Avis de la Commission nationale d'éthique sur la recherche sur les embryons humains

La Commission nationale d’éthique, commission indépendante, organe consultatif du Gouvernement, composé de 15 membres, a présenté le 9 janvier 2002 son avis sur la recherche sur les embryons humains.

Cet avis a pour objet d’examiner, dans une perspective technique et, surtout éthique, les relations entre la recherche portant sur des embryons humains -surnuméraires et éventuellement créés en vue de la recherche d’une part- et, d’autre part, les avancées de la médecine régénératrice (médecine de transplantation).

Questions centrales
Position adoptée
Les problèmes éthiques majeurs
Le volet juridique
Les conclusions

Questions centrales

Les questions centrales qui sont évoquées dans cet avis sont celles de savoir

- si, dans une optique technique, des travaux sur l’embryon humain, (au stade blastocyste) sont incontournables en vue des avancées futures de la médecine de transplantation et des promesses qu’elle comporte pour le traitement de maladies telles que le cancer, la maladie de Parkinson, la sclérose en plaque, l’infarctus du myocarde,

- et s’il est ou n’est pas acceptable dans une optique éthique, en vue de la réalisation de ces visées thérapeutiques, de mener des recherches sur l’embryon humain, de créer éventuellement des embryons en vue de ces travaux, de dissocier, au cours des recherches, des embryons au tout premier stade de leur développement et d’utiliser, dans le contexte de la recherche et des ces applications, la technique dite de “ clonage thérapeutique ”.

Position adoptée

La partie technique de l’avis aboutit, notamment, à la position selon laquelle,, “ à côté des études in vitro et sur l’animal, une partie non-négligeable des travaux de recherche nécessaires devra être réalisée sur du matériel humain : les cellules souches adultes mais aussi les cellules souches embryonnaires. Dans l’état actuel des connaissances, les travaux sur les embryons humains (stade blastocyste) sont incontournables ”.

Les problèmes éthiques majeurs

Problème 1 : Comment un comité d’éthique doit aborder dans ces débats les problèmes concernant le statut des embryons ?

A l’égard de cette question, la Commission opte pour une démarche modeste. A une très forte majorité, elle juge qu’aucun consensus ne pouvant être obtenu à l’égard des présupposés qui sous-tendent communément le débat sur le statut de l’embryon, elle fera abstraction de celui-ci.

Problème 2 : Concerne la recherche portant sur des embryons surnuméraires

A une très forte majorité (14 sur 14) les membres de la C.N.E. jugent que “ que les embryons surnuméraires qui ne sont plus revendiqués dans le cadre d’un projet parental devront être consacrés à la recherche à finalité thérapeutique plutôt que détruits ”.

Problème 3 : Concerne la production d’embryons à des fins de recherche

Selon la majorité des membres de la C.N.E. (10 sur 15) la “réponse au troisième problème ne peut résulter que de la pondération d’exigences normatives difficiles à concilier. L’exigence de protéger l’embryon humain en est une. Par ailleurs la perspective de créer des embryons destinés à la recherche suscite, jugent-t-ils, un profond malaise. Si toutefois la recherche est soumise à un cadrage réglementaire rigoureux, les promesses qu’elle comporte pour les malades l’emportent sur ce malaise. La création d’embryons en vue d’une recherche prometteuse peut se révéler indispensable dans la mesure où les embryons surnuméraires sont de plus en plus rares ”

Quatre membres s’opposent, en revanche, à la production d’embryons en vue de la recherche. Dans leur optique, “ la création d’embryons en vue de la recherche scientifique constitue une instrumentalisation certaine de l’être humain aux premiers stades de sa vie. Elle risque d’avoir une incidence et sur la compréhension réflexive que l’humanité a d’elle-même et – ce qui en dépend – sur la manière dont l’homme est perçu et traité, tout au long de sa vie (argument de la pente glissante). Par ailleurs le recours aux embryons surnuméraires devrait suffire aux besoins de la recherche fondamentale. La recherche appliquée devrait à l’avenir porter sur les cellules souches adultes.

Il est évident que, selon ces membres, dans une optique politique et éthique et scientifique, il faudra privilégier ce type de recherche ”.

Problème 4 : Concerne le clonage thérapeutique

Neuf membres jugent que “ si cette technique se révèle praticable en médecine humaine, si, un jour, elle est sûre et si, par ailleurs, elle présente des avantages significatifs à l’égard de toute approche alternative, la technique du clonage thérapeutique est acceptable dans une optique éthique ”.

Cinq membres admettent, en revanche, “ que pour des raisons éthiques, le clonage thérapeutique n’est pas acceptable. Seule l’intention et la finalité, juge l’un de ces membres, distinguent CHT (le clonage humain thérapeutique) et CHR (le clonage humain reproductif). En raison de cette identité structurale, l’admission du clonage thérapeutique risque bien d’ouvrir une brèche dans l’interdiction du clonage reproductif ”

Problème 5 : Concerne les alternatives au clonage thérapeutique

A l’égard de ce problème, les membres ne font que confirmer les positions adoptées antérieurement dans le débat.

Le volet juridique

La Commission nationale d’éthique relève qu’au regard des positions adoptées par la majorité des membres de la Commission à l’occasion du débat éthique, il n’est indiqué ni d’interdire purement et simplement les techniques discutées dans l’avis ni de s’abstenir de toute réglementation. La majorité des membres de la Commission (10 sur 15) voudraient suggérer aux pouvoirs publics d'autoriser ces techniques dans le cadre d'une réglementation qui détermine les conditions et les limites d’application. La minorité des membres (4 sur 15) juge qu’il ne serait pas indiqué d’autoriser ces techniques.

Les conclusions

Les conclusions résultent directement des prises de position qui ont été reconstruites plus haut. On les trouvera sur les dernières pages de l’avis de la Commission nationale d’éthique :

Conclusions adoptées par la majorité des membres :

Embryons surnuméraires

Selon une très forte majorité des membres de la C.N.E. (13 sur 15) plutôt que d’être détruits, les embryons surnuméraires non revendiqués dans un projet parental devraient être consacrés à des recherches à visée thérapeutique.

Selon ces mêmes membres, il est licite et désirable, dans une optique éthique, que des recherches fondamentales et appliquées – à visée indirectement ou directement thérapeutique – soient menées sur des cellules souches embryonnaires isolées au stade blastocyste à partir d’embryons surnuméraires.

Création d’embryons en vue de la recherche

Selon une forte majorité de membres (10 sur 15), la création d’embryons humains en vue de la recherche thérapeutique est acceptable dans une optique éthique si toutefois certaines conditions formulées dans cet Avis sont respectées

Conditions formelles :

Les recherches portant sur des embryons humains ne pourront être entreprises que par des institutions spécialisées ayant obtenu l’agrément des autorités de tutelle.

Les recherches impliquant l’utilisation d’embryons humains ne pourront être entreprises que sous la responsabilité de chefs de projet qui peuvent fournir la preuve d’une formation et qualification appropriées ainsi que d’un agrément des autorités de tutelle.

Des conditions de pluridisciplinarité ainsi que des conditions techniques à définir seront requises en vue du fonctionnement d’un établissement pratiquant des recherches sur des embryons humains.

Tout établissement autorisé à pratiquer des recherches sur des embryons humains est tenu à présenter un rapport d’activité annuel au moins au Ministre de la Santé.

Toute recherche portant sur des embryons humains doit obtenir un avis conforme du comité d’éthique de la recherche.

Par ailleurs la Commission souligne qu’un cadrage de la recherche au niveau européen serait indiqué.

Conditions de fond :

La recherche ne portera sur des embryons humains que si elle promet des avancées ne pouvant pas être obtenues par des recherches menées sur des embryons animaux.

Des embryons de recherche ne seront créés que si la recherche ne peut pas être menée sur des embryons surnuméraires.

La recherche appliquée portant sur des embryons humains doit être pratiquée avec des visées purement thérapeutiques.

Le clonage reproductif sera interdit.

Selon ces membres, dans une optique éthique, il est licite et désirable que des recherches fondamentales et appliquées – à visée indirectement ou directement thérapeutique – soient menées sur des cellules souches embryonnaires isolées au stade blastocyste à partir de ces embryons de recherche.

Une forte majorité de membres de la C.N.E (10 sur quinze ) recommandent au pouvoir législatif d’envisager un encadrement réglementaire rigoureux de la recherche à visée thérapeutique sur les embryons humains .

Clonage thérapeutique

Une majorité de membres de la C.N.E. (9 sur quinze) jugent que – si tant est que cette technique se révèle à la fois praticable et sûre en médecine humaine et si, par ailleurs, elle présente des avantages significatifs à l’égard de toute approche alternative – la technique du clonage thérapeutique est acceptable dans une optique éthique.

Conclusions adoptées par une minorité de membres:

Non en vue de contester l’utilité de la médecine régénératrice, mais pour des raisons éthiques (c’est à dire en vue de l’application du principe de précaution à l’égard de risques incalculables et incontrôlables), une minorité de membres de la C.N.E. (5 sur 15) se prononcent contre la création d’embryons humains en vue de la recherche thérapeutique.

Une minorité de membres de la C.N.E. (5 sur 15) se prononcent, pour des raisons éthiques, contre le clonage thérapeutique.

Pour ces membres, il est notamment évident que le clonage thérapeutique ouvre la porte au clonage reproductif. L’utilité des objectifs de la recherche ne peut détourner l’attention du risque, à long terme, de réification et de commercialisation de matériel biologique provenant du corps humain. L’individualisme et l’utilitarisme ne doivent pas l’emporter sur le souci du bien commun.

Conclusion complémentaire adoptée à l’unanimité :

La Commission entend souligner l’importance d’une solution au niveau de l’Union européenne . Même si une uniformisation des régimes nationaux paraît difficile à réaliser, compte tenu des approches fort différentes dans les Etats membres, une certaine harmonisation par l’adoption de standards communs serait indiquée.

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