Discours de S.A.R. le Grand-Duc à l'occasion du déjeuner offert par Jan Peter Balkenende, Premier ministre des Pays-Bas

Majesté, Altesses Royales,
Excellences, Mesdames et Messieurs,
Monsieur le Premier ministre,

Vous ne pouviez choisir endroit plus significatif pour clôturer cette magnifique visite que je viens d'effectuer avec la Grande-Duchesse dans votre pays.

Le Ridderzaal symbolise à vrai dire toute la vitalité de la démocratie néerlandaise. Pour mes compatriotes ces lieux historiques ont encore une autre signification: Ici et en ces murs s'est décidé en partie le sort de leur pays. Imaginez l'impression que me procure la vue de la statue équestre de Guillaume II qui jouxte le Binnenhof, alors que de mon bureau, au Palais de Luxembourg, j'entretiens au quotidien, avec la représentation à l'identique de ce grand Roi d'antan, une singulière cohabitation.

Accompagné de notre ministre des Affaires étrangères et de notre ministre de la Justice, vous me voyez très heureux, avec la Grande-Duchesse, d'être votre hôte et de pouvoir partager avec vous quelques réflexions sur un sujet crucial pour nos deux nations, s'agissant de l'avenir de l'Europe.

Monsieur le Premier ministre,

Vos propos élogieux retenus pour qualifier la récente Présidence luxembourgeoise à la tête de l'Union européenne m'ont touché.

Qu'il me soit permis à cet endroit de souligner en retour l'énorme travail assuré dans ce contexte par les missions diplomatiques néerlandaises de par le monde.

Ces six mois de Présidence furent incontestablement ébranlés par le double refus des peuples néerlandais et français d'entériner le projet de Traité constitutionnel.

Ce texte pour imparfait qu'il est, a en revanche reçu l'aval d'une majorité au Grand-Duché.

Il reste que depuis, l'Europe s'interroge, dans le respect des convictions d'un chacun, sur la meilleure façon de reprendre le chemin de l'intégration.

Au regard d'une réflexion qui est actuellement en cours, il serait prématuré et hasardeux d'avancer à ce stade des conclusions tranchantes.

Pour ma part, je ne cesse de m'interroger sur ce qui s'est passé pour que cette Europe, synonyme d'espoir, antidote au fatalisme, artisan courageux d'une nouvelle gouvernance mondiale fasse l'objet d'une désaffection croissante, notamment et surtout chez les jeunes?

On peut certes débattre à l'infini des bienfaits comme des erreurs de l'Europe.

Il me semble avoir trouvé un début de réponse à la lecture ces jours-ci d'un commentaire fait par un éminent observateur; je le cite: "l'Europe souffre au niveau de ses opinions publiques d'une impression de fuite en avant, de perte de contrôle. Les élargissements sans budget, les libéralisations sans convergence des politiques sociales et fiscales, l'Europe de "la main invisible" en un mot, ont dévoilé leurs limites" (fin de citation).

Pour tel autre le malaise que suscite l'Union européenne dans une partie de nos opinions publiques résiderait dans la difficulté de définir clairement le rapport entre l'identité nationale et l'identité européenne.

En effet ne dit-t-on pas que l'Europe n'aspire pas à devenir un "Super État" qui effacerait les frontières nationales, alors que simultanément il y a lieu d'admettre que cette même Europe fait tout pour être reconnue comme un "Super État de fait" sur la scène internationale, une démarche qui s'énonce sous le concept "d'Europe Puissance".

La présente situation faite de doutes, de peurs et de morosité ne saurait durer. L'expérience des deux pays-fondateurs que sont les Pays-Bas et le Grand-Duché nous a appris que l'Europe doit en permanence aller de l'avant. Pour cela, l'Europe doit reconquérir le cœur de nos citoyens. Cela implique qu'elle doit prioritairement s'occuper de leurs problèmes.

Ces jours-ci, une éminente personnalité française, présente à Val Duchesse en 1956 lors de l'élaboration des Traités de Rome, à savoir Jean François Deniau nous rappelle que: "Ce ne sont pas les querelles institutionnelles qui passionnent les gens, mais l'emploi, la santé, la sécurité. Si d'aventure la recherche européenne réussissait à trouver un vaccin contre le cancer, l'Europe deviendrait populaire".

De fait Airbus, Ariane, les programmes de l'Agence spatiale européenne (ESA) ne sont-ils pas des exemples fort illustratifs de ce que l'Europe est en mesure de mettre sur pieds?

Majesté, Altesses Royales,
Excellences, Mesdames, Messieurs,
Monsieur le Premier ministre,

Je vous donne à considérer qu'un silence par trop prolongé ne ferait qu'amplifier l'anxiété qui taraude, au sujet de ses lendemains incertains, la jeunesse d'Europe.

Voilà pourquoi il nous faut définir ensemble dans les prochains mois les contours d'une nouvelle donne pour notre Union, qui rende l'espoir à cette partie d'elle-même qui devrait spontanément l'incarner.

Avec cette perspective à l'esprit, je vous convie de lever votre verre et de boire avec moi à cette vision d'espoir qui depuis toujours a marqué les existences et nourri les convictions des peuples néerlandais et luxembourgeois.

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