Avis de la Commission consultative des Droits de l'Homme sur le projet pour une charte des droits fondamentaux

N° 1/2000

I. Remarques préliminaires

Les 3 et 4 juin 1999, à l’occasion du Conseil européen de Cologne, les chefs d’Etat ou de gouvernement de l’Union européenne ont décidé qu’il était nécessaire d’établir "au stade actuel de l’Union" une charte des droits fondamentaux qui "doit contenir les droits de liberté et d’égalité, ainsi que les droits de procédure tels que garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales [ci-après la "CEDH"] et tels qu’ils résultent des traditions constitutionnelles des Etats membres, en tant que principes généraux du droit communautaire. La Charte doit en outre contenir les droits fondamentaux réservés aux citoyens de l’Union. Dans l’élaboration de la charte, il faudra par ailleurs prendre en considération des droits économiques et sociaux tels qu’énoncés dans la Charte sociale européenne et dans la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs (article 136 CE ) dans la mesure où ils ne justifient pas uniquement des objectifs pour l’action de l’Union." (Conclusions du Conseil européen de Cologne du 3 et 4 juin 1999).

A l’occasion du Conseil européen qui s'est tenu à Tampere en octobre 1999, les chefs d’Etat et de gouvernement ont défini la composition, la méthode de travail et les modalités pratiques d’une enceinte chargée d’élaborer le projet de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

Le présent avis porte sur le projet pour une telle Charte basé sur le document Convent 50 identique à celui qui sera soumis aux chefs d’Etat ou de gouvernement de l’Union européenne qui se réuniront les 13 et 14 octobre 2000 à Biarritz et les 7, 8, et 9 décembre 2000 à Nice en Conseil européen pour décider entre autres du contenu et du statut de ce texte.

L’enceinte mise en place par le Conseil européen, appelée Convention, a été constituée par les représentants des chefs d’Etat ou de gouvernement des Etats membres, le représentant de la Commission, seize membres du Parlement européen, trente membres des parlements nationaux, ainsi que quatre observateurs, deux de la Cour de Justice des Communautés européennes, et deux représentants du Conseil de l’Europe, dont un membre de la Cour européenne des droits de l’homme.

La Convention a procédé à la consultation de nombreux organes européens ainsi que de nombreuses ONG européennes. Des membres de la Convention ont également organisé dans leurs pays respectifs des auditions publiques afin de consulter des éléments significatifs de leurs sociétés civiles sur la nature des droits qui devaient être inscrits dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. A Luxembourg, cela a été le cas les 10 mars, 26 mai et 16 juin à Luxembourg.

C’est le projet élaboré par cette enceinte et publié le 14 septembre 2000 qui est l’objet de cet avis de la Commission consultative des droits de l’homme (ci-après "la Commission consultative").

La Commission consultative s’est saisie elle-même de cet avis (article 2, alinéa 2 de l’arrêté ministériel du 26 mai 2000) dans la mesure où, n’ayant été que constituée en juillet 2000, elle n’avait pas pu participer aux auditions publiques organisées par les membres luxembourgeois de la Convention, et qu’il lui semble néanmoins indispensable qu’elle se prononce en fonction de son mandat sur une question aussi importante que celle du projet de Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne avant que les négociations entre gouvernements ne commencent.

Le projet de texte auquel le présent avis fait référence est le résultat d’une très large consultation et discussion qui est censée avoir fait la part du faisable en matière de codification de droits déjà consacrés et juridiquement contraignants dans un cadre unique dont l’utilité est "d’ancrer leur importance exceptionnelle et leur portée de manière visible pour les citoyens de l’Union" (Conclusions du Conseil européen de Cologne). C’est sous cette angle que la Commission consultative a analysé les différents articles du projet pour répondre aux questions suivantes :

Est-ce que le texte soumis constitue une avancée en matière de protection des droits fondamentaux des citoyens de l’Union européenne et des personnes résidant sur son territoire, et ce, comme le dit le préambule au projet de la Charte, "à la lumière de l’évolution de la société, du progrès social et des développements scientifiques" ?

Est-ce que le texte soumis constitue une avancée en matière de protection des droits fondamentaux des citoyens du Luxembourg et des personnes résidant sur son territoire ?

Est-ce que le texte contient des éléments qui devraient inciter le gouvernement et le législateur à prendre des mesures afin de faire progresser les droits des citoyens et les droits de l’homme sur son territoire ?

Est-ce que le projet soumis est cohérent et suffisant du point de vue de la technique législative de manière à satisfaire au critère de lisibilité qui est une conséquence de l’exigence de visibilité ?

Est-ce que le texte de la Charte devrait devenir juridiquement contraignant ?

Est-ce que le gouvernement devrait défendre cette position lors des prochains Conseils européens ?

C’est sous l’optique de ces questions que la Commission consultative a analysé le projet de la Charte et assorti certains articles de remarques et de recommandations à l’attention du gouvernement.

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II. Analyse "Article par article"

Préambule

Le projet de la Charte stipule à la fin de son préambule que "l’Union reconnaît les droits, les libertés et les principes énoncés" dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne comme une conséquence entre autres du fait que "les peuples de l’Europe (...) décidé de partager un avenir pacifique fondé sur des valeurs communes", comme cela est dit au début du préambule.

La Commission consultative estime que le seul Conseil européen ne peut pas se substituer aux organes de la souveraineté populaire des Etats membres pour décider de l’adoption d’un document dont l’ambition est d’être un texte fondateur d’un nouveau tournant dans l’approfondissement de l’intégration européenne. Cela vaut autant pour une Charte qui aurait le statut d’une déclaration politique que pour une Charte qui serait juridiquement contraignante.

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Art. 1. Dignité de la personne humaine

Cet article ne donne pas lieu à des observations particulières.

Art. 2. Droit à la vie

La Commission consultative salue cet article qui reprend l’acquis de l’article 2 de la CEDH et du 6e protocole de la CEDH.

Sachant que la Charte "ne crée aucune compétence ni aucune tâche nouvelle pour la Communauté et pour l’Union et ne modifie pas les compétences et tâches définies par les traités", sachant qu’elle s’adresse "aux institutions et organes de l’Union dans le respect du principe de subsidiarité, ainsi qu’aux Etats membres uniquement lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union" (cf. article 51 du présent projet), sachant également que le présent texte a été conçu de façon telle qu’il puisse être immédiatement intégré aux traités, la Commission consultative constate que la dimension évolutive implicite de ce projet de Charte transparaît de manière particulièrement forte dans la formulation de cet article, (cf. également remarques sur article 6), puisque l’Union n’a aucune compétence dans le domaine pénal qui est abordé à l’alinéa 2 du présent article, et encore moins dans le domaine des exceptions qui sont l’objet du 6e protocole de la CEDH.

Si la protection du droit à la vie peut déjà actuellement relever de différentes dispositions des trois, voire quatre piliers des traités, l’exercice d’une justice pénale au nom de l’Union ou dans l’application du droit de l’Union n’y est pas encore prévu.

Nous saluons que la peine de mort soit d’emblée prohibée dans un contexte où la problématique des expulsions, refoulements et extraditions vers des Etats tiers est d’une actualité certaine et où une évolution vers un droit pénal de l’Union ne doit pas nécessairement être exclue. Mais nous doutons fortement qu’un tel article puisse, au stade actuel de l’approfondissement de l’Union européenne, être invoqué au sein de l’Union, notamment en ce qui concerne les exceptions implicites qu’il comporte.

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Art. 3. Droit à l’intégrité de la personne

Cet article reprend l’acquis de la "Convention pour la protection des droits de l’homme et de la dignité de l’être humain à l’égard des applications de la biologie et de la médecine : Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine" et du "Protocole additionnel à la Convention pour la protection des droits de l'homme et de la dignité de l'être humain à l'égard des applications de la biologie et de la médecine, portant interdiction du clonage d'êtres humains" que le Luxembourg a signés le 4 avril 1997 respectivement le 12 janvier 1998. La Convention a pu entrer en vigueur le 1er décembre 1999 après sa ratification par 5 Etats. Le Protocole additionnel par contre a encore besoin d’une ratification pour entrer en vigueur.

La Commission consultative recommande également au gouvernement de s’engager pour une formulation de l’article 3 qui interdise le clonage reproductif des êtres humains, même à des fins thérapeutiques.

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Art. 4. Interdiction de la torture et des traitements inhumains ou dégradants

Cet article ne donne pas lieu à des observations particulières. (voir recommandations nationales)

Art. 5. Interdiction de l’esclavage et du travail forcé

Cet article ne donne pas lieu à des observations particulières.

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Art. 6. Droit à la liberté et à la sûreté

Cet article qui reprend l’acquis de l’article 5 de la CEDH paraît, à première lecture, tout à fait clair. Il peut cependant induire en erreur les destinataires de la Charte, dans la mesure où aucune référence n’est faite aux clauses limitatives qui font également partie de cet acquis. La Commission consultative s’interroge sur la cohérence de la technique législative du projet, puisque d’autres articles sont assortis directement de clauses limitatives, notamment quand celles-ci se réfèrent aux législations nationales.

La non-référence aux législations nationales et la référence implicite aux principes limitatifs généraux de la CEDH impliquent, au-delà de la réaffirmation de droits fondamentaux dont bénéficient les citoyens et les résidents des Etats signataires de la CEDH, que les auteurs de la présente Charte pensent qu’à l’avenir, des organes de l’Union pourraient également être habilités à les appliquer, donc à autoriser l’arrestation et la détention de personnes selon les modalités de l’article 5 de la CEDH.

Il s’agit là d’une ambiguïté fondamentale de cette Charte qui devance l’évolution des opinions publiques quant au degré d’approfondissement du processus d’intégration européenne.

La Commission consultative pense que le gouvernement devrait, lors de la négociation du texte de la Charte, insister pour qu’il y ait plus de clarté quant aux clauses limitatives des articles. Les utilisateurs de la Charte, en premier lieu les citoyens, ne sont pas censés savoir que dans tel ou tel article, les clauses limitatives sont implicites, comme c’est le cas pour l’article 6, mais également de nombreux autres articles (2, 5, 7, 10, 11, 12, 13, 17). Il s’agit, au-delà d’un problème de cohérence en matière de technique législative, d’une question de lisibilité qui est essentielle pour l’ancrage des textes fondamentaux de l’Union européenne dans les opinions publiques des Etats membres.

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Art. 7. Respect de la vie privée et familiale

La Commission consultative voudrait attirer l’attention du gouvernement sur le fait que cet article, qui s’inspire de l’alinéa 1 de l’article 8 de la CEDH, fixe un droit qui ne s’applique pas seulement à la relation entre les politiques et les institutions de l’Union européenne d’un côté, et les citoyens de l’autre, mais aussi aux relations entre citoyens, donc entre personnes privées. La jurisprudence luxembourgeoise va en tout cas dans ce sens depuis un jugement du tribunal d’arrondissement de Luxembourg du 6 avril 2000. L’article 7 est un parmi de nombreux articles de ce projet qui montre que les dispositions de cette Charte auront nécessairement des effets horizontaux dont l’article 51 relatif au champ d’application de la Charte ne tient pas entièrement compte. L’application de la Charte entre personnes privées fera ci-dessous l’objet d’une remarque particulière.

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Art. 8. Protection des données à caractère personnel

Cet article ne donne pas lieu à des observations particulières.

Art. 9. Droit de se marier et de fonder une famille

Un exemple de référence aux législations nationales est par contre l’article 9 qui reprend l’acquis de l’article 12 de la CEDH en le modifiant profondément.

La Commission consultative constate que la notion de nubilité a disparu et que le projet fait la distinction entre le droit de se marier et le droit de fonder une famille, alors que dans la CEDH, la fondation d’une famille est la conséquence du mariage. La Commission consultative constate également que l’article ne distingue plus entre l’homme et la femme quand il se réfère aux deux différents droits qu’il fonde.

Dans ce sens, le projet ouvre la voie à une reconnaissance par le droit européen de l’existence de nouvelles communautés de vie qui ont été dans différents Etats membres de l’Union européenne l’objet de nouvelles législations nationales.

Sous l’angle des effets pratiques de la reconnaissance d’autres voies que le mariage pour fonder une famille, et tenant compte de la possible mobilité de toute communauté de vie, la Commission consultative pose au gouvernement la question si la reconnaissance mutuelle de ces nouveaux droits instaurés par des législations nationales sera assurée au niveau des Etats membres, notamment si l’on se trouve dans le cas de figure qui n’est pas à écarter que les législations en question s’opposent au niveau des principes.

Pour illustrer ce problème, nous pouvons citer la réponse du ministre de la Justice à la question parlementaire n° 603 du 15 juin 2000 dans laquelle Luc Frieden déclare : "Le droit luxembourgeois ne reconnaît aucun effet aux contrats de partenariats enregistrés de droit étranger. Une modification législative n’est pas envisagée à cet égard. En ce qui concerne les communautés de vie autres que le mariage au Luxembourg, le gouvernement, conformément à la déclaration gouvernementale, recherchera des solutions concernant avant tout le droit social, le droit de la propriété et le droit successoral". Un autre problème est la reconnaissance de ces nouveaux droits par des Etats tiers. Dans la mesure où certains pays tiers démocratiques peinent encore à reconnaître les mariages contractés par leurs ressortissants à l’étranger, notamment en Union européenne, la Commission consultative se pose également la question si ces mariages n’auront pas, par analogie avec d’autres façons de fonder une famille qui existent dans le pays où ils ont été contractés, encore plus de difficultés à être reconnus au niveau international.

La référence aux législations nationales pour les nouveaux droits n’a en rien résolu ces questions pratiques.

La Commission consultative est par conséquent d’avis que le gouvernement devrait, dans le cadre de la négociation de la Charte s’engager dans une voie qui n’est pas encore la sienne, et qui serait de proposer une clause supplémentaire selon laquelle les pays de l’Union européenne s’obligeraient réciproquement à reconnaître les anciens et nouveaux droits de fonder une famille que leurs législations ont introduites, sauf si de telles dispositions contredisent la notion d’ordre public en cas d’incompatibilité de principe, avec toutes les implications en matière de droits sociaux, fiscaux et autres que les différents types de contrats impliquent. Une telle reconnaissance réciproque serait de nature à pallier également à la fragilisation du statut du mariage européen au niveau international.

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Art. 10. Liberté de pensée, de conscience et de religion

Cet article ne donne pas lieu à des observations particulières.

Art. 11. Liberté d’expression et d’information

L’article 11. reprend l’acquis de l’article 10 de la CEDH, en excluant une référence à un régime d’autorisations et en ajoutant une référence au 2e paragraphe au pluralisme et à la transparence. La Commission consultative voudrait attirer l’attention du gouvernement sur le fait que la liberté de recevoir des informations et l’obligation à la transparence sont des éléments essentiels pour que la liberté d’information puisse être pleinement assurée. Selon la Commission consultative, ces garanties ne devraient pas seulement s’appliquer aux administrations publiques, mais également aux personnes morales dont les activités ont un impact significatif sur la société. L’application de la Charte entre personnes privées fera ci-dessous l’objet d’une remarque particulière.

Art. 12. Liberté de réunion et d’association

Cet article ne donne pas lieu à des observations particulières.

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Art. 13. Liberté de recherche

Comme le dit une note explicative du présidium de la Convention chargée de l’élaboration de ce projet, "ce droit est déduit des libertés de pensée et d'expression. Il s'exerce dans le cadre de l'article 1er et de la clause de limitation de l'article 51. Il est subordonné au respect de la dignité de la personne."

La Commission consultative est d’avis que du point de vue de la technique législative, la formulation de cet article est trop générale et comme la liberté de recherche ne relève qu’indirectement de l’acquis de la CEDH, les limitations dont elle peut être l’objet ne peuvent que difficilement être pensées comme implicites par les utilisateurs de la Charte.

Bien qu’il soit difficile d’envisager une règle générale en la matière pour toute l’Union européenne, la Commission consultative recommande au gouvernement de plaider pour une formulation plus explicite du principe de la liberté de recherche et des limites qui lui seraient tracées, entre autres en référence à l’acquis de la Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine, dont l’esprit implique une interdiction des clonages humains à des fins thérapeutiques.

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Art. 14. Droit à l’éducation

Cet article ne donne pas lieu à des observations particulières. (voir recommandations nationales)

Art. 15. Liberté professionnelle

L’article 15 (1) consacre pour toute personne le droit au travail, la liberté d’exercer une profession librement choisie ou acceptée. Cet article consacre l’acquis communautaire pour toute personne qui se trouve légalement sur le territoire de l’Union, et ne fait aucune référence aux législations nationales.

La Commission consultative salue l’article 15 dans son ensemble, car son application aurait des conséquences très positives pour la situation des citoyens de pays tiers travaillant légalement sur son territoire. Elle demande néanmoins au gouvernement de négocier à l’alinéa 3 de l’article une formulation du texte qui ne stipule pas seulement "le droit à des conditions de travail équivalentes" pour les ressortissants des pays tiers, mais également des rémunérations équivalentes.

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Art. 16. Liberté d’entreprise

Cet article ne donne pas lieu à des observations particulières.

Art. 17. Droit de propriété

Cet article ne donne pas lieu à des observations particulières.

Art. 18. Droit d’asile

La Commission consultative regrette que cet article n’ait pas été complété par une référence à l’article 1 du protocole n° 7 à la CEDH relatives aux garanties procédurales en cas d’expulsion. Dans une note explicative, le présidium de la Convention avance l’argument que la plupart des Etats membres n’ont pas signé et ratifié ce protocole. Il est vrai que la Belgique et le Royaume Uni n’ont pas signé le 7e protocole, l’Autriche, l’Irlande, les Pays-Bas et l’Espagne ne l’ayant pas ratifié.

Un tel raisonnement ne peut être considéré comme concluant, dans la mesure où les auteurs du projet reprennent par contre dans l’article 3 du présent projet l’acquis de la « Convention pour la protection des droits de l’homme et de la dignité de l’être humain à l’égard des applications de la biologie et de la médecine : Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine" et du "Protocole additionnel à la Convention pour la protection des droits de l'homme et de la dignité de l'être humain à l'égard des applications de la biologie et de la médecine, portant interdiction du clonage d'êtres humains", alors qu’ils n’ont pas été signés par un nombre bien supérieur d’Etats membres (Autriche, Belgique, Allemagne, Irlande et Royaume Uni), sans parler des retards de ratification par les Etats membres signataires.

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Art. 19. Protection en cas d’éloignement, d’expulsion et d’extradition

Cet article s’inspire de l’article 4 du Protocole n° 4 à la CEDH en ce qui concerne les expulsions collectives, mais il en modifie le sens, puisque l’article du 4e protocole interdit les expulsions collectives d’étrangers, alors que l’article du présent projet interdit les expulsions collectives de toute personne.

L’article 19 du présent projet, malgré sa bonne intention sous-jacente de créer une garantie supplémentaire pour les minorités dans l’Union, et surtout dans la future Union élargie, constitue une régression par rapport au droit existant.

Le droit existant, en interdisant les expulsions collectives d’étrangers, protège ce groupe de personnes dans le sens où chaque décision qui peut conduire à une expulsion doit faire l’objet d’un examen spécifique.

L’article 19, en s’étendant à toute personne, puisque la notion d’étranger disparaît, ne réitère plus d’une façon explicite la disposition de l’article 3 du 4e protocole à la CEDH qui interdit aux Etats d’expulser individuellement un de leurs ressortissants ou de lui interdire l’entrée sur leur territoire. Ou autrement dit : en interdisant les expulsions collectives de toute personne, elle permet tout type d’expulsions individuelles, puisqu'elle ne réitère plus l’interdiction mentionnée de l’expulsion individuelle de personnes ressortissantes d’un Etat par leur propre Etat.

Pour pallier à ce déficit, la Commission consultative estime que les droits qui découlent de l’article 3 du 4e protocole à la CEDH doivent être explicitement mentionnés dans la Charte par un nouvel article. Nous pouvons difficilement imaginer une évolution de l’Union européenne où ces droits ne soient plus accordés aux ressortissants des Etats membres à l’exception d’application de conventions internationales obligeant la remise ou le transfert par un Etat membre d’un de ses ressortissants à un tribunal international, comme la Cour Pénale Internationale par exemple.

La Commission consultative demande donc instamment au gouvernement de proposer un nouvel article qui reprenne les acquis de l’article 3 du 4e protocole à la CEDH.

La Commission consultative salue le contenu du 2e paragraphe de l’article 19 qui dit que "nul ne peut être éloigné, expulsé ou extradé vers un Etat où il pourrait être soumis à la peine de mort, à la torture ou à d’autres peines ou traitements inhumains ou dégradants."

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Art. 20. Egalité en droit et
Art. 21. Non-discrimination

La Commission salue la formulation de ces articles qui résument de manière claire les concepts dont ils sont les porteurs.

Elle tient cependant à rappeler au gouvernement que dans le cadre de la Charte qui a pour ambition de reprendre l'acquis communautaire, il serait utile de mentionner dans une disposition relative à l’égalité de droit et à la non-discrimination que la Directive du Conseil 9339/00 relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d'origine ethnique, adoptée le 6 juin 2000, prévoit dans son article 5 consacré à l’Action positive que "pour assurer la pleine égalité dans la pratique, le principe de l'égalité de traitement n'empêche pas un Etat membre de maintenir ou d'adopter des mesures spécifiques destinées à prévenir ou à compenser des désavantages liés à la race ou à l'origine ethnique".

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Art. 22. Diversité culturelle, religieuse et linguistique

Cet article ne donne pas lieu à une remarque particulière.

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Art. 23. Egalité entre hommes et femmes

La Commission maintient que le principe d’égalité entre hommes et femmes découle des principes d’égalité et de non-discrimination tels que définis dans les articles 20 et 21 du présent projet. Que ces principes s’appliquent à tous les domaines est une conséquence logique de son caractère central pour la définition des relations entre les citoyens.

La Commission constate que l’égalité en matière d’emploi, de travail et de rémunération, qui sont des catégories citées dans l’article 141 CE, sont les seuls spécifiées dans l’article 23 de ce projet , alors que d’autres types d’égalité sont également importants. Cela montre de nouveau que le texte de ce projet souffre de cette indétermination structurelle qui le caractérise : formuler des droits justiciables devant les instances communautaires et des droits plus généraux qui ne relèvent pas ou pas encore de l’Union.

La deuxième partie de l’article, qui aménage la légalité de mesures de discrimination positive, ne spécifie par contre plus les matières où elles pourraient être appliquées.

La lecture de cet article sous un jour programmatique peut de ce chef donner lieu à des interprétations qui peuvent tout à fait déborder le cadre des compétences communautaires, comme par exemple le débat sur la représentation politique paritaire.

La Commission est d’avis que les matières spécifiques qui ne relèvent pas de la compétence de l’Union devraient d’abord rester l’objet de décisions spécifiques des Etats membres, qui sont dans la plupart de ces matières responsables devant des instances multilatérales de sécurité démocratiques tierces, envers lesquelles ils se sont engagés de façon bilatérale. Ces matières spécifiques n’ont donc pas encore leur place dans une Charte qui s’applique uniquement à la mise en œuvre du droit de l’Union.

Elle souhaite par conséquent que les domaines où la Charte accepte le principe des discriminations positives soient identiques avec ceux qui relèvent de la compétence de l’Union qui délimite le champ d’application de la Charte.

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Art. 24. Droit de l’enfant

La Commission salue la formulation de cet article, mais se pose la question du statut de ces droits dans le cadre de l’Union qui n’a aucune compétence directe en la matière. (voir recommandations nationales)

Art. 25. Intégration des personnes handicapées

La Commission salue cet article programmatique qui ancre les droits des personnes handicapées dans le projet européen. Elle est d’avis que les droits des personnes handicapées devraient devenir l’objet d’un article dans le TCE et que des directives en la matière devraient suivre pour que l’on ne demeure pas dans le domaine de la déclaration d’intention.

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Art. 26. Droits des personnes âgées

Cet article ne donne pas lieu à des observations particulières.

Art. 27. Droit à l’information et à la consultation des travailleurs au sein de l’entreprise

Cet article ne donne pas lieu à des observations particulières.

Art. 28. Droit de négociations et d’actions collectives

La Commission consultative constate que cet article, qui s’inspire de la Charte sociale européenne et de la Charte communautaire des droits fondamentaux des travailleurs de 1989, place les employeurs et les travailleurs sur pied d’égalité en matière de droit de négociations collectives et d’actions collectives pour la défense de leurs intérêts. Elle salue la référence explicite au droit de grève. Elle regrette que les actions collectives transnationales ne soient pas encore reconnues, puisqu’il s’agit d’un droit qui s’inscrit dans une perspective européenne dans le cadre de laquelle il ne faut pas exclure des conflits d’intérêts d’ordre transnational.

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Art. 29. Droit d’accès aux services de placement

La Commission consultative salue la formulation de cet article qui garantit la gratuité des services de placement.

Art. 30. Protection en cas de licenciement injustifié

Cet article, dont le présidium de la Convention dit qu’il s’inspire de l’article 24 de la Charte sociale révisée, corrige de manière significative l’intitulé de cet article, qui devient "droit à la protection en cas de licenciement." Il s’agit d’obliger les Parties à assurer qu'un travailleur qui estime avoir fait l'objet d'une mesure de licenciement sans motif valable ait un droit de recours contre cette mesure devant un organe impartial. C’est à cet organe impartial de décider si le licenciement a été injustifié ou non.

La Commission consultative recommande au gouvernement de négocier un intitulé de l’article qui rétablisse de façon plus explicite le droit de protection en cas de licenciement. Elle demande également au gouvernement de négocier en faveur d’une disposition qui garantisse une réparation équitable en cas de licenciement injustifié.

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Art. 31. Conditions de travail justes et équitables

La Commission consultative pense que la formulation de cet article devrait s’inspirer plus fortement et explicitement de l’acquis communautaire, et mentionner en l’occurrence la protection de la santé et de la sécurité sur les lieux de travail, qui sont mentionnés dans l’article 137 CE comme un champ d’action privilégié de l’action de soutien de la Communauté en matière de politique sociale. La Commission consultative estime que la protection de la santé et de la sécurité sur les lieux de travail constituent des droits fondamentaux qui doivent apparaître en tant que tels dans la Charte.

Art 32. Interdiction du travail des enfants et protection des jeunes au travail et

Art. 33. Vie familiale et vie professionnelle

Ces articles ne donnent pas lieu à des observations particulières.

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Art. 34. Sécurité sociale et aide sociale

Cet article, qui embrasse un champ d’action aussi vaste que sensible, n’est pas assez explicite sur un certain nombre de droits qui font partie de l’acquis de la Charte sociale européenne révisée. Cela est particulièrement marquant dans le 3e alinéa de cet article où le droit à un revenu minimum décent qui est accordé par la Charte communautaire des droits fondamentaux des travailleurs de 1989, et le droit au logement qui est accordé par l’article 31 de la Charte sociale européenne sont circonscrits par la formulation "L’Union reconnaît et respecte le droit à une aide sociale et à une aide au logement destinées à assurer une existence digne à toute personne ne disposant pas de ressources suffisantes, selon les modalités établies par le droit communautaire et les législations et pratiques nationales".

Il appartient au gouvernement qui négociera ce texte de veiller dans le détail à ce que les droits sociaux fondamentaux qui font partie de l’acquis de notre modèle social ne soient pas susceptibles d’être dilués ou d’être omis par le texte de la Charte. Le premier texte de l’Union européenne, doit au moins réitérer les droits existants, au mieux assurer un degré de protection plus élevé. Si cela n’est pas le cas, la Commission consultative pense que les textes proposés pour la finalisation de la Charte sont à rejeter.

La Commission salue la formulation du 2e alinéa qui inclut de façon claire et nette les ressortissants de pays tiers qui résident et se déplacent légalement à l’intérieur de l’Union en tant que bénéficiaires de prestations sociales telles qu’elles sont définies par le droit communautaire et les législations et pratiques nationales.

Art. 35. Protection de la santé (voir recommandations nationales) et
Art. 36. Accès aux services d’intérêt économique général et
Art. 37. Protection de l’environnement et
Art. 38. Protection des consommateurs

Ces articles ne donnent pas lieu à des observations particulières.

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Art. 39 et 40. Droit de vote et d’éligibilité aux élections au Parlement européen et aux élections municipales

La Commission consultative rappelle que le droit à des élections libres dans le contexte des élections du Parlement européen a donné lieu à l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 18 février 1999 dans l’affaire Matthews c. Royaume-Uni, (Revue trimestrielle des droits de l’homme, Bruxelles, 1999, 865, note Potteau). La Cour européenne des droits de l’homme a décidé dans cet arrêt qu’aucune raison ne justifie que le Parlement européen soit exclu du champ des élections visées à l’article 3 du Protocole n°1 à la CEDH au motif qu’il s’agit d’un organe représentatif supranational et non purement interne.

Pour ce qui est plus particulièrement du droit de vote passif et actif des citoyens de l’Union résidant au Luxembourg, la Commission consultative estime que le gouvernement devrait reconsidérer la question des dérogations en la matière qui conditionnent ce droit de vote à des durées de résidence.

La Commission consultative se fonde sur :

  • l’expérience positive de la participation des électeurs non-luxembourgeois ressortissants d’un Etat membre de l’Union européenne aux scrutins européens et municipaux,
  • le besoin de disposer de la fourchette démocratique la plus large possible dans un pays qui compte presque 40% de résidents étrangers pour en assurer une gouvernance bien enracinée chez les citoyens,
  • l’application du critère de proportionnalité appliqué aux limitations des droits dont cette Charte fait état à l’article 51,
  • la réitération par la Charte du droit de vote des ressortissants de l’Union européenne aux élections européennes et municipales dans l’Etat membre où ils résident, la Commission consultative estime que le gouvernement devrait reconsidérer la question des dérogations qui conditionnent le droit de vote passif et actif des citoyens de l’Union résidant au Luxembourg à des durées de résidence.

Art. 41. Droit à une bonne administration et
Art. 42. Droit d’accès aux documents et

Art. 43. Médiateur et
Art. 44. Droit de pétition

Ces articles ne donnent pas lieu à des observations particulières.

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Art. 45. Liberté de circulation et de séjour

La Commission consultative constate que le libellé de l’alinéa 2 de cet article qui traite de la liberté de circulation des ressortissants des pays tiers résidant légalement sur le territoire d’un Etat membre doit tenir compte du fait que le Conseil n’a pas encore fixé, selon les dispositions de l’article 62, § 3 du traité CE, les conditions dans lesquelles les ressortissants des pays tiers peuvent circuler librement sur le territoire des Etats membres pendant une durée maximale de trois mois, et qu’il n’a pas encore défini, selon les dispositions de l’article 63 § 4 du traité CE, les droits des ressortissants des pays tiers en situation régulière de séjour dans un Etat membre de séjourner dans les autres Etats membres. Cela devrait être le cas en 2004, année au cours de laquelle expirera le délai de 5 ans que l’Union s’est donnée dans les traités pour légiférer en la matière.

L’article 45 est donc un article qui ne garantit aucun droit fondamental existant, et il devra être amendé dès que le Conseil aura légiféré.

La Commission consultative ne croit donc pas en l’utilité d’un tel article.

Elle recommande au gouvernement de négocier un article programmatique qui accorde le droit de libre circulation aux ressortissants de pays tiers résidant légalement sur le territoire d’un Etat membre à des conditions qui constituent le cadre des futures décisions du Conseil.

La Commission consultative regrette que le droit au regroupement familial pour les ressortissants de pays tiers travaillant légalement dans un Etat membre n’ait pas été évoqué sous cet article et recommande au gouvernement de négocier une inclusion programmatique de ce droit dans la Charte.

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Art. 46. Protection diplomatique et consulaire

Cet article ne donne lieu à aucune observation.

Art. 47. Droit à un recours effectif et à un tribunal impartial et
Art. 48. Présomption d’innocence et droits de la défense

La Commission consultative estime que la formulation de l’article 46, qui se fonde pour le 1er paragraphe sur l’article 13 de la CEDH, et pour le 2e paragraphe sur l’article 6 § 1 de la CEDH constitue une régression par rapport à la CEDH, car il omet une référence à l’article 6 § 3 de la CEDH, qui est fondamentale en matière de procédure pénale.

L’argument découlant de l’article 51 sur le champ d’application de cette Charte selon lequel celle-ci ne s’applique qu’aux institutions et organes de l’Union ainsi qu’aux Etats membres lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union – qui, faut-il le signaler, ne connaît pas encore de droit pénal - ne peut valoir ici, puisque le projet de Charte qui fait l’objet du présent avis contient déjà des dispositions qui relèvent du droit pénal. Nous citerons à titre d’exemple l’article 2 relatif au droit à la vie et l’article 48 relatif à la présomption d’innocence qui, bien qu’il soit lui aussi formulé d’une façon incomplète, s’inspire clairement de dispositions procédurales de l’article 5 § 3 de la CEDH.

La Commission consultative constate ici, au-delà des déficits en matière de technique législative, une aporie structurelle qui touche au domaine des compétences juridiques (devant quelle juridiction ? juridictions uniquement civiles ou aussi pénales ?) comme à l’identification des destinataires (institutions, personnes morales ou physiques ?) de la Charte qui traverse de nombreux articles du projet. C’est la structure sui generis de la Communauté et de l’Union même qui nourrit ces ambiguïtés juridiques, puisque qu’implicitement, la Charte, tout en ne voulant ni accroître ni modifier les compétences et tâches de la Communauté et de l’Union européenne, s’avance dans des domaines qui ne sont qu’indirectement du ressort de la Communauté ou de l’Union, par exemple lorsqu’elle s’avance sur un terrain qui ne peut relever que du pénal. (Sur ce problème, voy. aussi infra).

La Commission consultative pense les auteurs du projet n’ont pas encore su tenir compte de toutes les implications du caractère évolutif de leur projet. Elle recommande donc au gouvernement de veiller à ce que le texte définitif de la Charte ne contienne plus de telles inconséquences ou ambiguïtés, et que les droits des citoyens soient pleinement garantis par le texte.

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Art. 49. Principes de la légalité et de la proportionnalité des délits et des peines

La Commission consultative réitère à l’égard de cet article les mêmes critiques qu’elles a soulevées quant à leur statut à l’égard des articles 47 et 48.

Art. 50. Droit de ne pas être jugé ou puni pénalement deux fois pour le même délit

Cet article ne donne lieu à aucune observation.

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Art. 51. Champ d’application

Le champ d’application donne lieu aux deux remarques suivantes :

1. La Commission consultative regrette que le champ d’application de la Charte ne soit défini qu’à l’article 51, c’est-à-dire à la fin du document. Du point de vue de la technique législative, et en toute logique, le champ d’application devrait être défini dans les tous premiers articles.

Ensuite et plus fondamentalement, la Commission consultative regrette que le champ d’application soit très limité en ne désignant comme débiteurs des garanties, que les institutions et organes de l’Union, voire les Etats membres dans la mesure où ceux-ci mettent en œuvre le droit de l’Union. Outre le fait que la terminologie utilisée est imprécise alors qu’elle semble englober – sans cependant le dire expressément – l’activité de la Communauté dans le cadre des premiers et deuxième piliers, il échet encore de noter qu’il aurait été souhaitable que le champ d’application de la Charte soit étendu aux personnes privées.

En effet, s’il est vrai que les personnes privées sont par définition les créanciers des droits prévus, rien dans la Charte ne dit expressément que ces mêmes personnes, qu’elles soient physiques ou morales, sont à considérer comme débiteurs de ces droits.

Ce problème est analysé en doctrine en termes d’effet horizontal des droits de l’homme ou "Drittwirkung der Grundrechte".

La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (Voy. en dernier lieu, l’arrêt Fuentes Bobo c. Espagne du 29 février 2000, au sujet de l’article 10 CEDH (liberté d’expression)), française (Voy. l’arrêt de la Cour de cassation (soc.) du 12 janvier 1999, Dalloz, 1999, 645, note Marguénaud et Mouly, au sujet de l’article 8 CEDH dans le contexte de logements de salariés) et luxembourgeoise (voy. Trib. d’arr. Luxembourg, (11e ch.), 6 avril 2000, Revue trimestrielle des droits de l’homme, Bruxelles, 2000, 853, note Spielmann, au sujet de l’article 8 CEDH dans le contexte d’une preuve recueillie irrégulièrement) vont dans le sens d’une application des droits de l’homme entre personnes privées.

Ainsi, par exemple, le jugement du tribunal d’arrondissement de Luxembourg du 6 avril 2000 a décidé en degré d’appel - après avoir longuement analysé la controverse doctrinale - que l’alinéa 1 de l’article 8 de la CEDH dégage le «principe général du droit de tout un chacun au respect de sa vie privée, sans qu’il y soit fait une distinction entre le cas de la violation de ce droit par une autorité publique et celui où la violation émane d’une entité privée" , ce qui conduit le tribunal à conclure qu’"(…) il y a lieu d’admettre que l’article 8 de la Convention, et notamment l’alinéa 1er de cet article, est applicable dans les relations entre personnes privées, afin de garantir le droit positif de chacun au respect de sa vie privée."

2. Un certain nombre de dispositions de ce projet sont directement liées à l’application d’un droit pénal en des matières qui ne peuvent être considérées comme relevant d’une compétence communautaire, sinon dans une perspective évolutive qui signifierait un approfondissement de l’Union dans un sens fédéral.

Certes, la mise en œuvre du droit communautaire peut avoir des conséquences directes sur le droit pénal des Etats membres de l’Union et le respect par ces Etats des obligations résultant de la CEDH, comme le prouve à suffisance l’arrêt Cantoni c. France du 15 novembre 1996 (Recueil des arrêts et décisions, 1996, 1614 ; Revue trimestrielle des droits de l’homme, Bruxelles, 1997, 685, note Spielmann).

Toutefois, le sens tout à fait exclusif et absolu du mot "uniquement" est donc à considérer comme ayant une signification plutôt relative, si l’on se réfère notamment à des dispositions où le droit pénal ou civil ou administratif ou social des Etats membres et le droit humanitaire s’imbriquent, comme c’est le cas pour les articles 2, 4, 6, 7, 8, 9, 11, 12, 14, 19, 46, 47, 48 et 49.

A partir de cette critique, la Commission consultative se prononce pour une formulation plus différenciée des dispositions relatives au champ d’application de la Charte, qui définisse mieux le statut des différents articles, qui ne relèvent pas tous ni de la même juridiction potentielle, ni de la même instance dont découlent les actions qu la Charte vise, que ce soient des institutions, des personnes morales ou des individus. Il n’est pas sûr non plus qu’il soit actuellement réaliste que les implications pénales d’un certain nombre de dispositions soient inscrites dans une perspective communautaire ou de l’Union.

Loin d’incriminer le statut ambivalent de certaines dispositions, la Commission consultative constate avant tout que les hésitations des auteurs du projet de Charte reflètent avant tout les ambivalences, incertitudes et tâtonnements inhérents au processus de l’intégration européenne, notamment quand il est pensé d’une façon évolutive. Elle attend du gouvernement qu’il s’engage pour une Charte qui soit adaptée à l’état et au potentiel d’approfondissement à moyen terme de l’Union et dont les articles soient formulés de façon à ce que ses premiers destinataires, les citoyens européens, aient en main un document dont les implications soient lisibles sans qu’ils soient contraints d’avoir recours à des légistes pour connaître leurs droits fondamentaux et les institutions compétentes pour les leur garantir.

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Art. 52. Portée des droits garantis et
Art. 53. Niveau de protection et
Art. 54. Interdiction de l’abus de droit

L’article 51 fait référence au principe de proportionnalité. Il s’agit là d’un principe général du droit communautaire ayant donné lieu à une jurisprudence abondante de la Cour de Justice des Communautés européennes (Voy. Rébecca-Emmanuèla Papadopoulou, Principes généraux du droit en droit communautaire. Origines et concrétisation, Athènes, Sakkoulas, Bruxelles, Bruylant, 1996, pp. 243 et suiv.).

La référence concernant l’article 51 (1) au principe de proportionnalité en cas de limitation des droits et libertés reconnus par la Charte, la référence sub (2) aux traités communautaires et sur l’Union européenne, la référence sub (3) à la similitude de sens et de portée entre les droits garantis par la CEDH et les droits correspondants que contiendra la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ne met pas assez clairement en évidence que les limitations qui pourraient être apportées à l’exercice de ces droits par l’Union ou les Etats membres dans le cadre de l’application d’une politique de l’Union doivent se référer à l’ensemble des dispositions des corpus conventionnels invoqués, dont ceux qui assurent le niveau de protection le plus élevé.

Partant à titre d’exemple de l’article 3, la Commission consultative constate cependant que la technique législative choisie par les auteurs de ce projet les a conduits à formuler dans l’article 51 des clauses de limitation nettement moins précises que celles qui font la tradition du corpus des textes de la CEDH.

La Commission consultative demande par conséquent au gouvernement de veiller, au cours des négociations sur le texte de la présente Charte, à ce que la formulation des clauses qui font référence au champ d’application de la Charte, à la portée des droits garantis, au niveau de protection et à l’interdiction de l’abus de droit soit la plus précise et la plus claire possible afin que les acquis en matière de droits de l’homme qui offrent le plus haut niveau de protection ne soient l’objet d’aucun doute en matière d’interprétation pour les bénéficiaires de cette Charte qui doivent également être les premiers destinataires et lecteurs du texte.

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III. Appréciation générale de la Commission consultative

Le projet de Charte tel qu’il a été soumis le 14 septembre 2000 au public est le résultat d’un long débat entre les membres de la Convention désignée pour le rédiger et porte les traces d’un réel dialogue avec la société civile.

Le résultat de ce travail montre que le terrain pour une Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne susceptible d’un contrôle judiciaire des juridictions compétentes n’est pas encore suffisamment préparé.

En se référant aux grands instruments internationaux communautaires ou non-communautaires qui couvrent les droits spécifiques dans les domaines de la dignité (art. 1-5), des libertés (art. 6-19), de l’égalité (art. 20-25), de la solidarité (art. 27-38), de la citoyenneté (art. 39-46), et de la justice (art. 47-50), les auteurs du projet ont tenté de formuler un texte qui ramasse en un texte les droits fondamentaux qui font partie d’un acquis en général commun à tous les Etats membres. Mais la Charte ne s’applique pas aux Etats membres pris individuellement et en fonction des engagements auxquels ils ont souscrits vis-à-vis d’instances internationales de sécurité comme l’ONU ou de sécurité démocratique comme le Conseil de l’Europe, mais aux institutions et organes de l’Union et aux Etats membres "uniquement lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union." Or, dans ce contexte juridique, l’acquis commun auquel les Etats membres ont souscrit individuellement par rapport à des institutions tierces n’est actuellement pas seulement différent de l’acquis commun au sein de l’Union, mais lui est aussi supérieur.

Quelques exemples :

L’Union peut d’un point de vue éthique s’exprimer contre la peine de mort, comme le projet de Charte le fait au titre de l’article 2, mais elle n’a aucun droit en ce qui concerne la reprise de l’acquis des instruments internationaux afférents, notamment quand il est question des exceptions dans le 6e protocole à la CEDH, qui impliquent des situations où la peine de mort pourrait être infligée.

L’Union n’est pas habilitée à légiférer dans le domaine de la médecine et de la biologie comme la Charte s’y essaie dans l’article 3.

L’Union n’a pas de compétences en matière pénale ou civile dont relèvent certaines dispositions des chapitres Libertés et Justice.

Sans préjudice du fait qu’elle n’est pas en mesure de reprendre en tant que tel l’acquis de la CEDH, l’Union ne peut pas non plus reprendre cet acquis de façon sélective dans son projet de Charte. Si elle s’arroge par exemple le droit de nommer dans son projet de Charte un droit fondamental comme celui de l’interdiction des expulsions collectives, elle ne peut pas ne pas réitérer celui, contigu, de l’interdiction de l’expulsion individuelle d’un ressortissant par son propre Etat, car ces deux droits sont ancrés de manière équivalente et inséparable dans le 4e protocole à la CEDH.

L’Union n’a pas de compétences dans tous les domaines abordés par le chapitre Egalité. La Charte tente pourtant de créer de fait de nouveaux droits au sein de l’Union, notamment dans le domaine de la discrimination positive, de la protection indirecte des minorités ou des enfants.

Dans le chapitre relatif à la solidarité, de nombreuses formulations adoptées dans le présent projet reviennent sur des énoncés de droits nettement plus clairs dans des textes précédents qui constituent un véritable acquis, en partie communautaire.

Même si la Commission consultative salue l’initiative des auteurs du projet d’avoir appliqué le principe de l’indivisibilité des droits de l’homme en passant à la rédaction de ce chapitre de droits sociaux fondamentaux, il n’en demeure pas moins que le statut de la politique sociale de la Communauté reste tout à fait complexe. La promotion de l’emploi, l’amélioration des conditions de vie et de travail, une protection sociale adéquate, le dialogue social le développement des ressources humaines et la lutte contre les exclusions sont des objectifs de la Communauté selon les termes du traité. A cette fin, la Communauté et les Etats membres mettent en oeuvre des mesures qui tiennent compte de la diversité des pratiques nationales, tout en misant sur une harmonisation progressive des systèmes sociaux.

Les droits fondamentaux énumérés ici sont en partie couverts par des articles du traité et des directives communautaires (article 26 : droit à l’information et à la consultation des travailleurs au sein de l’entreprise, article 27 : droit de négociation et d’actions collectives, article 30 : conditions de travail justes et équitables, article 31 : protection des jeunes au travail, article 32 : conciliation de la vie familiale et de la vie professionnelle, article 33 : sécurité sociale et aide sociale et article 34 : protection de la santé) et sont donc justiciables.

Les articles 35 (accès aux services d’intérêt économique général), 36 (protection de l’environnement) et 37 (protection des consommateurs) sont avant tout des articles programmatiques, qui ne créent pas directement des droits. Mais ils expriment des normes que la politique de l’Union doit respecter, nonobstant les normes dont font état les législations nationales à l’égard des personnes physiques et morales. Ces articles n’ont pas été tous repris par les traités et ne relèvent donc pas directement d’un contrôle de la Cour de Justice des Communautés européennes, mais seulement devant des instances nationales selon la législation nationale en vigueur.

Les articles 29 (droit d’accès aux services de placement), et 30, (protection en cas de licenciement injustifié), qui font l’objet de dispositions qui les rendent en général justiciables devant les instances des Etats membres respectifs, font également l’objet de dispositions dans la Charte sociale européenne et dans la Charte communautaire des droits fondamentaux des travailleurs même si leur application n’est pas du ressort de la Cour de Justice des Communautés européennes.

Le contenu de ce chapitre souligne de nouveau la difficulté d’accorder un statut juridique cohérent aux droits sociaux fondamentaux que contient la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Cette difficulté devient perceptible quand il apparaît clairement que les effets pratiques de certaines dispositions sociales du projet de Charte n’obligent pas seulement les institutions vis-à-vis des citoyens, mais aussi des personnes privées vis-à-vis d’autres personnes privées.

Les citoyens européens pourraient difficilement accepter une Charte qui ne tienne pas compte de leurs droits sociaux, mais le statut de ces droits en relation avec une politique de l’Union reste aléatoire malgré les efforts déployés pour formuler un acquis commun au sein de l’Union.

Dans son analyse des articles, la Commission est revenue à de nombreuses reprises sur les lacunes rédactionnelles, sur le manque de référence aux limitations implicites qui font que le texte soumis risque de devenir une source de malentendus pour ses premiers utilisateurs, les citoyens, sur les régressions par rapport à des formulations antérieures que le texte comporte, sur les domaines où l’Union n’a pas encore de compétences. Les bonnes intentions qui marquent la rédaction de ce projet de Charte ne peuvent faire oublier ses déficits structuraux.

La Commission consultative regrette par conséquent que le texte du présent projet prête à confusion de par sa conception même, notamment par la portée des limitations qu’il formule.

Ce texte ne représente pas encore une plus-value et encore moins une amélioration du degré de protection des droits fondamentaux des citoyens. Il est marqué par l’indétermination juridique qui est elle même le reflet des limites du stade d’intégration auquel les Etats membres sont arrivés en matière de droits fondamentaux au sein de l’Union.

Le projet ne peut donc pas encore servir de base à un texte qui serait juridiquement contraignant. Il pourra au mieux servir de base à une déclaration politique. Mais qu’en sera-t-il alors des clauses limitatives qui sont le corollaire de nombreux droits qui sont prônés ici ? Là aussi, le malentendu est préprogrammé.

Suite à ces considérations, la Commission consultative des droits de l’homme conclut :

  • que le projet soumis ne représente pas l’avancée promise
  • qu’il révèle que l’acquis commun des Etats en matière de droits fondamentaux n’est pas identique avec l’acquis commun au sein de l’Union,
  • qu’en touchant à des domaines qui ne relèvent pas de la compétence de l’Union, il est loin d’offrir toutes les garanties qu’un tel texte présuppose
  • que les droits fondamentaux des citoyens de l’Union européenne sont pour l’instant mieux garantis par les législations nationales et les engagements internationaux en matière de droits fondamentaux auxquels les Etats membres ont souscrit,
  • qu’il faudrait à terme favoriser une lecture des droits contenus dans le projet de Charte dans le sens de la protection la plus étendue qui pourrait le cas échéant aller au-delà des protections accordées par les instruments internationaux existants
  • que le droit européen n’a pas encore fait tous les pas nécessaires pour qu’une telle Charte offre toutes les garanties et soit juridiquement contraignante, - que les traités doivent encore évoluer pour que la volonté politique d’un approfondissement de l’Union affichée à travers le projet de la Charte puisse se réaliser, - qu’il faut tirer les conclusions politiques au niveau national et de l’Union quant au très important débat autour de ce projet qui aura permis de marquer les limites structurelles du projet européen en matière de droits fondamentaux, - qu’il serait donc sage de surseoir à la mise en place d’une Charte tout en négociant déjà de grandes orientations pour le futur.

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IV. Recommandations sur le plan national

La Commission consultative saisit l’opportunité de la discussion sur la Charte pour adresser au gouvernement un certain nombre de recommandations pour des actions positives en relation avec les droits qui font l’objet de dispositions du présent projet.

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Concernant le droit à l’intégrité de la personne, (art. 3)

La Commission consultative recommande au gouvernement qu’il prenne des initiatives afin que le Luxembourg ratifie dans les meilleurs délais la "Convention pour la protection des droits de l’homme et de la dignité de l’être humain à l’égard des applications de la biologie et de la médecine : Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine" et le "Protocole additionnel à la Convention pour la protection des droits de l'homme et de la dignité de l'être humain à l'égard des applications de la biologie et de la médecine, portant interdiction du clonage d'êtres humains" que le Luxembourg a signés le 4 avril 1997 respectivement le 12 janvier 1998 et dont le gouvernement a souligné l’importance lors de l’acte de signature. Il recommande également au gouvernement de prendre sur le plan national des mesures législatives qui interdisent le clonage reproductif des êtres humains, même à des fins thérapeutiques.

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Concernant l’interdiction de la torture et des traitements inhumains ou dégradants (art. 4)

La Commission consultative demande au gouvernement de prendre des mesures afin que soit mis fin à la pratique de placer des jeunes détenus, y compris des mineurs, dans la prison pour adultes, et de se mettre en général en conformité avec les recommandations du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants du Conseil de l’Europe et du Comité contre la Torture des Nations Unies pour des questions qui touchent par exemple à la prise en charge des détenus toxicomanes et des malades psychiatriques, la resocialisation des détenus, la mise en place de structures permettant d’accueillir les enfants, surtout en bas âge, de femmes soumises à des peines de privation de liberté.

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Concernant le droit de se marier et de fonder une famille (art. 9)

La Commission recommande au gouvernement d’envisager une politique de visas et de permis de séjour plus libérale lorsqu’un(e) ressortissant(e) de l’Union européenne résidant sur le territoire national veut de manière crédible contracter mariage avec un(e) ressortissant(e) d’un Etat tiers qui se trouve pour une période limitée dans le temps ou en situation illégale sur son territoire, ou qui y vit sous quelque régime que ce soit à cause des déplacements de personnes que des conflits ont provoqués dans son pays d’origine.

Dans ce contexte, elle demande également au gouvernement de mettre fin aux restrictions concernant l'accès à l'emploi de conjoint(e)s non-communautaires de ressortissant(e)s de l'Union européenne, qui constituent un obstacle supplémentaire au droit de se marier.

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Concernant la liberté d’expression et d’information (art. 11)

La Commission consultative recommande fortement au gouvernement de prendre au niveau national des initiatives pour que le libre accès à l’information soit mieux assuré qu’il ne l’est actuellement, notamment en matière de protection des sources, d’obligation d’information de la part des administrations publiques et des personnes morales dont les activités ont un impact significatif sur la société.

La procédure législative concernant une nouvelle loi des médias devrait fournir l’occasion d’adapter la législation nationale aux nouvelles exigences de liberté d’information et de transparence que la Charte entend promouvoir.

En attendant la procédure législative concernant la nouvelle loi sur les médias, le gouvernement devrait d’ores et déjà exploiter la ressource que représente l’actuelle réglementation du Service Information et Presse pour faire travailler au sein de chaque administration publique un responsable chargé des relations avec la presse dont le travail s’inspirerait des principes de l’article 11 de ce projet.

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Concernant le droit à l’éducation (art. 14)

La Commission consultative pense que le droit à l’éducation gratuite, qui doit s’appliquer à tous les enfants se trouvant sur le territoire national, est en fait appliqué de façon insuffisante.

Certains enfants se voient refuser leur inscription dans une école primaire, mais aussi dans un lycée luxembourgeois parce que leurs parents sont dépourvus de titre de séjour. De nombreux enfants ne sont pas scolarisés au Luxembourg, étant donné que le système scolaire luxembourgeois ne dispose pas, pour certaines difficultés, de moyens de prise en charge spécifiques et adaptés aux besoins de ces enfants. C’est le cas pour les enfants qui ont des difficultés d’apprentissage et/ou des troubles du comportement. D’après nos renseignements, il existe plusieurs milliers d’enfants du primaire et du secondaire qui fréquentent pour cette raison des écoles belges, mais aussi allemandes et françaises. D’autre part, un nombre croissant d’enfants présentant des difficultés importantes sont exclus du système scolaire.

La Commission consultative recommande au gouvernement de faire un état des lieux en la matière et de mettre dans les meilleurs délais en œuvre une politique qui restaure l’intégralité du droit à l’éducation.

La Commission consultative pense par ailleurs que la pratique actuelle de mettre en place des enseignements à part pour les enfants et les jeunes qui sont arrivés au Luxembourg avec leur famille suite à des conflits dans leurs pays d’origine, ou de priver des adolescents ou de jeunes adultes d’une formation professionnelle qui leur sera utile tant dans leur pays d’origine qu’au Luxembourg même, n’est pas conforme au sens profond de la Constitution et du projet de Charte.

En effet, le temps au cours duquel ces enfants ou jeunes vont rester sur le territoire de notre pays est souvent indéfini, vu les conditions de sécurité incertaines dans leur pays et la durée de la procédure d'examen de la demande d'asile.

Dans cette optique, la Commission consultative demande instamment au gouvernement de revenir sur sa politique de non-intégration notamment des enfants et des jeunes "réfugiés de guerre" qui ne peut que produire à long terme des effets négatifs autant pour les personnes concernées que pour le Luxembourg en tant que terre d’accueil.

Elle demande également au gouvernement de s’abstenir dans le futur de faire retirer par les forces de l’ordre les enfants de parents sur le point d’être refoulés du territoire des enceintes scolaires où ils sont en train de suivre des cours.

Finalement, elle demande au gouvernement de faciliter l'admission des étudiants de pays tiers aux études supérieures à Luxembourg. Les conditions administratives actuelles sont trop contraignantes et répressives. Des cas comme la détention administrative d’une étudiante africaine en 1999 ne doivent en aucun cas se répéter.

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Concernant la liberté professionnelle (art. 15)

La Commission consultative salue l’article 15 dans son ensemble, mais elle voudrait surtout recommander au gouvernement de transformer l’esprit de cet article, notamment des parties 15 (1) et (3), en droit national, notamment en modifiant les dispositions du règlement grand-ducal du 12 mai 1972 déterminant les mesures applicables pour l’emploi des travailleurs étrangers sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg qui soumettent les travailleurs étrangers à trois différents régimes de permis de travail et le changement de profession ou d’employeur de ces personnes à l’autorisation de l’administration chargée des questions de l’emploi.

Le caractère discriminatoire de ce règlement est depuis longtemps soumis à des critiques sévères de la part des syndicats représentatifs et des associations qui défendent les intérêts des étrangers au Luxembourg. Il n’y aucune raison pour qu’un travailleur étranger, c’est-à-dire ressortissant d’un pays tiers, doive être soumis à un autre régime que celui des ressortissants de l’Union à partir du moment qu’il a été autorisé à occuper un emploi sur notre territoire.

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Concernant le droit d’asile (art. 18)

La Commission consultative appelle instamment le gouvernement à appliquer les instruments nationaux et internationaux qui régissent l’accueil des réfugiés politiques ou des réfugiés de guerre sur notre territoire de la façon la plus généreuse possible.

Elle demande également au gouvernement de ne pas exclure d’emblée une démarche d’intégration à l’égard des personnes qui ne répondent pas directement à la définition de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés et du Protocole du 31 janvier 1967, mais qui résident par la force des choses et pour se protéger sur son territoire, et de leur réserver un traitement aussi favorable que possible et en tout cas non moins favorable que celui auquel elle s'est engagée en vertu de la convention de 1951, ainsi que de tous autres accords internationaux existants et applicables aux réfugiés mentionnés ci-dessus. Dans ce contexte, la Commission consultative déplore que l’application de la Convention de Genève se fait dans un esprit très restrictif. Le nombre de demandeurs d’asile qui se voient attribuer un statut de réfugié selon la Convention de Genève est dérisoire.

Par ailleurs, la Commission consultative tient à souligner qu’aucune disposition de la Convention de Genève n’empêche les autorités de donner aux demandeurs d'asile la possibilité d'exercer une occupation rémunérée pendant l'examen de leur demande. Donner au demandeurs d’asile la possibilité de subvenir à leurs propres besoins contribuerait à améliorer leur image qui s’est détériorée de manière significative et malgré eux auprès de la population établie. Il s’y ajoute que le très grand besoin local en main d’œuvre permettrait une absorption relativement aisée de ces personnes.

La Commission consultative exige en outre que les autorités veillent à ce que la dignité des demandeurs d’asile soit assurée par le personnel d’encadrement, afin d’éviter certains incidents qui ont émaillé la dernière vague de réfugiés de guerre.

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Concernant la protection en cas d’éloignement, d’expulsion et d’extradition (art. 19)

La Commission consultative demande au gouvernement d’opérer avec la plus grande circonspection en ce qui concerne le retour dans leur pays ou région d’origine des personnes que le Luxembourg a accueillies à la suite de conflits armés et qui ne bénéficient pas du statut de réfugiés selon les termes de la Convention de Genève, notamment en ce qui concerne les conditions de sécurité de ces personnes, que ce soit pour des raisons économiques, politiques ou ethniques.

Elle demande également au gouvernement de s’abstenir vis-à-vis de ces groupes de personnes de toute nouvelle opération qui puisse ressembler à une expulsion forcée et/ou collective, même si d’un point de vue strictement juridique une telle opération ne constitue pas une expulsion collective.

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Concernant le droit de l’enfant (art. 24)

La Commission consultative tient à rappeler au gouvernement que la Chambre des députés a voté en novembre 1993 une motion chargeant le gouvernement de nommer un défenseur des droits de l’enfant, habilité à préserver les droits de l’enfant. Elle demande au gouvernement de veiller à ce que le projet de loi qui a été élaboré soit finalisé dans les meilleurs délais.

La Commission consultative tient également à souligner que le dispositif particulier de notre loi sur la protection de la Jeunesse qui prévoit que pour tout enfant ayant fait l’objet d’une mesure judiciaire de placement dans une institution, l’essentiel des attributs de l’autorité parentale soient automatiquement transférés sur le responsable de l’institution ou sur la famille d’accueil, ce qui équivaut à une déchéance parentale, est de plus en plus souvent vécu de façon discriminatoire par les familles fragilisées que cette mesure touche. La Commission consultative pense qu’il serait plus sage de laisser au juge la faculté d’apprécier dans quelle situation il y a lieu de transférer ces droits.

Par ailleurs la Commission consultative demande au gouvernement de se mettre en conformité avec les recommandations du Comité des Droits de l’Enfant des Nations-Unies de Genève.

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Concernant la sécurité sociale et l’aide sociale (art. 34)

La Commission consultative se soucie des problèmes auxquels sont confrontés un nombre considérable de familles qui vivent au Luxembourg. D’après de récentes statistiques, 4,5 % des familles qui résident au Luxembourg vivent dans un état de pauvreté relative et un 1% dans un état de pauvreté absolue. Elle demande au gouvernement d’élaborer un plan pour l’élimination de la pauvreté, notamment en élaborant de nouvelles stratégies pour l’accès de ces familles aux services sociaux, à la formation et au marché du travail.

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Concernant la protection de la santé (art. 35)

La Commission recommande au gouvernement d’assurer un meilleur encadrement médical des personnes souffrant de troubles psychiatriques, tout comme cela a été demandé par le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants du Conseil de l’Europe. Les conditions de la prise en charge stationnaire dans des structures hospitalières ne répondent plus aux exigences de notre temps. La commission demande à ce que le niveau de qualité pour la psychiatrie soit équivalent à celui des autres domaines de la médecine et que la psychiatrie ne figure plus comme l’enfant pauvre de la médecine.

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Concernant le droit de vote et d’éligibilité aux élections au Parlement européen et aux élections municipales (art. 39 et 40)

La Commission consultative estime que le gouvernement devrait reconsidérer la question des dérogations en la matière qui conditionnent le droit de vote passif et actif des citoyens de l’Union résidant au Luxembourg à des durées de résidence.

La Commission consultative recommande au gouvernement de prendre, avant la clôture des listes électorales pour les prochains scrutins prévus en 2004 et 2005, et conformément à la motion adoptée par la Chambre des députés, des initiatives qui conduisent à l’abrogation par la Chambre des députés des dispositions restrictives de la loi électorale résultant des dérogations consenties au Luxembourg lors de la négociation du traité de Maastricht.

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Concernant les principes de la légalité et de la proportionnalité des délits et des peines (art. 49)

La Commission consultative constate que notre Constitution, qui fait bien état à l’article 14 du principe de la légalité des délits et des peines, ne comporte aucune disposition relative à leur proportionnalité, alors que ce principe joue un rôle fondamental dans notre code pénal. La Commission consultative recommande par conséquent au gouvernement de prendre une initiative afin que notre Constitution soit amendée dans ce sens, à l’instar de la procédure d’amendement découlant des obligations de ratification du traité relatif à la création de la Cour pénale internationale.

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 Ainsi adopté par la Commission consultative dans sa séance du 5 octobre 2000

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