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Déclaration sur la politique de coopération au développement 2007 (traduction française)
- seul le discours prononcé en luxembourgeois fait foi -
1. Introduction et contexte général
2. Développement et commerce
3. Développement et gouvernance
4. Conclusions
1. Introduction et contexte général
Seul celui qui connait et assimile le passé peut prétendre participer à la construction de l’avenir.
Il est difficile pour un continent dont de nombreuses frontières ont été tracées à la règle par des tiers de prendre en main son développement, d’autant plus que ces frontières ont été fixées sans prendre en considération les questions d’identité et de culture et sans se soucier de ce allait ou n’allait pas ensemble.
C’est difficile pour un continent sur lequel – il y a encore une génération, ou une génération et demie – des étrangers, souvent venus de très loin, ont dit aux habitants ce qu’ils devaient faire et ce qu’ils ne devaient pas faire. Et ce d’autant plus que cette pratique s’est institutionnalisée pour devenir un pouvoir colonial.
Il est difficile pour un continent à partir duquel, pendant des siècles, des hommes et des femmes ont été exportés vers d’autres continents comme des marchandises ou du bétail, de prendre en main son développement. D’autant plus que les marchands d’esclaves – européens, mais aussi américains et arabes, ainsi que leurs complices africains – ne choisissaient que les prétendus meilleurs et les plus sains pour les entasser dans les cales des navires à destination d’un avenir incertain et terrible, indescriptible.
Pourtant, bien des choses remarquables sont en train de se produire en Afrique.
Au Bénin, comme au Liberia, un nouveau président a été désigné l’année dernière au terme d’élections démocratiques et les populations de ces deux pays placent de grands espoirs dans leurs présidents, Yaya Boni au Bénin, qui est déjà venu au Luxembourg, et Ellen Johnson Sirleaf, au Liberia.
Cependant, comme l’a pertinemment fait remarquer l’International Crisis Group, les élections comme celles qui se sont déroulées au Liberia ne marquent que le début d’une évolution positive au terme de 25 années de troubles, de corruption et de mauvaise gestion. Une période de reconstruction et de réhabilitation s’impose pour transformer l’essai en termes de développement durable. Depuis le mois de février de cette année, le Luxembourg siège à la Commission de consolidation de la paix de l’ONU et intervient de manière accrue, dans le cadre de son aide humanitaire, pendant de telles périodes de transition cruciales.
Ce tableau aux débuts prometteurs est en revanche terni par les guerres et les massacres au Darfour, en Somalie et dans d’autres régions du monde.
Le Darfour et la Somalie : deux régions devenues synonymes de massacres et de crimes contre l’humanité. La situation dans ces deux pays est certes scandaleuse, mais il est tout aussi scandaleux que la communauté internationale, nous tous ici présents inclus, ne soit pas en mesure d’y mettre un frein et de renverser la vapeur. Il y a deux ans, à mon retour du Darfour, j’ai déclaré que je ne voyais pas le bout du tunnel. Je vous dis aujourd’hui que depuis lors la situation n’a fait qu’empirer. Voilà pourquoi nous devons impérativement tout mettre en oeuvre – dans cette enceinte, mais aussi au sein des instances internationales – pour faire enfin bouger les choses. Il faut par exemple que l’ONU puisse enfin déployer des troupes au Darfour, ce qui représenterait ne serait-ce que le commencement d’une solution, dans un environnement d’une complexité persistante, jusqu’à ce que nous parvenions – grâce aussi à la diplomatie et à la politique – à une résolution durable de ce conflit.
Sur toile de fond de ces évolutions positives et négatives en Afrique, la Coopération luxembourgeoise demeure fermement déterminée à atteindre son objectif de 1% du RNB. Le budget de cette année vise les 0,9%, nous faisant ainsi figurer dans le peloton de tête avec la Norvège et la Suède, devant le Danemark et les Pays-Bas. Je me réjouis de ce que cet objectif continue à être soutenu par tous les partis ici présents.
Je tiens toutefois aussi à répéter que nous ne misons pas seulement sur le volume de notre effort de coopération, mais que nous veillons tout autant à la qualité, une qualité elle aussi reconnue au niveau international. Cette qualité se définit notamment par une forte concentration géographique, une forte concentration sectorielle, mais aussi une forte présence sur le terrain. Ainsi, nous avons ouvert cette année, comme nous l’avions déjà annoncé, nos bureaux à Ouagadougou et à Managua. Cette qualité se définit également par l’approche plus programmatique qui caractérise nos Programmes indicatifs de coopération de deuxième génération, mais aussi par notre détermination à pousser plus loin nos efforts en matière de suivi, d’évaluation et de contrôle. Nous mettrons, cette année et l’année prochaine, un accent particulier sur les ONG. La Direction de la Coopération est par ailleurs en train de mettre en oeuvre les recommandations de l’audit organisationnel tandis que LuxDev a réorganisé sa direction cette année, ce qui est somme toute une bonne chose.
Toutes ces mesures et d’autres encore nous permettent de travailler encore plus efficacement et je peux vous assurer que nous continuerons à faire le maximum pour faire en sorte que les fonds à disposition profitent à ceux qui sont censés en bénéficier, à savoir les plus pauvres parmi les pauvres. C’est pour moi, en tant que reponsable politique, comme d’ailleurs pour tous ceux qui ont des responsabilités dans le domaine de la coopération, un souci de tous les jours, un souci permanent.
Voilà pour les piliers quantitatif et qualitatif de la politique de coopération luxembourgeoise, mais je souhaiterais me concentrer aujourd’hui sur deux autres sujets.
Je commencerai par le commerce international. Ne pas en parler en 2007 serait une grave erreur, car c’est le sujet qui dominera clairement l’ordre du jour de cette année et des années à venir. C’est pourquoi je voudrais aujourd’hui traiter cette question en détail.
Je consacrerai la deuxième partie de mon intervention à la question de la gouvernance, un sujet que je viens d’évoquer avec les exemples du Bénin et du Liberia.
Puisque je concentrerai mon intervention sur le commerce international et la gouvernance, je n’évoquerai pas cette année d’autres sujets que j’ai traités en détail par le passé et dont nous avons débattu notamment au sein de la commission et pendant les premières Assises de la Coopération. Nous aurons encore l’occasion d’en discuter lors des deuxièmes Assises qui auront lieu en septembre de cette année.
2. Développement et commerce
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs,
La communauté internationale s’est fixé des objectifs précis en 2000. Je veux parler des Objectifs du Millénaire, dont le but principal est de réduire de moitié la pauvreté dans le monde d’ici 2015.
Pour y parvenir, nous avons besoin, au niveau international, de consacrer des moyens supplémentaires à la politique de développement et nous avons besoin, toujours au niveau international, d’une politique de développement efficace et bien structurée. Nous sommes sur la bonne voie sur ces deux plans, du moins au sein de l’Union européenne.
Toutefois, si nous voulons relever le défi du développement, nous devons aussi parvenir à associer les pays en développement au commerce international et à inclure de manière intelligente leurs activités économiques, celles qui existent et celles qu’ils vont encore développer, dans le cadre des échanges internationaux, de sorte qu’ils puissent se développer, de sorte qu’ils puissent eux-mêmes prendre en main leur développement.
Si nous n’y parvenons pas, les réalisations de la coopération ne seront peut-être pas vaines, mais elles n’auront pas, sur une période de 20 ou 30 ans, les effets positifs 4 durables et généralisés escomptés, et nous devrons continuer à faire du rapiécage ou renouveler notre soutien aux pays en développement.
Nous avons besoin de la coopération classique dans les domaines de la santé, de l’éducation et de l’eau pour créer les bases du développement – c’est indispensable. Mais par la suite, si nous voulons briser le cercle vicieux de l’assistanat, – et c’est ce que nous voulons – si nous voulons que les Africains prennent eux-mêmes en main leur développement – et c’est ce que nous voulons – alors nous devons faire en sorte qu’ils puissent être admis sur la scène du commerce international en tant qu’acteurs à part entière. Non pas pour promouvoir à tout prix le commerce international. Non pas pour commercer coûte que coûte. Mais pour que le commerce génère de la croissance – au profit des populations – parce que cette croissance génère des ressources, parce que ces ressources entraînent des recettes fiscales et que ces recettes peuvent alors être employées par l’Etat pour mettre en oeuvre des politiques – politiques sociales par exemple – dans l’intérêt des populations.
Maintenant, chacun est libre d’être favorable ou non à la mondialisation, là n’est pas la question, cela ne change rien à l’affaire. Le fait est que la mondialisation existe, elle est réelle, qu’on le veuille ou non ; et nous devons nous en accomoder, bon gré mal gré.
Et tout comme nous nous efforçons de donner une orientation sociale et écologique à la composante économique de la mondialisation, de même nous devons y inclure la composante du développement – c’est là l’enjeu, c’est à ce niveau que nous devons agir.
Méfions-nous aussi des faux amis. Ceux qui veulent faire croire aux Africains qu’ils pourront atteindre un développement positif en autarcie totale, pour ainsi dire en marge de la mondialisation, les induisent en erreur, ils leur jettent de la poudre aux yeux. On ne peut pas observer la mondialisation de loin, sans y être mêlé et pourtant en tirer tous les profits. Il est irresponsable de donner l’illusion que l’Afrique et les Africains peuvent prendre en main leur développement sans être admis à prendre part au commerce international et à profiter des retombées économiques du commerce international. Les auteurs de telles déclarations n’atteindront, s’ils parviennent à s’imposer – je ne l’espère pas et je m’y oppose – qu’un seul but, à savoir la pérennisation de l’assistanat pendant des dizaines et des dizaines d’années.
Tel n’est pas mon objectif, ce n’est pas ce que nous voulons et c’est ce que nous combattrons.
Ce que nous voulons, ce sont des instruments nous permettant de donner une orientation différente à la mondialisation. Dans l’intérêt du développement. Dans l’intérêt de ces millions d’hommes, de femmes et d’enfants qui, jour après jour, doivent survivre avec moins d’un dollar.
Sur le plan international, 2005 a été l’année de la refonte et de la relance de la coopération au développement. 2007 peut et doit devenir l’année de la définition de nouvelles règles commerciales internationales. En faveur du développement.
Au moins deux rendez-vous importants nous attendent. Ils constituent une occasion exceptionnelle de faciliter et d’améliorer la participation des pays en développement aux échanges commerciaux internationaux.
Le premier des ces rendez-vous est l’actuel cycle de négociations au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), mieux connu sous l’appellation cycle de Doha pour le développement.
Je n’évoquerai que brièvement l’OMC. En dépit de toutes ses imperfections – mais c’est là un autre sujet – le cycle de Doha pourrait résulter sur des améliorations en faveur des pays en développement. Je vise en particulier des éléments tels que la suppression des subventions à l’exportation des produits agricoles des pays développés ou encore une plus grande ouverture unilatérale des marchés envers les exportations des pays les moins avancés.
Or c’est sur le deuxième rendez-vous que je souhaite insister aujourd’hui. Je fais référence aux Accords de partenariat économique ou APE, qui sont en cours de négociation entre l’Union européenne et les pays ACP. A mes yeux, ces accords peuvent être des instruments de développement. Je pense même qu’ils doivent le devenir.
Je voudrais présenter aujourd’hui plusieurs aspects de ces accords afin de mettre en avant l’influence qu’ils sont susceptibles d’exercer dans les décennies à venir sur l’orientation générale du commerce international, même au-delà des frontières de l’Afrique et de l’Europe.
S’agissant tout d’abord du calendrier, les négociations sont censées être conclues d’ici la fin de l’année. En effet, le régime commercial entre l’UE et les ACP n’étant pas conforme aux règles de l’OMC, l’UE et les pays ACP ont obtenu en 2000 un délai de 8 ans pour ajuster leur régime bilatéral. Ce délai arrive donc à expiration à la fin de cette année!
Cette échéance n’est pas à prendre à la légère, car ne pas la respecter pourrait avoir de lourdes conséquences. Ainsi, cela pourrait notamment signifier la fin pour les pays les moins avancés (PMA) du régime „everything but arms“, celui-ci n’étant pas conforme aux règles de l’OMC. Pour mémoire, „everything but arms“ autorise les PMA à exporter sans droits de douane leurs produits vers les pays de l’UE – ce qui ne serait plus possible si l’Union européenne et les ACP ne trouvaient pas d’accord. L’accès aux marchés européens pour ces pays en deviendrait par conséquent beaucoup plus difficile voire impossible.
Les négociations en cours doivent par conséquent avancer rapidement, ce d’autant plus que jusqu’à présent personne, – j’ai bien dit : personne – n’a encore été capable de présenter une alternative crédible. Je l’attends toujours …
Maintenant, quel est ou quel devrait être le contenu de ces accords? Quels en sont les principaux éléments? Je voudrais en évoquer quatre. Le premier élément est celui de l’asymétrie. Le deuxième celui des règles de protection spécifiques pour l’un ou l’autre secteur particulièrement sensible. Le troisième celui de l’intégration régionale et le quatrième celui du développement des capacités.
Cette énumération démontre déjà que ces accords ne sont pas de simples accords de libre échange comme certains ne se lassent pas de le prétendre.
Venons-en d’abord à la question de l’asymétrie :
Les APE doivent être caractérisés par une forte asymétrie entre le Sud et le Nord.
Une asymétrie dans le temps – d’abord une ouverture pratiquement immédiate des marchés européens et par la suite seulement, après 15, 20 ou 25 années, une ouverture des marchés ACP.
Mais aussi une asymétrie au niveau des produits. Une ouverture quasi totale de la part de l’Europe, une ouverture partielle ou une ouverture beaucoup plus restreinte de la part des ACP. Cela signifie que l’UE devrait supprimer à court terme dans le domaine économique pratiquement toutes les restrictions qui touchent encore – au niveau tant des tarifs que des quantités – les exportations des pays ACP. Pendant ce temps, cette démarche se ferait bien plus lentement et plus progressivement du côté des ACP, qui pourraient également maintenir une protection par rapport à environ 20% des exportations de l’UE pendant et au-delà de la période de transition, c’est-à-dire jusqu’après 2020 ou 2025, voire plus longtemps encore.
Ce dernier élément me tient fortement à coeur, et il m’amène à mon deuxième point, à savoir les règles spécifiques pour les secteurs particulièrement sensibles.
Je suis convaincu que chaque continent, chaque région du monde doit avoir le droit d’organiser son agriculture comme bon lui semble.
C’est une question de sécurité alimentaire, mais c’est aussi une question de souveraineté alimentaire.
D’ailleurs, ce droit (pour chaque continent d’organiser son agriculture comme bon lui semble) je le revendique aussi pour l’Union européenne – je vise ici la politique agricole commune, son principe, pas son contenu.
Mais ce droit, je le revendique aussi et surtout pour l’Afrique. Car si je m’arroge le droit d’organiser mon agriculture en interne comme bon me semble, je dois aussi accorder ce droit aux autres. C’est élémentaire, certes, mais ce raisonnement va plus loin. Si je m’accorde – à raison, il me semble – le droit d’organiser mon agriculture comme bon me semble, cela signifie aussi que j’ai l’obligation de ne pas désorganiser l’agriculture de l’autre continent. Concrètement, cela signifie qu’il faut une fois pour toutes mettre fin aux poulets européens bon marché – car subventionnés au départ – du marché de Dakar. On ne peut tout de même pas apporter d’un côté un soutien massif à l’Afrique et d’un autre côté, en inondant les marchés de Dakar, d’Accra et d’ailleurs de poulets bon marché subventionnés, anéantir tous les efforts de développer une agriculture indépendante. Certes, le Luxembourg n’exporte pas de poulets subventionnés vers l’Afrique, mais en tant que membre de l’Union européenne, nous ne pouvons pas ne pas être concernés par la question.
Aux mesures à prendre pour organiser l’agriculture d’un continent donné, je dis clairement "oui". Aux mesures ayant des retombées négatives pour d’autres continents, je dis clairement "non".
Quant à la question des subventions à l’exportation, je ferai remarquer, en passant, que le paquet ficelé par l’OMC à Hong Kong en décembre 2005 prévoyait qu’elles seraient ramenées à 0 d’ici 2012. Cette décision est elle aussi remise en question, puisqu’en raison de la suspension des négociations au sein de l’OMC le paquet de Hong Kong a lui aussi été rouvert. Soit dit en passant, je voudrais également rappeler que je considère Hong Kong comme un demi-échec plutôt que comme un demi-succès.
Tout serait tellement simple si le principe de la sécurité alimentaire, au sens premier du terme, était au centre des débats, s’il était accepté et respecté de tous.
Loin d’être neutre, la question de la sécurité alimentaire sera encore longtemps au centre de nos préoccupations.
A l’instar des questions d’environnement et d’énergie qui sont actuellement au centre du débat public, fort à propos d’ailleurs, je crains que les questions liées à l’agriculture et à l’alimentation, si nous ne les abordons pas correctement, ne deviennent tout aussi pressantes dans un avenir proche.
Aujourd’hui, nous sommes 6 milliards sur cette terre. En 2050, nous serons plus de 9 milliards, la population des 50 pays les plus pauvres de la planète aura doublé. Si d’ici là nous n’avons pas trouvé de réponse durable à la question alimentaire – et par conséquent à la question de l’organisation de l’agriculture de par le monde – c’est au plus tard à ce moment-là que nous devrons nous attendre au pire et que nous risquerons de voir la faim provoquer des conflits à grande échelle.
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs,
La question que je soulève ici dépasse bien évidemment le cadre des accords entre l’Union européenne et les ACP. Elle pourrait cependant trouver un début ou une esquisse de réponse dans le cadre de ces mêmes accords.
Je voudrais à présent passer à une troisième composante importante des APE, à savoir l’intégration régionale. Tout comme la quatrième composante, c’est-à-dire le développement des capacités, ce troisième aspect est peut-être moins connu, mais il n’en est pas moins essentiel.
L’intégration régionale a apporté au cours des dernières décennies un essor important à l’Europe, le Luxembourg ainsi que d’autres pays d’Europe lui doivent beaucoup – il est important de s’en souvenir.
Et ce qui vaut pour l’Europe dans ce contexte pourrait aussi valoir pour l’Afrique et les autres pays ACP.
Les six régions avec lesquelles l’Union européenne est en négociations à l’heure actuelle sont encore loin de pouvoir être considérées comme des unions douanières, et encore moins s’agit-il de marchés intégrés. L’essor économique de l’Afrique s’en trouve fortement freiné.
Sans intégration économique régionale nous avancerons à peine. Considérés sous cet angle, les APE pourraient donner une impulsion décisive. Il faut cependant s’assurer que les marchés intégrés régionaux se créent et fonctionnent avant de passer à une ouverture vers l’extérieur, vers l’Union européenne.
Le moment venu, six ensembles économiques plus grands et plus forts feront face à l’UE, au lieu de 77 pays avec 77 économies isolées, et donc plus faibles, comme c’est le cas aujourd’hui encore.
Cela m’amène à mon quatrième point.
Le fait est – et je n’ai pas l’intention de le cacher – que ce cadre multidimensionnel et novateur des APE entraînera des adaptations et des mutations dans ces 77 pays. Ces adaptations sont nécessaires pour que les effets positifs des APE se fassent complètement ressentir – ce n’est que de cette manière que les ACP pourront atteindre un développement durablement positif.
Ces adaptations ont un prix, c’est évident. Et c’est précisément à ce niveau que l’Union européenne sera le plus fortement sollicitée. C’est à ce niveau que les pays ACP nourrissent de grandes attentes à notre égard – à raison, d’ailleurs. C’est à ce niveau que nous ne devons pas les décevoir et que nous découvrirons définitivement dans quelle mesure chacun des 27 Etats-membres de l’UE est sérieux lorsqu’il parle de "partenariat".
Il ne s’agit pas – et je tiens à le préciser une nouvelle fois – de dédommager les ACP pour des accords qui auraient des répercussions globalement négatives. Il s’agit de maximiser les effets positifs des APE pour les pays ACP par le biais d’un soutien intelligent. Il s’agit de tracer le chemin commun et d’accompagner les accords de manière à ce que les effets positifs de ces accords puissent se ressentir le plus vite et le plus complètement possible:
Cela signifie que nous devons aider nos partenaires dans le Sud à développer de nouvelles capacités. Les capacités nécessaires pour faire progresser le développement. Qui sont nécessaires pour réorganiser le cadre réglementaire. Qui sont nécessaires pour appliquer de manière cohérente ces nouvelles règles, en particulier les règles de nature économique.
Ainsi, il nous faut des administrations qui réussissent à organiser– quand il le faut – et à accompagner – quand il le faut – ce processus. Il nous faut en particulier des administrations capables de collecter les impôts de manière équitable, transparente et acceptable, des administrations qui parviennent à stimuler l’économie et à ne pas l’entraver. Mais même dans le secteur privé il faut un accompagnement et de la formation, et tout ce qui touche au « capacity building » et à la gouvernance économique ; il nous faut des règles d’origine facilitant l’accès aux marchés, une simplification et une harmonisation des procédures, des règles protégeant les investissements, etc. etc.
Pour parvenir à tout cela, il nous faudra cependant aussi fournir – à mes yeux sur une base temporaire – les moyens financiers pour neutraliser les pertes causées par la réduction des droits de douane.
Par ailleurs, il faudra améliorer les infrastructures dans le domaine de l’énergie et du transport.
Nos actions devront également être conçues et évaluées de manière à permettre à nos partenaires du Sud de développer – avec notre soutien – des capacités productives – je parle du secteur privé. Entre autres des PME et de l’esprit d’entreprise en général. Il s’agit en fin de compte de développer un environnement commercial positif et il s’agit d’investir en Afrique, il s’agit de ces investissements dont ce continent a tellement besoin.
Nous devons faire tout cela – et quand je dis "nous", je parle des Africains et des Européens, ensemble, dans un partenariat bien conçu et vraiment vécu.
Nous devons faire tout cela, non pour le plaisir de réformer et de réorganiser, mais parce que nous voulons qu’à terme les Africains puissent prendre leur développement en main et que nous puissions quitter la voie d’un assistanat permanent.
La coopération n’est pas une fin en soi, elle a pour but d’éradiquer la pauvreté. Elle ne doit en aucun cas mener à la pérennisation de l’assistanat et c’est pourquoi tout cela importe tellement. Il y va de centaines de millions de personnes, qui ne demandent pas « toujours plus » et « toujours plus », il y va de personnes qui attendent avec impatience de pouvoir enfin prendre en main leur propre destin. J’estime que c’est là une raison suffisante pour leur donner un sérieux coup de main, ça en vaut la peine.
***
Vous pensez peut-être que c’est une tâche énorme et compliquée, et difficilement réalisable – moi, je vous dis qu’ensemble nous en viendrons à bout.
Vous pensez peut-être que cette entreprise ne peut pas être financée – moi je vous dis que nous pouvons la financer : nous, c’est-à-dire les Européens, n’avons qu’à tenir nos promesses. Ni plus, ni moins.
Je m’explique.
L’Union européenne s’est engagée sous présidence luxembourgeoise à consacrer globalement d’ici 2010 0,56% et d’ici 2015 0,7% de sa richesse à la coopération, ce qui équivaut à 20 milliards d’euros par an de plus pour la coopération au développement à partir de 2010. Il est évident que dans cette grande cagnotte de 20 milliards nous devrions trouver suffisamment de fonds pour réaliser les adaptations dont j’ai parlé précédemment. Les moyens sont disponibles, l’argent est là – de nouveaux engagements ne sont pas nécessaires, nous n’avons qu’à tenir nos promesses.
Il va de soi que tout cela devra être concrétisé et précisé dans les mois et les années à venir.
Cela s’est d’ailleurs déjà fait en partie. Pour les initiatives destinées à rendre le commerce plus facile et plus efficace, l’Union européenne a ainsi déjà prévu des montants substantiels – il s’agit maintenant de répartir les tâches et les contributions. Une partie significative du dixième Fonds européen de développement (FED) a été réservée pour les programmes comme ceux que j’ai déjà évoqués. L’UE, en collaboration avec la BEI, a en outre mis en place un Fonds européen pour les infrastructures en Afrique. Le Luxembourg a apporté une contribution d’un million d’euros à ce fonds, dont le lancement officiel a eu lieu hier. Un premier projet visera à financer un barrage qui améliorera l’approvisionnement du Mali, du Sénégal et de la Mauritanie en électricité. Et j’imagine aisément que la mise en place de fonds APE régionaux pourrait constituer un instrument supplémentaire – financé, encore une fois, grâce à la cagnotte "0,56-2010/0,7-2015" à notre disposition.
Nous pouvons faire tout cela parce que nous avons décidé, sous présidence luxembourgeoise, de doubler, au moins, l’aide au développement européenne d’ici 2015.
Nous devons faire tout cela parce que c’est la clé du succès, dans l’intérêt du développement.
Nous voulons faire tout cela parce qu’en 2007 la pauvreté est décidément inacceptable d’un point de vue humain et inutile d’un point de vue économique. Cette dernière phrase est en partie une citation de Kofi Annan.
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Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs,
Les discussions vont se prolonger dans les mois à venir et je me félicite de ce que les orientations définies par le gouvernement dans ce domaine aient globalement trouvé un écho positif au sein de la commission compétente de la Chambre des députés.
Evidemment, je ne m’en cache d’ailleurs pas, il n’est pas exclu que l’entreprise se solde par un échec et je ne peux pas non plus exclure de nouveaux retards. Mais je refuse de croire qu’Africains et Européens ne parviendront pas à s’entendre tout comme je refuse de croire que l’un ou l’autre membre de l’Union européenne pourrait décider de revenir sur ses engagements.
Deux dernières remarques à ce sujet :
Premièrement, dans la logique de la création d’opportunités pour le secteur privé et pour ceux qui opèrent dans le domaine rural, nous allons lancer avant la fin de l’année avec l’UEMOA, l’organisation régionale en charge des questions économiques en Afrique de l’Ouest, un grand projet de développement des capacités dans le domaine de la microfinance. Ce n’est qu’un exemple parmi d’autres. Cela nous mènerait trop loin si j’énumérais aussi les initiatives bilatérales qui rentrent dans ce contexte – formation, insertion professionnelle, développement rural ; vous les trouverez dans notre rapport annuel qui paraîtra en juillet.
Deuxième remarque : Quand le commerce international se développe, de nouvelles opportunités se présentent aux entreprises luxembourgeoises, et c’est très bien. Des opportunités de ce genre pour les entreprises luxembourgeoises, il en existe déjà un certain nombre dans le cadre de la Coopération. J’ai déjà évoqué les synergies intelligentes entre les entreprises et la Coopération devant cette même assemblée l’année dernière. Depuis, nous avons approfondi la question, sur laquelle je reviendrai sous peu dans un autre contexte.
3. Développement et gouvernance
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs,
Je l’ai dit au début de mon intervention : il nous faut davantage de coopération au développement. Il nous faut une politique de développement mieux structurée au niveau international. Nous devons réussir l’insertion des pays en développement dans les échanges commerciaux internationaux.
Mais tout cela ne suffit pas. Il faut aussi et peut-être surtout que des efforts soient faits en matière de gouvernance.
Nous savons pertinemment que chaque euro dédié à la coopération au développement produit un effet plus positif dans les pays et régions où les indicateurs de gouvernance sont positifs que dans ceux où ce n’est pas le cas.
Le Zimbabwe et la Guinée-Conackry sont deux exemples négatifs, mais il existe aussi des exemples positifs, tels que le Mali. Mais je voudrais surtout évoquer le Cap Vert qui a obtenu dans un classement de la Banque mondiale – qui évalue la gouvernance sur une échelle allant de 0 à 6 – un score de 4,75, c’est-à-dire entre bon et très bon. Cet exemple nous démontre que développement positif et bonne gouvernance vont de pair.
Partant de ce constat et du fait qu’une bonne gouvernance permet d’obtenir de meilleurs résultats en matière de coopération au développement, la nécessité d’un dialogue permanent et structuré entre le Nord et le Sud est indéniable. Cela vaut pour le Luxembourg, mais cela vaut peut-être bien plus encore pour l’Union européenne et c’est pour cela qu’il était tellement important de réussir en 2005 à faire de l’Accord de Cotonou un accord plus politique, un accord qui réserve une place centrale aux aspects politiques, qu’il s’agisse des droits de l’homme, des principes fondamentaux de la démocratie et de l’Etat de droit ou encore de la cour pénale internationale et de la lutte contre le terrorisme.
Les mécanismes de l’accord de Cotonou dans sa version originale ont d’ailleurs fait leurs preuves dans bien des domaines depuis 2000, notamment en prévoyant pour les cas où la gouvernance peine à s’affirmer des règles permettant par le biais du dialogue politique de remettre les choses en place et de ne suspendre les aides qu’en dernier recours.Cela a été le cas pour la Guinée Conakry. Cela a également été le cas pour le Togo.
Si le dialogue politique a une vertu primordiale, c’est bien celle de permettre de surmonter les obstacles et de relancer de la sorte la coopération, dans un contexte positif ainsi que cela a récemment été le cas dans le cadre des relations entre l’Union européenne et le Togo. Voilà pourquoi j’applaudis aussi le fait que le dixième FED, c’est-à-dire le Fonds européen de développement, prévoit une "tranche incitative gouvernance" destinée aux pays qui ont fourni des efforts substantiels en la matière. Il ne s’agit pas de punir les uns et de récompenser les autres. Il ne s’agit pas non plus d’imposer de nouvelles conditionalités. Il s’agit purement et simplement de reconnaître les progrès réalisés dans un domaine essentiel, celui de la gouvernance.
Le dialogue politique entre partenaires permet à chacun de mieux comprendre les inquiétudes et les préoccupations de l’autre et partant de chercher ensemble des solutions ou des remèdes. Le dialogue politique permet également de mieux structurer la politique de coopération, puisqu’une coopération accompagnée d’un réel dialogue politique est une coopération qui se fonde sur le partenariat et qui pratique ce partenariat au quotidien, et ce même partenariat doit précisément reposer d’abord sur la compréhension mutuelle qui est la base de tout dialogue politique.
Le dialogue politique est utile, le dialogue politique est important. Il reste qu’il est peut-être tout aussi important d’étayer ce dialogue par des initiatives concrètes, soulignant par là qu’il ne s’agit pas simplement de paroles en l’air. Faire de la gouvernance une priorité est une intention certes louable, mais qui ne représente que la moitié ou les trois quarts du chemin. Autrement dit, en matière de gouvernance il importe de ne pas se limiter aux paroles, mais de les compléter par une série d’actions concrètes, sans évidemment remettre en question l’objectif premier de la coopération au développement - mais au contraire pour accompagner et donc renforcer ce même objectif premier - à savoir l’éradication de la pauvreté.
C’est précisément ce que nous tentons de faire dans le cadre de l’effort de coopération luxembourgeois. Ainsi, nous apportons d’ores et déjà notre soutien au Médiateur de la République au Mali tout comme nous le ferons bientôt à celui de la République du Sénégal. Toujours au Sénégal, nous sommes en train de concevoir avec les représentants de la société civile un projet de sensibilisation des jeunes aux méfaits de la corruption. Au Nicaragua nous accompagnons la mise en place de communes dans le sens d’une meilleure compréhension de leurs actions par les citoyens.
Si nous voulons réussir le défi de la gouvernance, il convient cependant dans tous les cas d’agir avec modestie et circonspection. Car, ceux qui croient qu’ils peuvent rapporter "un à un" nos modèles démocratiques en Afrique ou ailleurs se trompent lourdement. Mon appel est dès lors aussi un appel à la modestie.
Il ne faut tout de même pas oublier dans ce contexte que la plupart des pays africains n’ont acquis leur indépendence que dans les années 60 après s’être libérés du joug des puissances coloniales.
A ceci s’ajoute que ceux qui pensent pouvoir exporter à l’échelle identique des modèles démocratiques méconnaissent aussi dans une très large mesure les aspects spécifiques que nous rencontrons en Afrique. Je pense ici par exemple aux chefferies et aux marabouts, qui jouent un rôle important dans pratiquement tout modèle africain, un rôle que nous ne pourrons pas ignorer et que nous ne devrions pas sousestimer, lorsque nous parlons de gouvernance et de démocratie.
Les traditions ne sont certes pas immuables, mais encore convient-il de ne pas jeter par-dessus bord ce que les traditions ont de bon – il y va en effet ici de la cohésion sociale qui est à la base de toute vie en commun quelque peu ordonnée.
Sans tomber dès lors dans le piège des transpositions de modèles démocratiques à l’échelle identique, il faut néanmoins reconnaître qu’il existe dans le contexte de la gouvernance en général et de la démocratie en particulier toute une série d’éléments-clés indispensables à tout modèle démocratique solide. Je parle ici de l’Etat de droit, de la séparation des pouvoirs et de la nécessité d’un système judiciaire indépendant. Je parle aussi de l’importance de partis politiques qui sont conscients de l’importance de leur rôle, aussi en-dehors des campagnes électorales. Je parle encore de la nécessité d’un électorat bien informé, de la liberté de la presse et du dynamisme de la société civile et je pourrais continuer à multiplier les exemples.
Il s’agit aussi toujours d’accompagner ces processus de démocratisation. Il faut s’assurer que les pays dans lesquels les élections se sont bien passées et qui ont ensuite été félicités par l’ensemble de la communauté internationale ne disparaissent pas simplement des radars de cette même communauté internationale et retombent dans l’oubli. Développement et gouvernance sont en effet les deux faces d’une même médaille, et les pays en développement qui font état de progrès en matière de démocratie ont souvent plus que jamais besoin de l’aide de tiers. Ce n’est qu’ainsi que la confiance des citoyens dans le processus démocratique peut être renforcé.
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs,
Dans tout ce dont je vous parle aujourd’hui, il est une chose qu’il ne faut jamais perdre de vue, à savoir que la démocratie doit en tout premier lieu être synonyme de respect de l’autre – c’est la clé de voûte. Et si nous incluons dans nos réflexions le principe que celui qui veut exporter des modèles démocratiques à l’échelle identique se trompe prodigieusement, alors, je pense que nous progressons. J’ai donné tout à l’heure les exemples du Liberia et du Bénin. Je pense que ces deux exemples illustrent bien que de nombreuses choses sont en train d’évoluer dans la bonne direction.
Je souhaite à présent aborder un dernier point dans ce contexte.
Certaines personnes élaborent des théories selon lesquelles la gouvernance et la démocratie ne pourraient de toutes les façons pas prendre pied en Afrique puisque de toute manière les Africains n’y comprendraient rien et ne pourraient pas se prévaloir de traditions en la matière. Pour toutes ces raisons – je continue de paraphraser ce genre de théories – il y aurait une incompatibilté totale entre les cultures africaines d’une part, et le principe de la participation et de la compétition politiques – ce principe étant à la base de tout système démocratique – d’autre part.
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs,
Je tiens à le préciser très clairement. Ces théories sont fausses. Archi-fausses.
Il s’avère plutôt que l’époque coloniale a causé d’énormes dégâts et a fait perdre aux Africains bon nombre de leurs acquis. Mais il s’avère surtout que nous trouvons dans l’histoire africaine de nombreux exemples de structures de gouvernance et d’éléments de démocratie.
Restituer cette histoire aujourd’hui, même sommairement, fait apparaître une forme de richesse qui est loin d’être banale, que nous ne connaissons pas et qui est en fait extraordinaire.
Ainsi, l’on retrouve dans presque toutes les sociétés précoloniales le concept des organes délibérants, des assemblées ou des conseils, et ceci même si la règle de décision à l’unanimité prévalait dans bien des cas, même si tout le monde n’avait pas toujours accès à ces assemblées ou à ces conseils, même si en matière d’égalité entre hommes et femmes, tout restait à faire. Quoi qu’il en soit, les exemples sont là : chez les Peuls, en Afrique de l’Ouest, le conseil était composé des aînés, mais au moins un représentant des jeunes générations avait également voix au chapitre au cours de ces conseils ; chez les Ibo, un des grands peuples du Nigeria, le conseil était lui aussi composé des aînés, qui devaient cependant, pour pouvoir prendre une décision, obtenir l’accord des représentants des jeunes générations. Dans bon nombre de ces sociétés, il existait également des éléments d’autorité, autorité confiée par exemple aux aînés. C’était par exemple le cas des Dogons, au Mali.
En outre il existait dans un certain nombre de sociétés des règles selon lesquelles les autorités étaient désignées. Ainsi, le premier empereur du Mali a été désigné par tirage au sort. Comme l’a dit l’actuel président du Mali, ce n’était assurément pas un mode d’élection démocratique tel que nous le connaissons, mais néanmoins le début d’une compétition politique, et par conséquent une première tentative de démocratie, même si la chance y a joué un rôle clé. Dans d’autres cultures, chez les Ashanti au Ghana et les Mossi au Burkina Faso, le conseil des aînés pouvait destituer le roi s’il était d’avis que celui-ci n’agissait pas dans l’intérêt du peuple.
Finalement, à une époque où il y a une tendance à mettre sur un pied d’égalité l’esclavagisme tel qu’il était pratiqué par nombre de sociétés africaines précoloniales et la traite des esclaves pratiquée par les Européens, les Américains et les Arabes, il est intéressant de relever que dans certains de ces cas d’esclavagisme précolonial, même les esclaves participaient à la prise de décision. Chez les Serer au Sénégal, le chef des esclaves jouait un rôle important dans la nomination d’un nouveau souverain, qu'il conseillait aussi durant son règne. Chez les Mossi au Burkina Faso, le chef des esclaves exerçait aussi la fonction de Ministre des finances, tandis le général de l'infanterie royale – qui n’avait pas le droit de monter à cheval, monture considérée comme étant trop noble pour l’esclave qu’il était – avait cependant le pouvoir de remplacer le Premier ministre.
Qui plus est, et en dehors de ces éléments qui montrent que les concepts de participation et de gouvernance ont une histoire en Afrique, l’on retrouve aussi tôt qu’au 13e siècle en Afrique des éléments qui démontrent qu’à l’époque déjà le concept des Droits de l’homme était en train de voir le jour. A une époque où il n’y avait pas encore eu de contact entre l’Afrique et l’Europe et bien avant que l’Europe ou certains Etats ne codifient les Droits de l’homme. Je parle ici de la Charte du Mandé proclamée en 1222 par le premier empereur du Mali. Ce texte faisait pendant longtemps partie des textes qui ont été transmis par tradition de génération à génération et même si l’on ne connaît pas avec une précision de 100% la tournure du texte de 1222, force est néanmoins de constater qu’il était assez proche du texte que nous connaissons actuellement et qui a été couché par écrit en 1981. Le premier paragraphe de ce texte démontre de manière définitive que nous partageons avec les Africains une base commune à partir de laquelle nous pouvons continuer à développer la démocratie et la gouvernance. On peut y lire ce qui suit :
"Toute vie humaine est une vie. Il est vrai qu’une vie apparaît à l’existence avant une autre vie, mais une vie n’est pas plus ancienne, plus respectable qu’une autre vie, de même qu’une vie n’est pas supérieure à une autre vie."
4. Conclusions
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs,
Le tableau que je viens de brosser est complexe.
C’est un tableau qui reproduit les choses telles qu’elles sont : complexes.
C’est un tableau qui dépasse le cadre de la coopération classique. Mais il me tient à coeur, car il montre que tout est lié et interdépendant.
Nous avons besoin, aujourd’hui plus que jamais, de la coopération classique, mais elle ne suffit pas à elle seule si nous voulons obtenir des résultats sur le long terme. Mon tableau illustre, je le pense, les défis que nous devrons relever dans les 10, 20 et 30 prochaines années dans les échanges entre le Nord et le Sud.
Ce tableau n’est évidemment pas complet, et les sujets tels que les migrations, l’environnement, le rôle de la femme ou encore les crises politiques et les crises humanitaires en font assurément partie.
Le tableau que je viens de présenter est avant tout porteur de chances et d’opportunités.
Des chances et des opportunités pour un monde plus juste.
Des chances et des opportunités pour un développement durable, au-delà des frontières de l’Europe.
Des chances et des opportunités pour des centaines de millions de personnes de se libérer des chaînes de la pauvreté endémique.
Des chances et des opportunités pour un développement rapprochant dans la paix le Sud et le Nord.
Bref, des chances et des opportunités pour que le monde de demain ne ressemble pas à celui d’aujourd’hui.
Si nous traitons habilement les questions de gouvernance et de commerce international dans les 10, 20 ou 30 années à venir – si nous les combinons avec un effort de développement conséquent au sens classique du terme, nous pouvons réussir. Sinon, je crains que cette génération risque d’entrer dans l’histoire comme celle qui avait la chance d’apporter un changement, mais qui l’a laissée passer…