulement sous la Présidence luxembourgeoise de 2005. Si une telle réforme était entamée maintenant, elle enverrait de mauvais signaux aux marchés financiers et aux parlements nationaux. Attendre la Présidence luxembourgeoise semble judicieux à d’aucuns, car ils estiment que nous pourrions – comme par le passé – intervenir de manière crédible et constructive dans cette question.
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,
Économie, finances, emploi : sur ces trois scènes se joue la pièce luxembourgeoise. Mais cette pièce n’est pas un jeu et les trois scènes ne mettent pas en lumière tout ce que nous sommes, tout ce que nous avons et tout ce que nous savons faire. Un petit pays a lui aussi plus à montrer que des chiffres, des données, des faits. Il est impossible de décrire intégralement l’ampleur et la diversité de la vie luxembourgeoise dans un discours rapide et, malgré tout, trop long. Il faudrait passer en revue tant d’autres aspects que je n’ai pas abordés pour offrir une image juste et fidèle du Luxembourg et de ses habitants.
J’aurais ainsi aimé avoir l’occasion d’évoquer ces nombreuses personnes qui, dans notre société, font du bénévolat et qui, si nous voulions les professionnaliser, nous coûteraient les yeux de la tête. Ainsi, le remplacement des 2 150 volontaires de la Protection civile par des professionnels engendrerait des coûts annuels d’au moins 30 millions d’euros. Faites donc le calcul des montants qui s’accumuleraient si les volontaires ou bénévoles de la Protection civile, des brigades du feu, d’autres services d’assistance, des associations de jeunes, des associations sportives et des associations culturelles devaient être remplacés par des employés. Il faudrait alors discuter de problèmes, de problèmes de financement, de recrutement, de représentation du bénévolat. Ce sera pour l’année prochaine.
J’aurais également dû aborder en détail la question des réfugiés, de leurs problèmes et de nos problèmes avec certains d’entre eux. Nous l’avons certes déjà fait quelquefois ici même et cela se termine à chaque fois de la même façon. Chacun en sait plus que les autres, mais personne ne sait rien de concret.
J’aurais souhaité parler également de l’école, et pas uniquement de la formation professionnelle et de la formation continue. Mais, chaque année, l’école fait l’objet d’un débat particulier à la Chambre. J’en m’en tiendrais à un seul point, bien qu’il ne constitue pas le problème le plus important de l’école : laissons l’école hors des salles des tribunaux. Elle n’y a pas sa place. L’école doit résoudre ses problèmes de même que ses conflits en son sein. C’est sa mission. Si elle ne dispose pas de tous les moyens nécessaires pour trouver une solution à ses propres difficultés, il nous incombera de les lui donner.
J’aurais également voulu revenir sur les épisodes qui, ces cinq dernières années, nous ont rendus heureux : sur l’avènement au trône, notamment, événement en tous points accompli qui s’inscrit dans la continuité de notre histoire. Mais également sur les faits qui sont source de tristesse : la prise d’otages à Wasserbillig – mes heures les plus difficiles depuis que je suis au gouvernement
–, l’accident de l’avion Luxair, les nombreuses victimes d’accidents de la circulation. Mais tout cela, nous l’avons tous vécu ensemble et chacun de nous en a gardé ses images et ses réflexions.
Il aurait certainement été utile de traiter en détail des sujets « eLëtzebuerg » et « eGovernment », des progrès notables qui ont été réalisés dans le cadre de ces projets et des motifs expliquant certains retards. Je remets au président une note démontrant que nous sommes plus efficaces que d’aucuns ne le prétendent de temps en temps et indiquant ce qui reste encore à faire.
J’aurais souhaité aborder de manière exhaustive le concept intégré du développement spatial et des transports – Integratives Verkehrs- und Landesentwicklungskonzept ou IVL – pour le Luxembourg. Je brûle de formuler les remarques personnelles que j’ai sur le bout de la langue concernant l’IVL. Ce document d’avenir constitue certes un défi, mais présente aussi beaucoup d’atouts. Comment le Luxembourg devrait-il grandir et améliorer l’interaction en son sein ? Comment devrait-il se développer, comment devrait-il organiser ses actions et coordonner son mouvement ? Où et comment devrons-nous travailler, habiter, conduire, nous amuser, en un mot, vivre ? Combien de trains, combien de trams, combien de routes et combien de communes nous faut-il ? Ces questions, des questions pertinentes et importantes pour notre pays, pour son avenir, sa modernité et sa durabilité, sont des questions qui vont jusqu’à la moelle, car elles concernent l’épine dorsale du Grand-Duché. Vous avez mené un débat à ce sujet la semaine passée et ce débat était d’un niveau élevé. Mes compliments ! Les réponses à ces questions ne peuvent pas être décrétées d’en haut, mais doivent découler d’une large débat national sur l’avenir du pays, débat qui devra permettre à tout individu de prendre la parole. Au lieu de mener les débats, ceux qui gouvernent devraient plutôt tendre l’oreille, bien écouter et prendre part à la discussion, discuter avec les citoyens, et non seulement parler. Une chose est certaine : le grand débat sur la modernisation est nécessaire. Il arrive plutôt trop tard que trop tôt. Pour y participer avec succès, il faut de l’expérience, de la patience, de la compréhension, de l’imagination et, enfin, du courage. C’est le plus grand défi des dernières décennies auquel le pays et la politique doivent faire face. Je suis – comme d’ailleurs à propos d’autres questions – convaincu que nous allons y arriver. Nous devons y arriver dans notre propre intérêt. Nous devons y arriver dans l’intérêt des générations futures.
Les années à venir seront importantes. La Présidence l’année prochaine : nos résultats y seront une dernière fois évalués. L’année culturelle 2007 : nous devrons montrer que nous sommes meilleurs que certains ne le prétendent. L’IVL : nous devrons prouver que nous savons résoudre nos propres problèmes.